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Le groupe Chalhoub
Porte d’entrée du luxe au Moyen-Orient

Expert dans le commerce du grand luxe depuis soixante ans et distributeur tout aussi incontournable qu’exclusif, le groupe familial Chalhoub est une véritable machine de guerre. Rencontre avec son codirigeant, Patrick Chalhoub.

Sanglé dans un costume Lanvin relevé d’une superbe cravate Hermès, Patrick ­Chalhoub a deux points communs avec… Omar Sharif. Ils sont cousins – l’acteur est né Michel ­Chalhoub – et dandys jusqu’au bout des ongles. « Omar est en effet né du côté égyptien du clan », affirme Patrick Chalhoub, ravi du rapprochement. Il confesse : « J’adorerais porter des costumes Dior, mais il me faudrait être un peu plus mince, donc j’adopte plutôt les chemises. » Cet homme à la voix mélodieuse et au geste courtois, conducteur d’une Aston Martin, dirige avec son frère Anthony le groupe 100 % familial expert dans le commerce haut de gamme au Moyen-Orient. Douze mille collaborateurs, un chiffre d’affaires en milliards d’euros (top secret, hélas), depuis soixante ans l’entreprise est l’ambassadrice numéro un des plus grandes marques de luxe dans la région. Cela explique les incessants va-et-vient du CEO, qui ne rate ni les semaines de la mode de Paris, de Milan ou de New York, ni l’ouverture d’un centre commercial pharaonique dans la péninsule Arabique. « L’histoire du groupe remonte aux années 50, lorsque mon père, Michel, et ma mère, Widad, vivaient en Syrie, à Damas. Mon père était un jeune avocat fou de beaux objets français qui n’arrivaient alors pas jusque dans ces contrées. Il y a vu une opportunité. Des amis lui ont procuré des contacts à Paris, et il a ouvert un négoce d’orfèvrerie occidentale. » En 1955, ses parents inaugurent leur première boutique d’arts de la table à Damas, y proposent Baccarat, Christofle et les parfums Patou. Mais Damas étant trop petite, ils se déplacent vers le golfe Arabo-Persique et proposent leurs merveilles aux notables bédouins. ­Michel Chalhoub, 84 ans aujourd’hui, tisse d’emblée un réseau de premier ordre avec ceux qui deviendront, une décennie plus tard, des milliardaires en pétrodollars et avec les émirs des pétromonarchies en devenir. « Le père de l’actuel cheikh du Koweït l’appelait “mon fils” et lui disait de revenir le voir pour renforcer les liens. Mon père servait même de traducteur à de grands avionneurs français et vendait mieux qu’eux les avions dans le Golfe sans demander un centime !» confie Patrick Chalhoub, qui adore cette anecdote.

Situé au rez-de-chaussée du Dubai Mall, le Level Shoe District est le temple de la chaussure de luxe : plus de 250 marques installées sur les 9 000 m2 dédiés à cet accessoire
Situé au rez-de-chaussée du Dubai Mall, le Level Shoe District est le temple de la chaussure de luxe : plus de 250 marques installées sur les 9 000 m2 dédiés à cet accessoire DR

Une fidélité à toute épreuve

Depuis son balcon syrien, le couple assiste, à la fin des années 60, à l’émergence de communautés opulentes. « En déplaçant leur négoce vers cette clientèle du Golfe, mes parents ont trouvé, en 1967, un partenaire natif du Koweït pour développer des boutiques de détail, car un étranger ne peut commercer ici sans partenaire local », explique Patrick Chalhoub. Naît alors la société de distribution koweïtienne Tanagra, qui existe d’ailleurs toujours… avec le même allié ! « Nous sommes très fidèles à la parole donnée, et les fidélités sont réciproques. C’est sur cela que repose notre crédibilité, précise notre interlocuteur, qui a gardé de ses ancêtres la double nationalité franco-syrienne. Quand nous faisons des choix, respecter nos ­alliances est fondamental. Comme ce jour où mon père a dû choisir entre ST Dupont et ­Cartier, qui venaient de se séparer. ST Dupont étant un client historique, mon père l’a suivi, même si Cartier était bien entendu prometteur. » Ainsi en va‑t-il également des amitiés avec ces nomades devenus rois, qui entretiennent les meilleures relations avec les Chalhoub, les avertissant des grands projets commerciaux qui fleurissent le long du golfe Arabo-Persique, les prévenant aussi des soubresauts qui agitent régulièrement la région. C’est ainsi que la famille pourra quitter in extremis le Liban lors de la guerre civile, en 1975, puis le Koweït, lors de l’invasion irakienne. « En 1990, nous avons donc déménagé notre siège social à Dubaï. C’est un centre névralgique régional et cela a été un vrai starter pour nos affaires. Car l’époque a été propice au luxe, qui a explosé à l’international, coïncidant avec un développement économique incroyable du Moyen-Orient. Ont alors été créées ces cités monde dotées de malls gigantesques. »

Le groupe Chalhoub, porte d’entrée du luxe au Moyen-Orient

Une expertise incontournable

Depuis Dubaï, le groupe monte à l’assaut de ces fameux malls et se structure comme distributeur de produits de luxe. Grâce à son entregent, griffes et marques établissent dans cette zone une présence pérenne. Actuellement, le portefeuille Chalhoub représente 650 points de vente, auxquels s’ajoute, depuis octobre dernier, Tryano, ouvert dans le plus grand centre commercial du Moyen-Orient, le Yas Mall (235 000 m²). Autant d’espaces de premier plan réservés aux boutiques des partenaires, obligés de passer par le groupe Chalhoub pour s’implanter, mais bénéficiant, bien sûr, du précieux réseau de la famille dans les Emirats arabes unis comme dans tout le Moyen-Orient. « Graduellement, nous avons beaucoup investi dans le commerce de détail : entre les années 90 et 2000, nous sommes passés de 30 boutiques à des centaines. Nous avons l’habitude, chaque année, de repenser notre positionnement. C’est ainsi que, peu à peu, nous avons construit une offre de services très complète pour les marques de luxe partenaires. » Pour gérer ses duty-free de Bahreïn ou du Caire, construire des joint-ventures avec LVMH, Coty ou Puig, installer des créateurs prometteurs dans leurs propres boutiques, agrandir la liste des franchises où figurent entre autres Baccarat ou Michael Kors, le groupe s’est en effet doté d’une infrastructure ultraefficace. Chalhoub, c’est aujourd’hui une machine de guerre : des filiales spécialisées en architecture et en merchandising, une agence de publicité centrée sur le Moyen-Orient et copilotée avec Havas et la fourniture aux marques partenaires d’un service clés en main alliant sécurité, comptabilité, juridique et numérique. Ainsi, les marques n’ont plus qu’à se concentrer sur leur cœur de métier. De leur côté, Patrick et Anthony Chalhoub suivent de près leur clientèle ultragâtée, friande de nouveautés de grand luxe, considérées ici comme un éminent marqueur social, dingue du shopping en groupe, et laissant choir une pluie de dollars dans les boutiques… «Il n’y a pas de lignes droites, mais de grandes accélérations, philosophe Patrick Chalhoub. Notre entreprise n’aurait peut-être pas ce visage s’il n’y avait pas eu des circonstances propices et des coups de pouce du destin. » Mektoub, disent les Arabes… C’était écrit !

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