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Karhu s’est fait voler la vedette par Adidas puis par Nike dans les années 50 et 70, passant à côté d’un fabuleux destin, 2023 - TGL
Karhu s’est fait voler la vedette par Adidas puis par Nike dans les années 50 et 70, passant à côté d’un fabuleux destin, 2023 - TGL
Marine Mimouni

The Good Look // Fashion

Que devient Karhu, la marque qui aurait pu concurrencer Nike et Adidas ?

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The Good Look

Puissante et dominante au début du XXe siècle, la belle marque finlandaise s’est fait voler la vedette par Adidas puis par Nike dans les années 50 et 70, passant à côté d’un fabuleux destin. Sans qu’elle ne s’en plaigne toutefois jamais vraiment…

Fondée en 1916 dans un petit atelier d’Helsinki, la marque finlandaise Karhu (« ours », en finnois) est à l’histoire de la sneaker ce que le cycliste Raymond Poulidor et le XV de France sont à celle du sport : une perdante magnifique. Et une grande naïve.


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Le fabuleux destin (déçu) de Karhu

Urho Kekkonen, président de la Finlande de 1956 à 1982, ici en mode détente, une paire de Karhu aux pieds, en 1966.
Urho Kekkonen, président de la Finlande de 1956 à 1982, ici en mode détente, une paire de Karhu aux pieds, en 1966. DR

Tout premier équipementier à s’imposer sur les pistes cendrées des stades d’athlétisme au début du XXe siècle, Karhu devient une référence mondiale aux pieds de l’exceptionnelle génération des « Finlandais volants » – Hannes Kolehmainen, Paavo Nurmi, Ville Ritola –, tous médaillés d’or ou d’argent, du 1 500 mètres au marathon, durant les jeux Olympiques de l’entre-deux-guerres.

Un pedigree doublé d’un savoir-faire technique et design qui aurait dû lui donner des ailes durant la première révolution industrielle du sport dans les années 50. Puis faire entrer ses modèles Fusion 2.0, Synchron ou Albatross, aujourd’hui prisés des quadras en quête du pas de côté esthétique, au panthéon des icônes lifestyle passées du stade à la rue, auprès de Nike (Cortez) ou New Balance (574, 990).

Seulement voilà, Karhu saborde ce glorieux destin dès 1952 avec la vente, rétrospectivement invraisemblable, de son logo, trois bandes blanches parallèles, avant tout fonctionnelles, « qui reliaient le laçage et la semelle, servant de renfort latéral pour un meilleur maintien de la tige, et donc du pied », renseigne Jordan Kinley, responsable du département running.

Tout premier équipementier à s’imposer sur les pistes cendrées des stades d’athlétisme au début du XXe siècle, Karhu devient une référence mondiale aux pieds de l’exceptionnelle génération des « Finlandais volants ».
Tout premier équipementier à s’imposer sur les pistes cendrées des stades d’athlétisme au début du XXe siècle, Karhu devient une référence mondiale aux pieds de l’exceptionnelle génération des « Finlandais volants ». DR

L’acheteur ? Une jeune et ambitieuse marque lancée trois ans plus tôt : Adidas. Fâché avec son frère Rudolf, qui lance Puma, son fondateur, Adolf Dassler, n’a légalement plus le droit d’utiliser les deux bandes floquant les chaussures de la Schuhfabrik Gebrueder Dassler et jette son dévolu sur Karhu.

Montant du deal : 1 600 euros d’aujourd’hui et… quelques bonnes bouteilles de whisky. Une broutille. « Les dirigeants de l’époque n’avaient pas perçu le potentiel marketing de ces trois bandes, qui n’étaient pour eux qu’une caractéristique technique », poursuit ­Jordan Kinley.

Ils les remplacent par un « M » fade et sans consistance, l’initiale de rien, et assistent, impuissants, à l’essor mondial de « leurs » trois bandes superbement popularisées par Adidas. Une leçon pour l’avenir ? Pas vraiment.


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La première bulle d’air

D’abord incomprise du grand public, la technologie Nike Air devient un phénomène mondial dix ans plus tard aux pieds d’un certain Michael ­Jordan. Et Karhu reste une nouvelle fois sur le ­carreau.
D’abord incomprise du grand public, la technologie Nike Air devient un phénomène mondial dix ans plus tard aux pieds d’un certain Michael ­Jordan. Et Karhu reste une nouvelle fois sur le ­carreau. DR

Au début des années 70, Karhu développe un nouveau système d’amorti, une bulle d’air insérée dans le talon de la semelle afin d’assouplir et de dynamiser la foulée des coureurs. Une idée géniale concrétisée en 1976 par la sortie de son modèle Champion, mais chipée deux ans plus tard par un autre challenger, américain cette fois : Nike.

Si la marque au swoosh s’octroie depuis quarante-cinq ans la paternité du coussin d’air intégré à sa Tailwind, elle l’a en réalité découvert en 1971 aux pieds d’athlètes finlandais testant les prototypes Karhu lors d’une série de meetings disputés sur le tartan du mythique stade Hayward Field, à Eugene (Oregon), son bastion d’origine.

D’abord incomprise du grand public, la technologie Nike Air devient un phénomène mondial dix ans plus tard aux pieds d’un certain Michael ­Jordan. Et Karhu reste une nouvelle fois sur le ­carreau.

Au début des années 70, Karhu développe un nouveau système d’amorti, une bulle d’air insérée dans le talon de la semelle afin d’assouplir et de dynamiser la foulée des coureurs.
Au début des années 70, Karhu développe un nouveau système d’amorti, une bulle d’air insérée dans le talon de la semelle afin d’assouplir et de dynamiser la foulée des coureurs. DR

« Mais comment rivaliser avec l’impact médiatique du plus grand ­athlète de tous les temps ? interroge ­Jordan ­Kinley. Ce n’était de toute façon pas le destin de la marque, qui a toujours privilégié une croissance mesurée et discrète, sans dépenser des millions en marketing. »

Avare en collabs (une par semestre), distribuée dans des boutiques indépendantes et muette sur sa santé financière, Karhu s’appuie sur des ambassadeurs « amis » (artistes, influenceurs) non rémunérés et « une communauté confidentielle attirée par ses bons matériaux et ses coloris originaux, indique Luigi Purple Jacuzzi, patron de Sneakersog.BigCartel.com. Ses modèles vintage sont particulièrement difficiles à trouver. » Elle reste grande chez les petits plutôt que petite chez les grandes. Volontairement.


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