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Le départ de l'Arkea Ultim Challenge
Le départ de l'Arkea Ultim Challenge.
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Dans les coulisses du 1er Arkea Ultim Challenge Brest, nouveau tour du monde en solitaire

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Le 7 janvier à 13h30, six marins à bord de leur trimaran volant de 32 mètres de long se sont élancés de Brest en solitaire pour faire 40 000 km autour du globe. Avant le départ, les favoris confiaient à The Good Life leur secret pour remporter la toute première édition de cette course ultime.

« Il y a eu plus de gens sur la Lune ! », murmure un père à sa fille sur le ponton au pied d’un trimaran géant. En effet, douze astronautes du programme Apollo ont foulé le sol lunaire alors que le club très fermés des marins à avoir terminé un tour du monde en solitaire et sans escale à bord d’un multicoque compte seulement quatre membres : Francis Joyon, Ellen MacArthur, Thomas Coville et François Gabart. C’est dire l’aventure dans laquelle s’embarquent les six marins partis de Brest au départ de l’Arkea Ultim Challenge.


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L’Arkea Ultim Challenge Brest

L’Arkea Ultim Challenge Challenge Brest (AUCB) est donc une course avec six bateaux, six marins et un objectif commun, celui de boucler un tour du monde en solitaire avant les autres. Simple sur le papier, le défi se révèle périlleux une fois sur en mer. Car depuis le départ de la pointe Finistère, chaque marin est seul à bord d’un trimaran de 32 m de long, 23 m de large et plus ou moins 35 m de haut pour avaler les 40 000 kilomètres du parcours. Ils doivent franchir les trois caps de Bonne-Espérance (Afrique du Sud), Leeuwin (Australie) et Horn (Chili). Équipés pour la plupart de « foils », ces trimarans peuvent s’élever au dessus de la surface de l’eau et atteindre des vitesse de pointe à près de 90 km/h. A la barre les « skippers » n’ont comme moteur que le vent et l’huile de coude. C’est en effet à la force des bras qu’ils devront lever et gérer les voiles ainsi que les foils.

Le bateau du skipper Thomas Coville.
Le bateau du skipper Thomas Coville. Vincent Curutchet / Team Sodebo / Aléa

Il y a un siècle et demi, Jules Verne imaginait un tour du monde en 80 jours. En 2024, Thomas Coville (Sodebo), Armel le Cleac’h (Banque Populaire), Charles Caudrelier (Edmond de Rothchild – Gitana), Tom Laperche (SVR-Lazartigue), Anthony Marchand (Actual) et Eric Peron (Adagio) aimeraient le faire en moitié moins de temps. En 42 jours pour être précis. C’est le record du tour du monde en solitaire à battre, détenu par François Gabart à bord de Macif depuis 2017.

En course, l’objectif est avant tout de finir avant les autres. Sans forcément battre le record. Mais tous les marins l’ont en tête. A commencer par Thomas Coville. Un an avant Gabart, au matin de noël 2016 à bord de Sodebo Ultim’, il s’offrait le record en 49 jours et 3 heures. Mais la performance de Macif a marqué l’arrivée d’une nouvelle génération de trimarans. Contrairement aux montures des années 1974 à 2016 des pionniers du multicoque que sont Colas, Bourgnon, Kersauson, Vatine, MacArthur, Joyon; celle de Gabart marque les premiers « décollages de flotteurs » aux commandes de ces trimarans. Avant que le pari architectural de Gitana 17 ancre définitivement ces maxi-trimarans dans le futur avec un « navire volant ». On les appelle alors les « ULTIM », réunis depuis dans une classe de bateau éponyme.

Les six marins au départ de la course des courses.
Les six marins au départ de la course des courses.

Dans le milieu cela aura marqué la fin des bateaux dits « archimédiens ». Les trimarans ORMA et Mod70 des marins avant-gardistes se levaient en équilibre précaire au dessus de l’eau pour limiter les frottements et dompter en partie la houle. Avec le risque majeur d’enfourner par l’avant ou de chavirer par le côté. Désormais, il ne s’agit plus de flotter, mais bel et bien de voler ! Avec leurs foils, les bateaux peuvent maintenir un vol stable et atteindre des vitesses folles en toute (relative) sécurité. Cela n’empêche pas les marins de toujours dormir avec les pieds vers l’avant. « Il vaut mieux se briser une cheville que la nuque », expliquait l’un d’eux avant le départ de son bateau du ponton.

Pour Charles Caudrelier, dont le prochain trimaran est déjà en construction : « on veut se permettre de voler plus tôt, c’est à dire réussir de décoller avec un vent encore plus faible qu’aujourd’hui ». Mais ce n’est pas tout. Son volatile sera encore plus haut sur patte avec des foils sans doute plus grands encore « pour passer au dessus de la mer et voler même avec de la houle. Evidemment, on ne volera pas 100% du temps, mais si on on gagne 10 ou 20 % de temps de vol, ça fait une énorme différence ». En attendant de voir cette nouvelle génération de bateau volant, l’AUCB doit marquer le coup pour espérer entrer dans la légende et devenir la course des courses. En course au large, il y a une donnée invariable depuis belle lurette pour marquer les esprits, c’est LE parcours. Le Tour du monde d’Ouest en Est !

Thomas Coville au départ de la course profite d’un vente favorable pour prendre son envol.
Thomas Coville au départ de la course profite d’un vente favorable pour prendre son envol. Vincent Curutchet / Sodebo Voile

Et c’est Thomas Coville qui en parle sans doute le mieux avec 8 tours de la planète à son actif dont 6 en multicoque : « l’Océan Pacifique c’est du papier de verre. Il est laminant, abrasif et usant car il est long, s’amuse le doyen de la flotte du haut de ses 55 ans. Tu sors d’un tour du monde, t’es un bois flotté, comme celui qu’on trouve sur les plages après une tempête. T’es amaigri, asséché, vidé et pourtant t’es pur. Tu es devenu le truc le plus pur que tu puisses être. Parfois tu t’es vu pleuré ou grimacé mais tu sais qui tu es. Tu te découvres vraiment. J’aime cette notion d’authenticité et de vérité. J’ai parfois fait le tour du monde par loyauté envers mes sponsors, ma famille, mon équipe, mon père même. Certains veulent faire un tour du monde pour cocher quelques chose. Je m’en suis libéré. »

Pour Charles Caudrelier, le dernier à avoir gagné une course en solitaire à bord d’un Ultim, la Route du Rhum en 2022, « on pourrait presque dire qu’il y a trois zones. Les deux premières sont l’Atlantique, à l’aller et puis au retour. On le connait bien, on y navigue toujours de la même façon, on peut être à 100 % de ce que l’on est capable de faire, explique le skipper de Gitana. Et puis il y a le Sud qui nous fait tous un peu peur. Tu entres dans un train de dépressions météorologiques. Il y a le mauvais temps, il fait froid, c’est dur et tu es seul. Dans le sud, tu as ce truc psychologique dans la tête à te dire ‘si je casse, il n’y a pas grand monde à venir me chercher à part mes potes’. La zone est moins connue car on la fréquente moins. Traverser les océans Indien et Pacifique, c’est long ! Tu y es pour 15 jours, heureusement nos bateaux vont vite, mais tu es stressé et il fait froid dans des mers qui peuvent être très fortes », conclue-t-il humblement.

Un autre favori de la course, Armel le Cleac’h, vainqueur de la Transat’ Jacques Vabre entre le Havre et Fort-de-France avec Sebastien Josse il y a quelques semaines, pointe du doigt plusieurs éléments. « On va vivre beaucoup de saisons différentes. A commencer par l’hiver à Brest, ensuite filer au sud vers le soleil et l’été sous les tropiques, puis débouler dans le grand sud, c’est rugueux, humide et froid. On repasse par une nouvelle zone chaude au retour dans l’Atlantique puis on termine à Brest en février, donc en hiver avec du vent fort et une mer agitée. C’est très varié, détaille le skipper Banque Populaire qui sera en charge d’apporter la flamme olympique entre Brest et Pointe-à-Pitre avec son trimaran, à l’été 2024 cette fois. Il peut y avoir des passages compliqués si la météo n’est pas au rendez-vous, comme le Cap Horn, on sait que c’est un entonnoir ».

Le mythique Cap Horn est l’un des trois caps majeurs de toute circumnavigation qui se respecte. Mais pour cette 1ère des deux éditions déjà prévues de l’Arkea Ultim Challenge Brest, une ligne d’exclusion a été mise en place au sud de la planète. Il faut rester au nord de celle-ci. Cela évite aux marins de prendre trop de risques et d’entrer en collision avec des icebergs. Mais rend étroit le passage du Cap Horn évoqué par Armel le Cleac’h. La zone est susceptible de bouger pendant la course. Sur le parcours on note aussi des zones d’exclusions de navigation. Elles concernent les cétacés près des Açores, de l’archipel des Canaries, de l’Afrique du Sud, des Kerguelen et d’une partie de l’Antarctique selon l’organisateur.

Une initiative qui témoigne de la volonté des marins de respecter le terrain de jeu dans lequel ils évoluent. Une collision entre une baleine et un trimaran lancé à 40 noeuds ne serait bon pour personne. Mais en cas d’avarie – d’un autre genre on l’espère – on distingue deux types d’arrêt pour les six marins. Le premier est un arrêt technique. Seul, au mouillage, sans assistance, le skipper se débrouille pour réparer avec ce qu’il a sous la main. L’escale technique elle, consiste à faire appel aux membres de son équipe pour réparer à l’abri sur le parcours. Dans ce cas, le marin doit rester au moins 24 heures. Ce handicap les oblige à bien réfléchir à l’option d’assistance.

Voilà à quoi ressemble un vol en Ultim… de profil.
Voilà à quoi ressemble un vol en Ultim… de profil. Vincent Curutchet / Team Sodebo / Aléa

Les skippers ont en effet le droit de communiquer avec la terre. Mais c’est principalement pour bénéficier d’une assistance météo personnalisée. On parle aussi de routage. C’est une analyse des fichiers météos combinée aux performances théoriques du bateau et à l’état de fatigue du marin. « C’est un huis clos incroyable entre la cellule routage et moi, explique Thomas Coville le skipper de Sodebo Ultim 3. J’ai mon carré d’as : François Duguet et Frederic Denis pour la partie technique. Thomas Sammut pour la partie mentale. Thomas Rouxel pour l’aspect maritime car il navigue avec moi en double, il sait. C’est beau. Il y a un sentiment d’empathie, de compréhension et de connexion singulière entre nous. Eux jouent aux échecs sans voir le damier. Et cette course dans la course avec l’équipe m’a toujours fasciné. »

Le parcours, tout le monde le connait. La plupart des marins s’y sont confrontés en équipage ou en solitaire pour battre des records. Alors pourquoi l’Arkea Ultim Challenge Brest marque une nouvelle page de l’histoire du nautisme ? « Lors d’un record, il n’y a personne d’autres sur place pour comparer ! Tu es sur un rythme d’un ancien record, souvent avec un bateau plus récent et plus rapide… Mais à ce moment précis tu es solo. En course, si tu as un coup de mou et que tu vois un adversaire aller quatre noeuds plus vite, soit tu es crevé et tu lâches, soit tu y retournes. Tu as toujours quelqu’un pour te challenger en temps réel. Mentalement le rythme est différent. Sur un record je suis très détendu. Je sais que la météo va décider si j’y vais ou pas, ensuite il faut tout donner pour le bateau. Mais là, le rythme peut t’être imposé plus fortement par un concurrent. C’est difficile de savoir », explique Caudrelier, le capitaine du trimaran Gitana.

Et une impression du navire, vu de derrière en pleine action.
Et une impression du navire, vu de derrière en pleine action. Vincent Curutchet / Sodebo Voile

Pour Armel le Cleac’h, « si des bateaux s’échappent devant ou prennent un peu d’avance, ça change la stratégie et la manière de gérer sa course. Il n’y a pas de temps à battre. Il faut juste battre les autres. Même si on met 50 jours c’est gagné. C’est un tout autre exercice que le record. »

Le skipper banque Populaire dont le surnom de « chacal » n’a pas été choisi au hasard, n’oublie pas de rappeler l’un des éléments essentiels pour différencier un record d’une course : « on essaie toujours de prendre la route idéale vis à vis de la météo. Mais si à un moment il faut savoir contrôler ses adversaires, ou à l’inverse à d’autres moments attaquer pour prendre une option délicate mais qui peut être payante, il faudra jouer ». De son côté, le skipper de Gitana abonde : « et puis, tu peux faire des conneries. Tu peux en voir deux partir et se tirer la bourre et ces deux-là vont tellement vite que leurs bateaux souffrent et cassent. Et finalement un bateau plus lent avec moins de rythme va gagner ». Avec du recul, la philosophie de la course pourrait se résumer comme Thomas Coville le fait : « la magie ici est de partir tous ensemble. Pour pouvoir trancher qui a mieux géré la météo, sa machine, son physique et son mental, sur le même terrain de jeu et au même moment ».

La magie est une chose, mais comment gagne-t-on concrètement une telle aventure ? Quelle est la méthode de chacun ? On s’est a nouveau tourné vers Thomas Coville engagé en multicoque depuis plus de vingt ans : « tu as un homme tout seul sur un bateau d’une fragilité extrême, face aux éléments, à la nature, confronté à la taille et à la puissance de son bateau. Finalement comme dans tous les grands sports d’endurance, tu essaies d’être le plus économe possible. Tu dois être capable de faire le moins de manoeuvres et de gestes possible. Tu vois par exemple si le vent forcit, tu vas garder un maximum de voilure jusqu’au moment où tu vas sentir que c’est critique. Si t’arrives à ne pas réduire la grand-voile ou ne pas changer la voile d’avant et que ça s’avère être le bon choix pendant 24h, non seulement tu auras été très rapide, mais en plus tu auras économisé des manoeuvres. Dans ce cas tu es doublement gagnant. Sauf que c’est doublement risqué ».

Pour Charles Caudrelier, il y a deux choses à noter : « Comme on est en solo, on ne pourra pas être à 100% pendant 45 jours. On le fait sur une Route du Rhum parce que ça dure sept jours. Mais à la fin t’es cuit. C’est toute la difficulté d’un tour du monde ». Mais il y aussi un savoir-faire à posséder selon lui : « Depuis trois ans, sur un tour du monde, on n’a jamais un bateau qui arrive en parfait état. Armel a fait trois tours du monde, sur le podium (du Vendée Globe) les trois fois, avec un bateau en excellent état à l’arrivée. C’est un favori pour ça. Il a un bateau performant et tous ses préparateurs le disaient, ‘son bateau est nickel à l’arrivée’. C’est un vrai savoir faire ».

Décollage pour un tour du monde unique en son genre !
Décollage pour un tour du monde unique en son genre !

Et pour ménager sa monture, il faut comprendre comment elle fonctionne. Passons au contrôle technique avec Thomas Coville : « mécaniquement quand tu fais une manœuvre, tu rends le bateau vulnérable. Quand il est en marche rapide, à moins de toucher un OFNI (objet flottant non identifié), les choses sont faites pour être figées et à leur bonne place. Quand tu ralentis, la voile devient molle, tout se met en mouvement et avec le vent et la mer, tout devient vulnérable. Tu rends le marin et le bateau fragile à chaque manoeuvre. Celui qui en fait le moins gagne. Mais nerveusement c’est très dur. Il faut se protéger contre sa générosité d’athlète. Il faut sentir les choses mais veiller à ne jamais agir dans l’émotion. C’est crucial. Pour autant, c’est effrayant aussi. Tu mises tout sur un seul geste, tout le temps ! Mais je suis désespérément optimiste et enthousiaste. Il faut l’être pour faire cette course ». Dans son podcast Seul au monde, le marin et animateur Loïck Peyron disait des skippers : « oser, vous savez faire. Doser, ça va être le truc ! ». Réponse dans une quarantaine de jours au large de Brest !


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Site internet de l’Arkea Ultim Challenge Brest.

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