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Dubaï offre petit à petit une autre image que celle, dorée sur tranche, qui défile sur les réseaux sociaux, 2024 - TGL
Dubaï offre petit à petit une autre image que celle, dorée sur tranche, qui défile sur les réseaux sociaux, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good City // Business-city

Et si Dubaï dévoilait (enfin) son vrai visage ?

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The Good City

Quatrième ville la plus visitée au monde, la capitale de tous les superlatifs offre petit à petit une autre image que celle, dorée sur tranche, qui défile sur les réseaux sociaux. Gastronomie, architecture et création renouent avec l’héritage local et l’envie d’attirer les talents.

Avec 180 nationalités différentes et peut-être 10 % d’Émiriens sur son territoire, Dubaï concentre une richesse culturelle plus intéressante que le laisse présager l’image réductrice de ville pharaonique qui lui est attachée. Des citoyens du monde entier sont venus ici tenter leur chance et goûter à un mode de vie différent.


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En pleine effervescence

L’extérieur de l’hôtel Burj al-Arab, une icône du paysage urbain de Dubaï.
L’extérieur de l’hôtel Burj al-Arab, une icône du paysage urbain de Dubaï. DR

Des entrepreneurs, des expatriés, parmi lesquels des familles entières qui envisagent de s’y installer pour de bon, sont gagnés par l’énergie et l’optimisme d’une destination où tout semble s’obtenir au mérite et où beaucoup de choses restent à développer. Une destination qui reconnaît « grandir » et s’adapter au fur et à mesure des besoins de ceux qui s’y installent.

Quand la plupart des expats envisageaient une expérience de deux ou trois ans sur place il y a encore dix ans, la donne a changé ces toutes dernières années. Les talents se projettent sur le long terme. Pour de bon.

Inaugurant un cercle vertueux qui voit des quartiers entiers s’enrichir d’une activité plus authentique, où les locaux vivent en marge des clichés véhiculés par une poignée d’influenceurs et « selfistes » sautant d’un rooftop à l’autre.

Le 5-étoiles Jumeirah al-Qasr, un néopalais oriental sur sa plage privée de 2 km de long.
Le 5-étoiles Jumeirah al-Qasr, un néopalais oriental sur sa plage privée de 2 km de long. DR

Il suffit de traverser Al-Satwa, l’un des premiers quartiers où les Émiriens se sont sédentarisés – un pâté de maisons n’excédant pas trois ou quatre étages –, pour se sentir complètement dépaysé et à bonne distance du vertige des gratteciel.

Tandis que le street-art défile sur les façades de ce quartier populaire – celles de City Walk sont davantage « signées », à l’initiative du prince héritier, le cheikh Hamdan ben Mohammed al-Maktoum –, les boutiques et les petits cafés conservent une « couleur locale ».

C’est ici que l’on s’arrête, par exemple, dans l’échoppe de Walid, iranien de 49 ans incontournable quand il s’agit d’acheter, pour une poignée de dirhams, les meilleurs regag (crêpes) du petit déjeuner.

Le restaurant thaïlandais Paï Thaï, situé à Jumeirah al-Qasr, est réputé pour sa situation exceptionnelle et la qualité de sa cuisine.
Le restaurant thaïlandais Paï Thaï, situé à Jumeirah al-Qasr, est réputé pour sa situation exceptionnelle et la qualité de sa cuisine. DR

On retrouve ce même Dubaï à contre-courant en s’aventurant à Deira, de l’autre côté de la Creek (le bras de mer qui serpente à travers la ville sur une dizaine de kilomètres) ou dans le quartier d’Al-Seef, autour des souks de l’or et des épices, et du Waterfront Market, ce marché aux poissons, viandes et légumes où se fournissent la plupart des chefs.

À l’opposé des « blocks » aseptisés de Downtown et de Business Bay, c’est ici une destination grouillante, au folklore incessant, combinant les parfums (encens, huiles essentielles…), les couleurs, les savoirfaire en matière de tissus et d’orfèvrerie, et c’est aussi aujourd’hui le point de départ pour tous les foodies.

Une cuisine d’influences

Le restaurant Orfali Bros.
Le restaurant Orfali Bros. DR

Avec plus de 13 000 restaurants répartis sur la destination, de la street food jusqu’aux étoilés, Dubaï fait figure de chaudron magique, illustrant à merveille ce melting-pot culturel quasi unique au monde.

Si Hong Kong était considéré jusqu’ici comme un laboratoire culinaire de référence, un spot idéal pour les grands chefs qui ne se faisaient pas prier pour y tester de nouveaux concepts à la faveur d’une clientèle avide de vraies expériences à table, Dubaï a ceci de plus que la cuisine traditionnelle des Émirats (viande et lait de chamelle, dattes…) n’est qu’une infime partie de son répertoire.

En un peu plus de cinquante ans d’existence seulement, la destination s’est inévitablement nourrie de la gastronomie de ses habitants indiens, pakistanais, syriens, irakiens, palestiniens… Et Deira en particulier concentre tout cela. Frying Pan, créé par deux soeurs d’origine indienne, mais dont la famille est installée à Deira depuis trois générations, en est le parfait exemple.

La maison Ganache Chocolatier témoigne de l’excellence culinaire qui règne à Dubaï.
La maison Ganache Chocolatier témoigne de l’excellence culinaire qui règne à Dubaï. DR

Le temps d’une soirée, Farida partage ses adresses de prédilection avec les curieux. Les falafels croustillants et le meilleur houmous de la ville – il doit être bien crémeux et généreux en huile d’olive – sont au menu du Sultan Dubaï, mais le kunafa cuisiné « minute » et ultra-cheesy se trouve chez le Palestinien Qwaider al-Nabulsi et doit se déguster sous l’auvent, avec le folklore ambiant.

On s’engouffre encore un peu plus dans le dédale clignotant de ruelles pour attraper en take away le fameux chawarma au poulet chez le Syrien Farooj al-Shami, avant de s’installer à la table de Kabab Erbil Iraqi, le fine dining local (qui tient plus de l’auberge) pour partager le plat national irakien : le masgouf, une carpe de 3 à 4 kilogrammes, cuite à la braise et à la chair fondante.

Autres incontournables, les baklavas de compétition du libanais Al-Samadi Sweets. Pas seulement caractéristiques des restaurants de quartiers populaires, les influences plus ou moins lointaines ont gagné toutes les strates de la gastronomie à Dubaï, et font désormais partie de l’ADN de la ville. Preuve en est, de nombreuses adresses figurent au Guide Michelin, au Gault & Millau ou sont classées parmi les 50 Best.

Le comptoir du restaurant Orfali Bros.
Le comptoir du restaurant Orfali Bros. DR

Résultat : Trèsind Studio, le restaurant indien du chef Himanshu Saini, qui rend hommage à quatre régions de son pays d’origine – désert du Thar, plateau du Deccan, contreforts de l’Himalaya et plaines côtières du Kerala – avec une demi-douzaine de tables seulement, a été récompensé de deux étoiles au Michelin et serait pressenti pour être le premier 3-étoiles indien au monde.

Même reconnaissance pour Orfali Bros, la table de trois frères syriens qui revendiquent une cuisine ultrapersonnelle, inspirée de leur enfance passée à Alep et d’une grandmère arménienne.

La maison Ganache Chocolatier.
La maison Ganache Chocolatier. DR

Ne surtout pas leur parler de cuisine fusion, car ils restent attachés aux traditions et au respect des techniques, même s’ils combinent sans complexe, et toujours avec un clin d’oeil à leur héritage, une croquette au comté affiné 18 mois avec un caviar d’Iran, le tout arrosé d’accords mets et boissons fermentées maison à défier les mixologues les plus pointus du bartending.

Moins de deux ans après l’ouverture de leur néobistrot à la décoration brute, façon hotspot de l’Est parisien, ils arrivent en bonne tête du classement des 50 Best du Moyen-Orient et remportent au passage un Bib gourmand.

Scénarios gourmets

Le Khor Dubaï qui passe non loin du Jumeirah al-Qasr.
Le Khor Dubaï qui passe non loin du Jumeirah al-Qasr. DR

Pour l’expérience ultime, direction Atlantis The Palm. Dans le complexe hôtelier aux allures de château de conte de fées se cache la table intimiste et feutrée du chef Grégoire Berger.

Ossiano, c’est une salle à manger à l’éclairage ciblé sur une douzaine de « vagues » lues à la loupe pour stimuler notre âme d’explorateur, et pour le reste, place à l’atmosphère abyssale qui plonge une poignée de privilégiés dans l’univers sous-marin des 68 000 poissons qui défilent devant chaque table…

11 millions de litres d’eau alimentent cet aquarium géant, peuplé de raies manta, de requins et de poissons multicolores. Dans l’assiette, chaque plat témoigne d’un voyage qui a mené ce chef globe-trotteur à travers le monde, avant d’atterrir à Dubaï.

The Nest, un camp de luxe au coeur du désert.
The Nest, un camp de luxe au coeur du désert. DR

Tandis que le Sud-Ouest se cache dans le chandelier de la table, qui n’est en réalité qu’un foie gras mi-cuit découpé à la minute, il faut gratter un code trouvé sur le menu pour ouvrir le cadenas d’une boîte aux trésors dans laquelle « fument » deux oursins rafraîchis d’un sorbet, le tout pour illustrer l’insolite d’une balade à Montego Bay (Jamaïque)…

Tandis que New York prend la forme d’un hot dog gourmet à la spiruline, le Canada alterne sur la table le folklore d’un petit barbecue de Chamallows avec l’onctuosité de langoustines plongées dans un oignon de Roscoff XL et coiffé de melanosporum (truffe noire).

Les cartes postales se succèdent et chaque scénario vient nourrir le palais autant que les émotions. « Parce que l’émotion ne vient pas seulement du goût, elle s’échappe aussi de l’histoire, d’un cheminement onirique.

La devanture de la maison Ganache Chocolatier.
La devanture de la maison Ganache Chocolatier. DR

« Quand on est à l’étranger, on cuisine pour le monde entier, ce qui implique d’être curieux bien au-delà des techniques françaises, et c’est ce qui est intéressant », confirme ce chef qui a voyagé pendant dix ans avant de poser ses valises ici. Là encore, les produits sont exceptionnels, l’accord mets et alcools est surprenant, et l’expérience, complète.

Alors que les chefs français sont de plus en plus nombreux à rendre leurs étoiles, impossible de ne pas penser que la gastronomie tient peut-être un nouveau souffle dans cette dimension expérientielle capable de séduire les générations à venir, plus réceptives à la street food de compétition, donc forcément sensibles à une approche plus décomplexée de la cuisine.

Vue du Jumeirah al-Qasr.
Vue du Jumeirah al-Qasr. DR

Trois heures à table, ni temps mort ni déjà-vu. En deux ans, Dubaï semble avoir gagné ses galons comme scène gastronomique émergente, et mieux que ça, cultive son propre langage, débridant le répertoire d’un art culinaire parfois ronronnant et attirant une nouvelle clientèle, résolument épicurienne.

« Tous les jours, je constate que certains voyageurs anticipent une escale à Dubaï, pour venir à Ossiano, par exemple. Et c’est un cercle vertueux, car cela stimule tous les chefs sur place et le niveau s’en ressent. Des concepts naissent ici, bistronomiques, gastronomiques, des épiceries fines… ce qui était rare il y a encore dix ans. Des talents viennent ici créer leur propre signature, c’est particulièrement vrai pour les chefs », conclut Grégoire Berger.

Un concentré d’architectures

L’escalier autoportant à double hélice du musée du Futur relève du défi architectural.
L’escalier autoportant à double hélice du musée du Futur relève du défi architectural. DR

Si Dubaï compte 600 tours et prévoit de doubler son activité économique d’ici à 2030, son paysage versatile est à l’image de ce mélange d’influences qui caractérise tout son art de vivre.

Les Émiriens, d’abord épatés par le gigantisme et les prouesses dont leur destination est capable, semblent désormais prêts à assumer leur héritage. Comme en témoigne le Bur Dubaï, appelé aussi Old Dubaï, construit autour du fort et longeant les rives de la Creek… Un quartier aux maisons et tours à vent construites en gypse, coraux et bois de mangrove, aujourd’hui restaurées avec soin.

Un quartier qui fut autrefois le plus grand port de pêche à la perle fine des Émirats (depuis lequel on accède à Deira en empruntant ces fameux bateaux traditionnels en bois, les abras), puis un point stratégique pour développer le commerce avec la Perse, et aujourd’hui réinvesti par des locaux conscients du témoignage que livre ce patrimoine.

Concrete est l’un des lieux les plus design du quartier artistique d’Alserkal, à Al-Quoz
Concrete est l’un des lieux les plus design du quartier artistique d’Alserkal, à Al-Quoz DR

Pour preuve, l’hôtelboutique XVA, qui combine le charme de l’ancien, une galerie d’art et un café traditionnel dans son patio. Ou encore le tout récent Arabian Tea House, inauguré par une Émirienne désireuse d’y ressusciter des petits déjeuners et spécialités traditionnelles dans une version gipsy du Moyen-Orient.

D’une manière générale, Dubaï affiche une certaine ambivalence, assumant sa concentration d’architectures futuristes (avec un design fort et singulier pour chaque building) dues à des signatures de renom (Norman Foster, Zaha Hadid…) tout en ayant la volonté de sortir d’un plan d’urbanisme à l’américaine, avec pour unique artère la Sheikh Zayed Road, une double sept-voies traversant la ville et se confondant avec l’E 11 pour relier, sur plus de 500 kilomètres, l’Arabie saoudite à la pointe nord-est de la péninsule Arabique.

Depuis 2013, le prince héritier veut développer les quartiers piétons. En 1982, c’est un Marseillais qui inaugurait le premier café avec terrasse dans le quartier d’Al-Satwa. Aujourd’hui, on peut en profiter un peu partout, et marcher est devenu une nécessité. Pistes cyclables, microquartiers…

Dubaï vue du ciel.
Dubaï vue du ciel. DR

Parmi les plus récents, très couru des familles et des branchés le week-end, Alserkal. Une ancienne zone d’entrepôts qui appartient à une famille travaillant dans le secteur du bâtiment, passionnée d’art, et qui décide il y a quelques années de le transformer en hub de galeries, de concept-stores…

Aujourd’hui, ce sont 70 repaires créatifs qui alternent art contemporain et traditionnel, musique, mode, cinéma d’art et d’essai, coffee shops et même garage de voitures de collection. Alserkal incarne typiquement ce nouveau Dubaï investi par les talents et fréquenté par une frange de la population bien décidée à se projeter durablement. Il témoigne aussi d’un intérêt nouveau des locaux pour la culture au sens large.

À l’image de l’artiste franco-tunisien el Seed, qui y a installé son atelier il y a quelques années. Y voyant d’abord un point de chute stratégique pour rayonner entre l’Asie et l’Europe, il bénéficie finalement d’un nouveau regard de la part des populations locales sur son travail de calligraphie arabe. Un moyen d’expression et un art visuel pour véhiculer des messages de paix.

Le 5-étoiles Jumeirah al-Qasr.
Le 5-étoiles Jumeirah al-Qasr. DR

Même tournant culturel avec l’inauguration, il y a deux ans, du musée du Futur, signé du célèbre architecte Shaun Killa ; celui qui est à l’origine de toute la côte Jumeirah. Un bâtiment immédiatement reconnaissable, qui tranche au milieu des tours par sa forme arrondie en métal ouvragé.

Élu parmi les quatorze plus beaux musées du monde par National Geographic, il combine expositions traditionnelles, technologies révolutionnaires et théâtre immersif. Des sept émirats, Dubaï est sans conteste le plus visionnaire.

Quand le cheikh Rachid ben Saïd al-Maktoum arrive au pouvoir en 1958, il anticipe le boum pétrolier qui suivra en 1966 et il convoque rapidement l’architecte John Harris pour le charger du plan d’urbanisation.

La vue depuis l’une des chambres du Jumeirah al-Qasr.
La vue depuis l’une des chambres du Jumeirah al-Qasr. DR

En 1978, le World Trade Center est construit (149 mètres) et marque le début d’un nouveau Dubaï. Objectif ? Développer les commerces, les services et des hébergements à louer pour les premiers expatriés qui viennent tenter l’aventure du désert. Mais la première grande tour qui symbolise l’audace architecturale de Dubaï, la Burj al-Arab, n’arrive qu’en 1999.

Cette voile qui se hisse à 321 mètres de haut, et visible depuis l’autre bout de la ville, est aujourd’hui encore un marqueur fort de Dubaï, avec la Burj Khalifa, la tour la plus haute du monde à ce jour (828 mètres), dont l’édification démarre en 2004 pour s’achever en 2009.

Dubaï vue du ciel.
Dubaï vue du ciel. DR

Peu après l’érection de la Burj al-Arab surgit, en 2001, une construction sur la mer unique au monde et imaginée par le cheikh pour donner enfin accès à la propriété aux étrangers (expats ou non) : The Palm, une cité en forme de palmier avec 1 500 villas et 2 500 appartements vendus sur plan en 72 heures.

Une destination en soi, instagrammable, mais dont le succès se partage depuis avec Downtown, Jumeirah Coast et le coeur de ville, prisé des touristes avides d’expériences gastronomiques, de vieux quartiers et de musées.


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