×
the-good-life-tailleurs-reviennet-vignette_3744x2400
lpetrini

Lifestyle

Mode : les tailleurs font leur come-back

Lifestyle

Longtemps, les tailleurs ont cru qu’ils allaient disparaître. Mais le retour à une consommation plus locale et la revalorisation de l’artisanat leur donne en fait, un nouveau souffle.

De 10 000 ateliers à la fin des années 1950, il n’en restait en 2013 que 150 sur le territoire national.
De 10 000 ateliers à la fin des années 1950, il n’en restait en 2013 que 150 sur le territoire national. Salvador Godoy

Avant l’avènement du prêt-à-porter et du e-commerce,  il fut un temps où il n’était pas rare de compter sur un tailleur pour se faire faire un costume sur mesure, en choisissant soigneusement la bonne coupe, le tissu et la couleur de son choix. Comme les pubards se refilaient les numéros de dealers dans les années 2000, le nom de son tailleur était un petit secret, jalousement confié aux amis de confiance, pour ne pas que son succès ne vienne perturber le rapport quasi-intime qu’entretiennent les hommes avec ceux qui les habillent. Et puis la société a changé. Les marques de mode sont devenues des multinationales, et le vêtement, du prêt-à-porter, répondant davantage aux besoins d’une société qui peut et veut s’offrir tout, et tout de suite. On a même cru que le métier allait disparaître.

Le salaire moyen d’un tailleur s’élève à 1 830 € bruts par mois.
Le salaire moyen d’un tailleur s’élève à 1 830 € bruts par mois. Yasamine June

Les derniers chiffres de la Fédération des Maîtres-Tailleurs de France, remontant à il y a environ dix ans, n’étaient pas de bon augure. De 10 000 ateliers à la fin des années 1950, il n’en restait en 2013 que 150 sur le territoire national, ce chiffre comprenant les grands ateliers, les tailleurs du spectacle, la petite mesure traditionnelle ainsi que les culottiers, giletières et boutonniéristes à domicile. Les perspectives économiques, pour les potentiels nouveaux tailleurs, ne sont d’ailleurs plus réconfortantes. Selon les données de 2019 de la Fédération des Centres de Gestion Agréés, le salaire moyen d’un tailleur s’élève à 1 830 € bruts par mois, ce qui rend difficile le recrutement.  

Selon l’Institut Kantar, en 2019 1,4 million de costumes ont été vendus dans l’Hexagone contre 3 millions en 2011.
Selon l’Institut Kantar, en 2019 1,4 million de costumes ont été vendus dans l’Hexagone contre 3 millions en 2011. bozhin-karaivanov

Obligés de se réinventer pour survivre à la multiplication de boutiques de retouches, au fil des années les ateliers restants ont modifié leur offre, en s’ouvrant eux-même aux retouches des pièces provenant du prêt à porter et à la demi-mesure artisanale. En revanche, le service sur mesure, cœur de la profession, a perdu de plus en plus de place dans l’économie du vêtement. Une dynamique qui dans les dernières années s’est accompagnée d’une perte d’intérêt pour le costume. Selon l’Institut Kantar, en 2019 1,4 million de costumes ont été vendus dans l’Hexagone contre 3 millions en 2011. Une chute de 58% en seulement 8 ans, même avant la pandémie de COVID-19 et le recours généralisé au télétravail qui a remis en cause, parmi les autres choses, les exigences stylistiques des employés des entreprises, aujourd’hui moins obligés de porter des vêtements formels.

Au début des années 2000, l’Association Formation Tailleur a relancé la formation aux techniques traditionnelles jusqu’à sa fermeture en 2018.
Au début des années 2000, l’Association Formation Tailleur a relancé la formation aux techniques traditionnelles jusqu’à sa fermeture en 2018. Leonardo Petrini

Mais le déclin de la profession de tailleur est une histoire qui commence bien avant le Covid. “Les premières difficultés remontent aux années 1940, lorsque la demi-mesure de type industriel a été légitimée et réglementée par le droit français – résume Benoit Aguelon, président de la Fédération des Maîtres-Tailleurs de France. Au cours des années 60, les tailleurs ont perdu leur rôle de prescripteurs de mode au profit des marques et dans les années 70 la formation professionnelle a oublié le savoir-faire artisanal pour se concentrer sur la transmission d’une méthode industrielle. Le nombre de maîtres-tailleurs a ainsi diminué au cours de la décennie qui a suivi et, dans les années 90, beaucoup parmi eux sont partis à la retraite sans laisser une véritable génération d’héritiers”. Résultat : un vide dans la population couturière jusqu’au début des années 2000, quand l’Association Formation Tailleur a relancé la formation aux techniques traditionnelles jusqu’à sa fermeture en 2018. 

Benoit Aguelon, président de la Fédération des Maîtres-Tailleurs de France.
Benoit Aguelon, président de la Fédération des Maîtres-Tailleurs de France. SDP

Pour ceux qui exercent encore, une chose est certaine : le sur mesure ne constituera plus jamais un marché de masse comme avant. Et pourtant, tous les tailleurs que nous avons interrogés observent un retour d’intérêt du public pour leur profession. « Il y a toute une nouvelle clientèle, composée de personnes d’une trentaine, quarantaine d’années, qui ont les moyens économiques de prendre soin de leur image de manière plus personnalisée et qui ont commencé à s’adresser à nous« , fait noter Benoit Aguelon. Chez Catarina Knoch,  maître tailleur à Paris depuis 20 ans passée chez Cerutti, Smalto, Hermès, Lanvin mais aussi Gucci, Sherrer et Féraud, ce sont plutôt les femmes qui achètent des costumes sur mesure. “Ma cliente la plus âgée a 90 ans, la plus jeune en a 20. En moyenne, ce sont des jeunes femmes actives qui ont besoin d’une garde-robe professionnelle”, précise-t- elle. 

Les possibilités pour se former sont aujourd’hui très réduites et des réflexions publiques sont actuellement en cours à ce sujet.
Les possibilités pour se former sont aujourd’hui très réduites et des réflexions publiques sont actuellement en cours à ce sujet. Zeynep Sumer

Mais pourquoi le grand public réévalue aujourd’hui l’idée de s’adresser à un tailleur personnel ? Selon eux, les tailleurs, ce n’est pas juste pour s’assurer une tenue de qualité sur mesure, mais plutôt pour une expérience d’achat plus consciente et satisfaisante. « Moi, je fais toujours la comparaison avec la renaissance des marchés aux fruits bio – explique Benoit Aguelon. Aujourd’hui il y a une envie d’authenticité, d’avoir le meilleur a portée de main. C’est le cas pour les fruits et c’est le cas pour les fringues. On redécouvre une manière de consommer de nos grand parents : moindre et plus intelligent ».  

À l’Institut français de la mode, chaque année pas plus de deux ou trois personnes obtiennent un diplôme de tailleur.
À l’Institut français de la mode, chaque année pas plus de deux ou trois personnes obtiennent un diplôme de tailleur. Pina Messina

Côté mode, la tendance du quiet luxury face à la logomanie de ces dernières années, c’est-à-dire la pratique d’acheter des vêtements discrets qui cachent une production de haute qualité et donc des prix particulièrement onéreux. Le vrai enjeu pour nous c’est  la communication. Il faut faire comprendre aux clients qu’ il y a une autre façon de consommer. Dans ce contexte, il faudrait intervenir sur la formation des nouveaux managers et marketeurs des entreprises”, dit à ce propos Catarina Knoch. Pour Laurent Touboul, c’est question d’avoir une pièce intemporelle. Tailleur de plusieurs politiciens et, depuis 2016, c et son épouse Brigitte, aujourd’hui il n’habille pas que des avocats et des hommes d’affaires, mais aussi des étudiants et de jeunes futurs mariés. Le costume ne mourra pas car c’est une pièce qui ne se démode jamais et aimée par une clientèle diversifiée”, avait-il dit à la fin du premier confinement, et il le répète aujourd’hui. 

the-good-life-tailleur-macron-12

Pourtant, la difficulté de transmettre le savoir-faire artisanal pèse sur la survie du métier. L’Association Formation Tailleur étant fermée en 2018, les possibilités pour se former sont aujourd’hui très réduites et des réflexions publiques sont actuellement en cours à ce sujet. “Le passage de témoin est difficile aussi car le métier de tailleur est très individuel avec une tendance à conserver pour soi ses secrets”, remarque par exemple Aguelon. Catarina Knoch est d’accord. À l’Institut français de la mode, où elle forme les futurs tailleurs de France, chaque année pas plus de deux ou trois personnes obtiennent un diplôme de tailleur. “La demande des maisons de luxe est forte en ce moment, ce sont les artisans qui manquent. C’est dommage. Pensez juste que certains de mes anciens élèves travaillent chez Chanel”, détaille la maître tailleur franco-suédoise. Pour Laurent Touboul, comme pour  ses collègues, “le métier peine à se faire désirable pour les jeunes générations”, mais il souligne aussi que “une nouvelle vague de pseudo-tailleurs industriels attirés plus par le business que par le métier a monté récemment”. Est-ce qu’ils vont résister au défi du temps, comme nous ?”, se demande-t-il. 

 

L.P.

Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture