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Soixante ans après sa sortie, la Mercedes Pagode continue de séduire en masse, comme en témoigne sa cote franchement coquette, malgré un nombre important encore en circulation.
The Good Life s’est rendu dans l’île de Ré pour essayer la version la plus fabriquée, et pourtant la plus chère : la Mercedes-Benz 280 SL.
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« Les derniers seront les premiers », paraît-il. Dans l’espoir que cet adage se réalise, les Allemands mettent tout en oeuvre pour se reconstruire après la Seconde Guerre mondiale.
Alors que les Britanniques s’autorisent à construire des autos rudimentaires à la qualité de fabrication aléatoire et que les Américains ne se soucient guère de moteurs pointus ou de trains roulants évolués, Mercedes prend tout le monde de court avec sa fameuse 300 SL à portes papillon.
Moins de dix ans après la fin du conflit, cette voiture est le signe d’une Allemagne à la pointe de la technologie et de l’innovation. Ultraperformante, la SL n’en demeure pas moins fiable, sérieusement finie, agréable à basse vitesse et confortable. Des qualités dont va hériter la génération de SL qui nous intéresse ici, nommée W113 en interne.
Mercedes aura du mal à satisfaire la demande, grâce à une auto sans réelle concurrente, après avoir inventé sa propre catégorie de marché
Bien moins performante, plus discrète et plus abordable, elle fera un carton commercial de 1963 à 1971. La firme à l’étoile aura du mal à satisfaire la demande, grâce à une auto sans réelle concurrente après avoir, en quelque sorte, inventé sa propre catégorie de marché…
Mercedes, prestige international
Un postulat qui peut paraître dur à croire, tant les années 60 furent prolifique en cabriolets en tout genre. Mais plus compacte qu’une américaine, plus confortable qu’une anglaise, plus fiable qu’une italienne et plus statutaire qu’une française (on pense à la Citroën DS Cabriolet, desservie par son moteur manquant de noblesse), celle que l’on surnomme Pagode en raison de la forme de son toit, ressemble à la découvrable idéale.
Superbement dessinée, jouissant d’une étoile au prestige international – là où, par exemple, Facel Vega manque d’image –, pouvant recevoir de nombreux équipements en option, cette SL cache bien ses quelques défauts.
Outre des trains roulants qui privilégient le moelleux à la sportivité, la 230 SL (seule version alors disponible) pâtit d’un prix d’achat coquet et d’un moteur un peu sous-dimensionné.
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Le raffiné 6-cylindres de 150 ch alimenté par une injection ne suffit pas à faire oublier le poids important qu’il a à véhiculer, rançon d’une qualité de construction au-dessus de tout soupçon, avec un accent particulier mis sur la sécurité. Le tir sera corrigé avec la 250 SL, mais surtout avec la 280 SL, présentée en décembre 1967.
Le communiqué de presse de 41 pages est clair : c’est la même, en mieux ! En introduction, la marque ne se prive pas de revenir sur son insolente bonne santé : de 16 700 autos fabriquées tous les mois en 1967, Mercedes veut passer à 20 000 unités pour l’année suivante. Une vitalité essentiellement due aux berlines, mais la Pagode a son rôle à jouer.
Son image raffinée tire la marque – parfois assimilée à un simple fabricant de taxis – vers le haut. Glamour en diable, cette SL peut compter sur une belle représentation au cinéma, tant grâce à Audrey Hepburn en vadrouille sur la Côte d’Azur dans Voyage à deux, qu’à Sophia Loren à Londres, dans Arabesque, ou encore à Susannah York, dans Gold, qui file une jolie romance avec Roger Moore, sous le soleil sud-africain.
Indémodable !
Avec cette nouvelle version 280, la Pagode, quoique déjà âgée de quelques années, verra sa production augmenter de presque 63 % entre 1966 et 1969 ! Certaines voitures ne vieillissent pas, elles se bonifient.
L’arbre à cames en tête, l’architecture super carrée (course courte) et le couple maxi perché à 4500 tr/min détonnent sur un engin réputé bourgeois
Par rapport à la 230 SL, la 250 SL, avec son vilebrequin à sept paliers, offrait davantage de souplesse, des freins à disque, de nouvelles options comme la boîte à cinq vitesses, mais une fiabilité en berne.
La 280 SL corrige le tir et apporte du muscle, les chiffres officiels faisant état de 200 km/h et d’un 0-à-100 km/h expédié en 9 secondes. Une vitesse de pointe qui ne semble pas irréalisable lorsqu’on sait qu’une 230 SL en boîte manuelle, moins puissante de 20 ch, avait été chronométrée à 195 km/h par nos confrères d’Autocar en 1964.
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Quant au 0-à-60 mph (soit 97 km/h), il avait tout de même exigé 10,7 secondes, laissant penser que Mercedes a peut-être été optimiste quant aux accélérations de cette version 2,8 litres. Qu’importe, finalement, car aujourd’hui plus encore qu’hier, l’intérêt d’une Pagode est ailleurs que dans les performances pures.
« Je l’ai achetée car j’en suis tombé amoureux étant enfant », nous confie Yves, le propriétaire de la W de 1969 illustrant cet essai. Le joli soleil rétais se lève à peine en ce froid matin de décembre, et cette lumière affleurante met en valeur quelques coups de crayons auxquels je n’avais jamais prêté attention.
L’aile arrière délicatement relevée, juste après la portière, ou encore les arches de roues très marquées, soulignant une stature comme des épaules. Idem pour la bosse au centre du capot, qui vient donner un soupçon d’agressivité pas désagréable.
Caractéristiques techniques
- Moteur 6-cylindres en ligne en position longitudinale AV, 2 778 cm3 (86 x 78,8 mm), 170 ch DIN à 5 750 tr/min, 24,5 mkg à 4 500 tr/min, rapport volumétrique 9,5 à 1, culasse alu, 1 arbre à cames en tête entraîné par chaîne, vilebrequin à 7 paliers, injection Bosch.
- Transmission aux roues AR, boîte 4 vitesses (automatique 4 rapports ou mécanique ZF 5 vitesses en option), plusieurs choix de pont allant de 3,69 à 4,08, différentiel autobloquant en option.
- Direction à circuit de billes, avec assistance.
- Freinage hydraulique à double circuit, disques pleins AV/AR, avec assistance.
- Suspension AV à roues indépendantes avec leviers transversaux et barre stabilisatrice ; AR à demi-axes oscillants avec pivot unique et jambes de force. AV/AR ressorts hélicoïdaux et amortisseurs télescopiques.
- Structure/Carrosserie coque autoporteuse en acier avec cadre plancher soudé, cabriolet 2 portes, 2 places (3 places en option, comme sur le modèle essayé), hard-top en option.
- Dimensions longueur : 4,285 m, largeur : 1,76 m, hauteur : 1,32 m avec capote ou 1,305 m avec hard-top, empattement : 2,4 m, voies AV/AR : 1,484/1,485 m.
- Roues jantes tôle (alu en option), pneus 185 HR 14.
- Poids (à vide) 1 360 kg.
- Vitesse maximale (usine) environ 200 km/h.
Quelques centimètres à peine séparent cette génération de SL de sa remplaçante (la R107, détaillée dans Rétroviseur no377), et tout semble pourtant plus fin ici. Il y a du chrome, certes, mais il est distribué avec parcimonie. Seul le pare-brise relativement vertical vient trahir les 60 ans – déjà ! – de ce dessin.
Les appuis-tête optionnels aux coins relevés, façon oreilles de chat, savent rester discrets et n’entachent pas le profil. Des jantes en alliage étaient proposées en option, mais je leur préfère ces enjoliveurs ton caisse si caractéristiques. Ils sont ajourés sur les 280 SL, ce qui permet de la distinguer de ses aînées moins bien motorisées.
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La Mercedes Pagode joue le luxe discret
Les amateurs de Mercedes ne seront pas surpris, tant tout est typique des productions de la marque à l’étoile à la même époque. Tout d’abord, il y a cette poignée largement dimensionnée, qui commande l’ouverture d’une portière à l’épaisseur rassurante. La large partie chromée vers l’articulation témoigne d’un réel souci de finition.
Il n’y a pas de doutes, ce sérieux ne se retrouve pas dans une Triumph TR5, concurrente directe quoique moins onéreuse. Installé à bord, j’ai l’impression, à la fois agréable et frustrante, de me trouver au volant d’une berline.
Rien ne vient suggérer la sportivité, la Pagode joue la carte du confort et du luxe discret : position de conduite haute, sièges rembourrés, instrumentation claire et visible, volant immense et tout fin, long levier de vitesses, pédales larges et bien espacées.
La planche de bord peinte, coiffée d’un revêtement couleur caramel, s’orne d’une discrète touche de bois. La présence d’un compte-tours à la zone rouge étonnamment lointaine (plus de 6 500 tr/min) laisse entrevoir un moteur pointu, ce qu’un coup d’oeil à la fiche technique ne dément pas.
L’arbre à cames en tête, l’architecture super carrée (course courte) et le couple maxi perché à 4 500 tr/min détonnent sur un engin réputé bourgeois. Pour l’heure, nous faisons connaissance, et le 6-cylindres se réveille au premier tour de clé. Dans un ralenti impeccable grâce à l’injection bien réglée, il émet un feulement sourd et discret qui présage d’une parfaite éducation.
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J’empoigne le levier de vitesses aux débattements très longs et aux verrouillages un peu trop fermes à mon goût, et, d’un doigt, je sors presque comme par magie de la place de parking. Non seulement le diamètre de braquage est faible, mais en plus la présence de la direction assistée rend la manoeuvre amusante !
La Mercedes 280 SL, un filtre du confort
Les kilomètres s’enchaînent et se font vite oublier. Souple, la Pagode plonge au freinage, se cabre à l’accélération et prend un peu de gîte dans les virages.
Comme prévu, ce n’est pas une sportive, ce que l’étagement de la boîte confirme avec une première très courte, une quatrième fort longue, et beaucoup d’espace entre chaque rapport.
Cela dit, le 6-cylindres est si bien élevé qu’une boîte cinq vitesses ne servirait qu’à ravir mes oreilles : la sonorité est vraiment agréable. Mais amusez-vous à reprendre en troisième en dessous du régime de ralenti et vous constaterez que l’engin s’y prête de bonne grâce.
Épatant ! Certes, dans la seconde moitié du compte-tours, la mélodie se fait plus agressive et l’accélération, tout à fait sérieuse, mais cette puissance est juste là en cas de besoin et non pour faire le mariole en montagne. Le freinage très assisté est d’ailleurs délicat à doser. La direction légère et les mouvements de caisse nous passent vraiment l’envie de titiller le chrono.
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Car la Pagode se savoure tranquillement à deux (la largeur aux coudes est étonnante), voire à trois, ici, puisque cette 280 SL est équipée d’une quantité d’options, dont un petit siège placé transversalement à l’arrière.
Inutile de dire qu’il est à réserver aux trajets les plus courts ! En dehors d’un tarif prohibitif, tant à l’achat de la voiture que pour celui de certaines pièces, et de quelques défauts inhérents aux véhicules de cette époque, comme l’éclairage symbolique, les bruits d’air importants et les essuie-glaces faiblards, la Pagode est une formidable machine à voyager vite et loin.
Le coffre de 340 litres est vaste, le réservoir de 82 litres, allié à une consommation raisonnable (le constructeur donnait 11,4 l/100 km en moyenne), autorise une agréable autonomie de 700 km, tandis que la fiabilité et la qualité de construction laissent les soucis de pannes aux oubliettes.
Une belle réussite aussi bien esthétique que technique, qui me rappelle le jugement du fameux magazine américain Road & Track, enthousiasmé par son essai d’une 280 SL en 1968 : « Pour ceux qui accordent de l’importance au rafinement technique et à la qualité de construction, elle est sans concurrente… » Et c’est toujours valable aujourd’hui !
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Combien coûte la Mercedes Pagode ?
La Mercedes 280 SL, autrement appelée Pagode, peut atteindre rapidement les 100.000 euros en occasion si elle est en bon état. A retaper entièrement, compter entre 30.000 et 50.000 euros.
Pourquoi Pagode pour Mercedes ?
La voiture tient son surnom de la forme du pavillon intérieur/ciel du modèle, qui rappelle les toits évasés des lieux de cultes boudhistes.
Qui a dessiné la Mercedes Pagode ?
Les Mercedes-Benz 230 SL « Pagode » on été dessinées par le designer français Paul Bracq. Né en 1933, ce designer automobile est passé chez Citroën, BMW et Peugeot, où il a travaillé sur de nombreuses voitures mythiques.