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The Good Culture // Aventures

On a vécu comme un pirate avec Mike Horn

Aventures

The Good Culture

CHAPITRE 1 — Imaginez, une notification scintille sur votre iPhone. « Mike lance What’s Left depuis Monaco. Tu veux venir ? ». L’appel de l’aventure est signé d’Annika Horn en charge de l’expédition de son paternel, Mike Horn. Que feriez-vous ? Pour The Good Life, le destinataire du message a embarqué à bord du voilier Pangaea. Voici son journal de bord.

Le rendez-vous est donné au dépose minute de l’aéroport de Genève. Le ciel est bas, gris et la pluie tombe en masse sur le macadam. Pourtant en ce 23 avril 2023, rien ne pourrait entacher la magie de cette journée. Elle s’annonce comme les prémices d’une aventure épique : prendre part à la nouvelle expédition de Mike Horn à bord de son bateau Pangaea et filer en Arctique ! L’homme a bâti sa réputation en atteignant les pôles Nord et Sud en solitaire. Il a traversé les deux continents gelés à la seule force de ses bras et de ses jambes. Le tour du monde sur la ligne de l’équateur sans assistance motorisé, c’est lui. Le tour du cercle polaire arctique pendant plus de 500 jours en solitaire, encore lui. La descente de l’Amazone sur un morceau de polystyrène, toujours lui. Sa vie est le genre d’aventures qui se lit dans la revue du Tour du Monde ou les vieux grimoires de famille. Accompagner l’explorateur Suisse au bout du monde pourrait vite ressembler à la vie d’Amundsen et ses chiens de traîneaux poursuivi par Falcon Scott dans la course au pôle Sud, l’aventure de Shackleton à bord de l’Endurance et les quêtes de sommets de Walter Bonatti.


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Mike Horn sur le pont de Pangaea.
Mike Horn sur le pont de Pangaea. ©Annika Horn

La vie rêvée de Walter Mitty débute à Genève

Le rendez-vous est donné au dépose minute de l’aéroport de Genève. Le ciel est bas, gris et la pluie tombe en masse sur le macadam. Pourtant en ce 23 avril 2023, rien ne pourrait entacher la magie de cette journée. Elle s’annonce comme les prémices d’une aventure épique : prendre part à la nouvelle expédition de Mike Horn à bord de son bateau Pangaea et filer en Arctique.

L’homme a bâti sa réputation en atteignant les pôles Nord et Sud en solitaire. Il a traversé les deux continents gelés à la seule force de ses bras et de ses jambes. Le tour du monde sur la ligne de l’équateur sans assistance motorisé, c’est lui. Le tour du cercle polaire arctique pendant plus de 500 jours en solitaire, encore lui. La descente de l’Amazone sur un morceau de polystyrène, toujours lui. Sa vie est le genre d’aventures qui se lit dans la revue du Tour du Monde ou les vieux grimoires de famille.

Accompagner l’explorateur Suisse au bout du monde pourrait vite ressembler à la vie d’Amundsen et ses chiens de traîneaux poursuivi par Falcon Scott dans la course au pôle Sud, l’aventure de Shackleton à bord de l’Endurance et les quêtes de sommets de Walter Bonatti.

Mike Horn et ses accessoires d’aventures.
Mike Horn et ses accessoires d’aventures. Lucas David

Stop. Soyons honnête. De mon point de vue, il serait plus raisonnable de se comparer à Walter Mitty. Vous savez, le personnage de fiction incarné par Ben Stiller dans son film The Secret Life of Walter Mitty. L’histoire d’un type tout à fait banal qui part à la poursuite d’un photographe intrépide aux confins du globe. L’un est sage et expérimenté, l’archétype de l’aventurier avec un immense « A ». L’autre se retrouve au cœur d’une épopée fantastique, loin de sa zone de confort. Mais avec volonté, humilité et une maladresse rassurante, le personnage termine sa quête sain et sauf. Un film 100 % « feel-good » avec pour seule prétention de vous inviter à prendre votre baluchon et à partir explorer le monde.

Comme ce journal de bord. Et oui, l’aventure ne doit pas toujours se résumer à un objectif hors d’atteinte. Kerouac ne vous l’a-t-il pas assez rabâché ? L’important c’est la route, pas la destination ! Alors concevez l’aventure comme un tout à partager. Les bons moments et les plus compliqués ont tous leur place. Sinon, ça serait comme résumer notre existence à la facette partagée sur les réseaux sociaux. Quel intérêt ?

Mike Horn.
Mike Horn. Lucas David

Au loin, un mini-van blanc me fait des appels de phares et s’approche. Le véhicule s’arrête, les balais d’essuis-glace continuent leur danse sur le pare-brise. La fenêtre côté passager se baisse. L’aventurier au volant scande en rigolant : « Alors Charlito, on y va ou bien ? », avec ce mélange d’accents suisse et sud-africain si unique.

J’ouvre la porte coulissante à l’arrière. Oups. Des sacs de compression jaillissent comme du pop-corn. Une luge en kevlar manque de finir sa glissade sur la voie de bus. Au fond s’entassent des skis, des cartons de nourriture lyophilisée, des cartouches de carburant pour les réchauds, des sacs très lourds remplis de matériel d’escalade, d’autres ultra légers contenant sacs de couchage et vêtements en duvet. Les fermetures éclair sont mises à rude épreuve. Tout est plein à craquer. Hémorragie contenue. Porte fermée. Ça part. Direction, la Ciotat.

Mike Horn dans la timonerie de Pangaea.
Mike Horn dans la timonerie de Pangaea. ©Annika Horn

Mike Horn à La Ciotat

Au milieu de la nuit, Mike gare le van devant Pangaea, son voilier, sur le vieux port. Juste derrière nous, dominent deux immenses grues jaunes des chantiers navals. Elles sont l’emblème de la ville. Au moins autant que le cinéma des frères Lumières, pères fondateurs du cinéma, de l’autre côté du port. L’embarcation en aluminium fait près de 32 mètres de long, 9 mètres de large et pas loin de 36 mètres depuis la tête du mât principal.

Oui, car ce ketch possède deux mâts, le grand à l’avant, le plus petit en retrait. De l’extérieur, il semble haut sur l’eau, et bas de plafond, comme pour se protéger des assauts de la mer. La coque en aluminium fait une douzaine de millimètres : « à l’avant, jusqu’au premier tiers du bateau, il y a une seconde couche d’aluminium pour encaisser les chocs dans la glace. La proue est aplatie, comme ça, Pangaea peut se poser sur les icebergs, sur la banquise ou même sur une plage. On l’a fait en Amazonie », partage le capitaine du navire qui cumule l’équivalent de 27 tours du monde sous son étrave.

Oui, oui, ça fait près d’un million de kilomètres. Mais on parle ici de « mille marin » — cela correspond à une minute de latitude d’un arc méridien. 1.852 kilomètre si vous préférez. Et des milles, Pangaea en cumule donc près de 540 000 depuis sa mise à l’eau en 2008.

Pangaea au port de la Ciotat.
Pangaea au port de la Ciotat. Charles Audier

Mike et Kathleen, sa compagne, sortent du van et appellent Lucas, un jeune matelot enrôlé pour découvrir le monde. Une chaîne humaine s’organise jusqu’aux entrailles du bateau. Chaque sac, chaque pièce de l’attirail de Mike aurait sa place au panthéon d’un musée de l’aventure. La luge a vu les pôles Nord et Sud. Les vestes ont fait le tour du monde, du cercle polaire arctique, des pôles, des sommets du Karakoram.

L’homme n’est pas économe en mots quand il s’agit de partager sa passion de l’aventure. Celui qui ne s’est jamais revendiqué comme un écologiste a pourtant l’économie du tricot chevillée au corps. Les histoires s’enchaînent à mesure que les objets défilent. Celle d’un réchaud dont il revendique la paternité du design. D’une paire de gants faite sur mesure il y a 25 ans. D’une toile de kite utilisée pour réaliser l’exploit de parcourir les 5 100 kilomètres d’une traversée de l’Antarctique, en 57 jours seulement. C’est plus de deux marathons par jour avec 250 kilos de matériels dans une luge « attachée à son froc » s’amuse-t-il. Un exploit en autonomie complète pour avoir le précieux label « sans assistance » dont toutes ses expéditions peuvent se targuer. On aimerait rester sur le quai à passer en revue toutes les aventures.

Pangaea.
Pangaea. Lucas David

« Please respond »

Mais il ne faut pas traîner, on doit rallier Monaco au plus vite. Le « Rocher » et son Yacht Club nous attendent, ainsi que Son Altesse Sérénissime, le Prince Albert II de Monaco. C’est un ami de Mike. Un vrai. Du genre qui vous accompagne au pôle Sud et soutient vos expéditions. Nous allons donc rencontrer un prince, le Prince !

Au beau milieu de la nuit sur le quai de la Ciotat, des locaux sont venus nous saluer et les flashs crépitent tandis que le navire de 110 tonnes fait demi-tour sur lui-même. Les phares vert et rouge de la sortie du port nous guident. Le temps de relever les pare-battages (bouées de protection pour la coque) et d’organiser le pont, on se retrouve dans l’obscurité la plus totale.

Le ciel se découvre et le rideau d’étoiles se présente à nous. « Prends la barre, je vais contrôler la salle des machines », m’ordonne Mike avant de disparaitre. Le bateau a subi un gros chantier de rénovation pour affronter un tour du monde de près de quatre ans. Si notre première étape sera Monaco, l’Arctique, l’Amazonie, la Patagonie et l’Antarctique sont aussi au menu de cette nouvelle expédition. Il n’y a pas de SAC dans le « Grand Nord » ou le « Grand Sud ». Il faut s’assurer de la bonne marche de tous les systèmes.

Les voiles, le gréement, l’hydraulique, l’électrique, tout est passé en revue minutieusement. Les heures défilent. Nos yeux se sont habitués à l’obscurité. J’assimile petit à petit les multiples usages des écrans de contrôle, des manettes de gaz, des données moteur et du radar.

L’obscurité est presque palpable.

Mike Horn pendant l’un de ses quarts, dans la timonerie de Pangaea.
Mike Horn pendant l’un de ses quarts, dans la timonerie de Pangaea. ©Annika Horn

Le silence est rompu.

Une voix inconnue hurle dans l’habitacle : « Vessel heading on 43° at 8 knots speed, please respond ». Panique à bord. Qui parle ? Instinctivement, je fais un tour d’horizon du bateau. Pas de danger imminent. Mike est assoupi sur la bannette à côté du poste de contrôle. Après une poignée de secondes d’hésitation, d’une main tremblante, j’agrippe le micro déporté de la radio incrustée dans le tableau de bord. Fébrile, je lance : « Pangaea, Pangaea, Sailing vessel heading on 43°, over ». Les mains moites, le souffle court, la voix tremblante, submergée par la timidité, il faut se dépatouiller. Et surtout, ne pas réveiller le capitaine.

« Sorry Coast-Gguard, we’re heading to Monaco to fix our radar system. We have small electronical problems onboard but we are able to continue our course to Monaco. We are three people onboard. No emergency. We stay in radio contact if you need more information. Pangaea, over and out ». Cette poignée de secondes semblent une éternité. On dirait que Mike n’a pas réagi à l’événement.

Dix minutes plus tard, il sort de sa bannette. Le sourire aux lèvres, il chuchote : « Tu t’en es sorti avec les gardes-côte. Tip top. On a un problème à régler avec l’AIS, le système qui permet de voir les autres bateaux et d’être vu. Une sorte de plaque d’immatriculation du Pangaea avec des infos qui apparaissent sur l’écran radar. On réglera ça à Monaco. Au moins, ils ne nous ont pas tiré dessus ». Spontanément, avec Lucas, on se regarde sans trop savoir si c’était une blague.

Evidemment, si.

Mais après tout, être un matelot sur Pangaea passe par un apprentissage. Et ce dernier n’empêche pas quelques blagues. Une fois coupé du monde, il faut pouvoir compter sur les autres, et connaître les limites de chacun. Pour nous, c’est simple, Mike est en haut de la pyramide des compétences. Il est qualifié et expérimenté comme nul autre. Tout simplement. Mais lui, peut-il compter sur nous ? Quel est notre point de rupture ? Quel niveau de confiance peut-il investir en nous-autres marins d’eau douce. On le découvrira bien assez vite. On en tire une bonne leçon : le capitaine ne dort jamais, il entend tout, il voit tout.

Pangaea dans la rade de Monaco face au Musée Océanographique.
Pangaea dans la rade de Monaco face au Musée Océanographique. ©Mesi - YCM

Je lance la machine à café. Elle ronronne en remplissant la tasse d’un nectar caféiné. Le cap d’Antibes apparaît sur bâbord (à gauche). On approche de Monaco. Le musée Océanographique de Monaco se dessine au loin. Avec son style néo-baroque, sa posture en équilibre à flanc de falaises et ses fondations enracinées dans la mer Méditerranée, il ne passe pas inaperçu. L’entrée dans le port est lunaire.

A quelques jours du Grand Prix de Formule 1, le Rocher vit au rythme du ballet des super-yachts et des gradins qui fleurissent en bordure de route. Des embarcations pneumatiques et leur pilote en polo blanc s’orchestrent autour de Pangaea pour le glisser entre un Riva Dolcevita et le quai. Juste sous les fenêtres du restaurant du Yacht Club de Monaco (YCM). Sans doute l’un des plus réputés au monde avec celui de New-York.

A peine le temps d’enfiler un t-shirt noir avec sa griffe inscrite en blanc sur le pectoral gauche, Mike saute de Pangaea et salue les officiels du Yacht Club. Nous sommes tout sales et tout salés de notre périple nocturne en mer. Ici, la chemise et la cravate sont de rigueur. J’ai l’impression de débarquer sur une autre planète.

Tout sourire, Mike nous lance « Venez, on va manger un morceau ». Même s’il dénote avec le style ambiant, l’aventurier est ici chez lui. « Quand j’ai fait l’expédition Pangaea entre 2008 et 2012, je suis parti d’ici. Et je suis revenu ici. C’est symbolique », explique-t-il en marchant vers le patio du Yacht Club. Sur le mur, quelques noms inscrits sur une plaque dorée. Aux côtés de Sir Robin Knox-Johnson, Isabelle Autissier, Catherine Chabaud et Eric Tabarly, on retrouve Mike Horn, lui aussi membre du Club.

Pangaea dans la rade de Monaco face au Musée Océanographique.
Pangaea dans la rade de Monaco face au Musée Océanographique. ©Mesi - YCM

Au dernier étage trône une terrasse immense avec une vue sur le château de S.A.S. le Prince Albert II et le musée Océanographique côté face. Côté pile, des barres d’immeubles serrées comme des Kapla entre le rideau de mer et la roche calcaire des montagnes en arrière-plan. Mike sautille comme un gosse et sert des poignées de main à tout-va. A chaque fois la même expression se dessine sur le visage des gens, un mélange de surprise et de douleur. Il n’y a pas de deuxième chance pour faire une bonne première impression. Et à ce petit jeu-là, il est impossible de ne pas se souvenir de la première poignée de main de Mike Horn.

Tout fier, le serveur nous installe à une table en bord de terrasse. Elle domine Pangaea dont le mât principal arrive à hauteur de notre verre de vin rouge servi en plein cagnard. Ploc. Une deuxième bouteille est déjà ouverte. Le changement d’ambiance est soudain. Mais on s’y fait très vite. Les salons privés, le luxe, l’opulence, l’élégance, le mauvais goût aussi parfois, à Monaco, tout est exacerbé. Mais ce n’est pas le plus mémorable. L’expérience la plus déroutante est le choc des cultures. On pourrait presque dire, « choc des classes ». Mais pas au sens de Marx ou Bourdieu comme on a l’habitude de l’entendre. En réalité, des individus extrêmement riches, des célébrités même, s’approchent du bateau en nous voyant bricoler sur le pont. Il est alors frappant de voir à quel point ce destin de marin libre comme l’air leur donne envie.

Réaliser cela, c’est toucher au concept même qui rend Mike Horn si populaire.

Mike Horn à bord de Pangaea.
Mike Horn à bord de Pangaea. ©YachtClubMonaco

« L’échec n’est pas une option »

Alors qu’il aurait pu se réfugier dans le confort de ce que peut offrir l’argent, il détonne dans le décor monégasque par sa capacité… à s’être accompli par lui-même.

Il résume ses expéditions comme le fait de mettre un pied devant l’autre et de répéter l’opération jusqu’à arriver au point final. Bien qu’il réalise ceci dans les endroits les plus inhospitaliers, c’est pour lui cette multitude d’actions infinitésimales qui changent profondément le cours de notre existence. Il concède que la motivation ne l’aide en rien. C’est la discipline qui le maintient en vie. Celle qu’il affûte depuis 30 ans lui permet d’accumuler savoir et savoir-faire pour avancer, sans cesse. Parfois il trébuche, parfois il adapte son plan d’action, mais jamais il ne s’arrête.

« L’échec n’est pas une option », comme il le dit lui-même, résonne dans son esprit comme une ligne de code d’un programme informatique. Il conditionne son corps avec un mental dépourvu de la touche « ESC » de nos claviers d’ordinateurs. Ainsi, il ne perd pas de temps. Mike Horn est un homme pressé de vivre pleinement. En cela, il inspire de manière universelle, hommes, femmes, riches, pauvres, doyens et plus jeunes d’entre nous, asphyxiés par notre mode de vie parfois infernal. Lui trace sa route sans jamais renoncer et nous invite à faire la même chose à notre échelle.

Mike Horn.
Mike Horn. Lucas David

Une histoire de famille

Le soleil tombe sur l’horizon. Les lumières artificielles scintillent sur le rocher et lui donnent un tout autre visage. Les échappements des supercars hurlent à la sortie du tunnel Larvotto. Les zodiacs du Yacht Club de Monaco font la navette entre les deux rives du port. Pangaea chaloupe au contact des vaguelettes provoquées par les embarcations pneumatiques. Le mastodonte d’aluminium fait penser à un lion en cage.

Dans l’antre du bateau, l’équipage s’active sur les derniers préparatifs. Le niveau de fatigue est immense. Mais le capitaine est toujours le premier debout et le dernier couché. Sa famille nous a rejoint pour les derniers préparatifs. Annika a fait une pause dans la préparation de son expédition pour rapatrier les derniers accessoires manquants à l’expédition de son père. Dans quelques jours, elle quittera Lausanne en Suisse à vélo pour rejoindre Reykjavik en Islande. Un périple de 1600 km en solo de la capitale helvète jusqu’à Hirtshals au Danemark. Un ferry l’amènera ensuite jusqu’à l’Est de l’Islande ou elle devra encore parcourir près de 600 km pour nous rejoindre à Reykjavik.

Chez les Horn, l’aventure est un gène qui s’entretient. Jessica, la fille cadette s’occupe d’Inocel, une start-up spécialisée dans la fabrication de piles à combustible à hydrogène, imaginée par Mike à la veille du confinement. A Monaco, elle vient peaufiner les derniers préparatifs au départ de l’expédition. Pour nous, elle partage aussi les dernières avancées en matière d’énergies du futur et s’évertue à dessiner les contours d’un monde qui change, dans le bon sens ! Kathleen, la compagne de Mike est appelée en renfort pour endosser le rôle de matelot pendant la traversée de la Méditerranée. L’équipe est au complet pour célébrer au mieux le lancement de l’expédition What’s Left.

Bateau princier

S.A.S. le Prince Albert II de Monaco et son ami, Mike Horn.
S.A.S. le Prince Albert II de Monaco et son ami, Mike Horn. YCM

Le départ approche. Ça se sent. L’excitation et le stress se confondent. Une poignée d’heures nous séparent du vrai départ. Cette fois, c’est pour de vrai. Il n’est plus possible de faire demi-tour.

La nuit est courte. Au réveil, un cordon de police se dessine autour du bateau. Un tapis rouge est soigneusement installé sur une trentaine de mètres. « Radio ponton », l’équivalent du ou de la « concierge » de votre immeuble, laisse courir un bruit : S.A.S. le Prince Albert viendrait en personne déjeuner à bord de Pangaea pour souhaiter bon voyage à son ami Mike et à son équipage.

Le prince Albert II de Monaco a salué Mike Horn, l’explorateur, au Yacht Club de Monaco, le 3 mai 2023, avant son départ pour sa prochaine expédition « What’s Left » qui va durer 4 années. Le prince Albert, président du YCM, accompagné par son secrétaire générale, Bernard d’Alessandri, a visité le voilier Pangéa de 35 mètres, de l’aventurier à la double nationalité suisse et sud-africaine. Son unité est désormais sous pavillon monégasque. Mike Horn reprend sa carrière d’aventurier avec un dernier grand projet. L’expédition « What’s Left » (« ce qu’il reste ») est conçue pour revisiter les lieux emblématiques qui ont marqué sa carrière, ainsi que les endroits inconnus de l’explorateur. L’objectif est de dresser un bilan de l’état de la planète, de devenir son porte-parole et d’embarquer son public dans cette aventure. Cette expédition fera le tour de la Terre, en pasant par l’Arctique, la jungle amazonienne, l’Antarctique, la Patagonie, le désert australien, la Nouvelle-Zélande, le nord du Canada, l’Alaska, l’Asie…
Le prince Albert II de Monaco a salué Mike Horn, l’explorateur, au Yacht Club de Monaco, le 3 mai 2023, avant son départ pour sa prochaine expédition « What’s Left » qui va durer 4 années. Le prince Albert, président du YCM, accompagné par son secrétaire générale, Bernard d’Alessandri, a visité le voilier Pangéa de 35 mètres, de l’aventurier à la double nationalité suisse et sud-africaine. Son unité est désormais sous pavillon monégasque. Mike Horn reprend sa carrière d’aventurier avec un dernier grand projet. L’expédition « What’s Left » (« ce qu’il reste ») est conçue pour revisiter les lieux emblématiques qui ont marqué sa carrière, ainsi que les endroits inconnus de l’explorateur. L’objectif est de dresser un bilan de l’état de la planète, de devenir son porte-parole et d’embarquer son public dans cette aventure. Cette expédition fera le tour de la Terre, en pasant par l’Arctique, la jungle amazonienne, l’Antarctique, la Patagonie, le désert australien, la Nouvelle-Zélande, le nord du Canada, l’Alaska, l’Asie… YCM

Les cuisines du Yacht Club sont en ébullition. Ça déborde sur Pangaea. Et pour cause, pour le Prince, tout doit être parfait. Le ballet des cuisiniers et du maître d’hôtel laissent place à celui des officiels et des agents de sécurité du Prince.

A bord, la bonne humeur légendaire de Mike rassure tout le monde. L’ambiance est incroyable et ne laisse pas entrevoir la pression ressentie d’accueillir le Prince à bord. Le soleil culmine au zénith, le concert des sirènes de polices résonnent dans tout le port. Le convoi se rapproche. Mike disparaît dans sa cabine et ressort avec une chemise d’une blancheur immaculée. Il file au devant du Prince et l’invite à bord.

On assiste aux retrouvailles de deux amis. Quelques photos sont prises pour immortaliser le moment. La presse est ensuite invitée à quitter le navire. Le patron du Yacht Club, quelques officiels, Mike et l’équipage restent à bord. Le capitaine nous présente. Le moment est solennel et émouvant à la fois. Son Altesse a un mot pour chacun d’entre nous.

A l’abri des regards et des caméras, on découvre deux amis, ravis de se retrouver. L’un est contraint par le protocole à une certaine posture. L’autre est une définition quasi brute de la liberté. Pourtant, à ce moment-là, le Prince Albert II et Mike Horn sont juste deux copains qui trinquent, se remémorent leurs aventures communes et se souhaitent bon vent pour celles à venir. Après le déjeuner, le Prince revêt son costume d’Altesse et retourne vaquer à ses obligations. Mike quant à lui accueille tous les jeunes marins du Yacht Club.

Les jeunes marins du Yacht Club embarquent à bord de Pangaea.
Les jeunes marins du Yacht Club embarquent à bord de Pangaea. ©Mesi - YCM

Ce joyeux capharnaüm compte énormément pour lui. C’est sa manière à lui d’agir pour le futur, il veut inspirer les plus jeunes. Et ce n’est pas une coquetterie pour la communication. C’est une sorte de tradition. Lors de son expédition Pangaea entre 2008 et 2012, près de 200 adolescents avaient pris part à l’aventure par tranche de plusieurs semaines pour parcourir le monde à bord de Pangaea. L’opération, impensable aujourd’hui, était une énorme entreprise il y a quinze ans. Mike emmenait ces ados traverser un océan, un désert ou gravir un sommet à plus de 4000, voire 5000 mètres.

Ce jour, à Monaco, les aventuriers en herbe ont entre 8 et 15 ans. On lit sur leur visage la fascination d’être à bord. Certains s’imaginent déjà à la barre comme Jack Sparrow, le héros de Pirates de Caraïbes incarné par Johnny Depp. D’autres font références à Amundsen et à la conquête des pôles. Tous rêveront ce soir d’être au cœur d’une aventure épique.

Les marins du Club de Voile du Yacht Club de Monaco.
Les marins du Club de Voile du Yacht Club de Monaco. YCM

Quant à nous, il est temps de partir. Mike propose aux jeunes marins de rester à bord pour faire la sortie du port. L’excitation est à son comble. Les moteurs sont mis en branle. Les ordres sont donnés à haute voix. La radio crépite. Le maître du port y invite les navires à jouer de la corne de brume pour célébrer le départ. Les yachts, les super yachts, toutes les embarcations donnent un concert. Le bruit fait vibrer nos entrailles.

Le début de l’aventure What’s Next

Les amarres sont larguées. Pangaea quitte sa place de port avec délicatesse. Nous-autres matelots courront de bout en bout du pont avec les pare-battages. Il faut ranger les amarres, fermer tous les hublots, sécuriser les derniers objets qui pourraient valdinguer. Tout doit être en ordre de marche. En avant toute vers l’aventure. Des fumigènes sont craqués sur le pont. Les larmes coulent sur nos visages, submergés par l’émotion.

L’expédition What’s Left est officiellement lancée.
L’expédition What’s Left est officiellement lancée. ©Mesi - YCM

Une poignée d’heures après le départ, la terre se fait minuscule. Il faut hisser les voiles. La première manœuvre est une catastrophe. Mike a encore beaucoup à nous apprendre. Il est patient et bienveillant. Il sait aussi se montrer directif. Notre courbe d’apprentissage doit être exponentielle. La traversée de l’Atlantique Nord n’est pas une sinécure à cette période de l’année. L’Arctique, n’en parlons pas. C’est un des endroits (avec l’Antarctique) les plus violents au monde, éprouvants pour les hommes comme pour les machines. Et la nôtre, Pangaea, doit déployer ses ailes.

C’est chose faite après 30 minutes d’efforts. On déroule les voiles d’avant avec un système hydraulique. Il peut être actionné par des winchs, eux-mêmes entraînés par un moteur électrique. Soit par nos bras, à l’aide d’une colonne centrale. Il y en a deux sur le pont, disposées de manière symétrique par rapport à l’axe du bateau. Tout est symétrique sur le pont afin d’optimiser les manœuvres. On mouline, on mouline, la voile grimpe le long du mât de plus de 30 mètres de haut. On règle ensuite la cambrure de la voile en ajustant la bôme, l’axe perpendiculaire au mât. A chaque étape, Mike nous guide. Mais l’objectif est d’être rapidement autonome. Lorsque le capitaine rentre dans la timonerie pour contrôler tous les systèmes, on partage nos impressions et observations entre matelots.

L’un des nombreux spectacles offerts depuis le pont de Pangaea.
L’un des nombreux spectacles offerts depuis le pont de Pangaea. Charles Audier

Pangaea met le cap au Sud-Est vers Gibraltar. La nuit se pointe avec son manteau obscur. Par chance, tout est calme. Le corps s’acclimate à son environnement. Dans l’obscurité, il faut concevoir la chose ainsi : chacun va dormir tour à tour. Pas sur ses deux oreilles évidemment. On dort toujours la porte ouverte, la tenue de pont encore sur les hanches et les bottes juste à la tombée des pieds. On doit avoir confiance en la personne de « quart ».

A l’approche de Gibraltar, il faut redoubler de vigilance. Le ciel est dégagé. Voir les astres danser dans le noir intense, dépourvu de pollution lumineuse, est un spectacle unique. Sans crier gare, une nuée de météores illumine le ciel. Trop lente pour être une étoile filante, la traînée s’imprime dans le ciel comme une ribambelle de boutons lumineux. Mais cela semble trop bien ordonné pour être un phénomène naturel. Les satellites… Starlink ! C’est ça, une flotte de satellites file en orbite.

Au petit matin, je profite d’un moment de calme avec le capitaine à la barre. Je prépare le café, c’est la règle, on assiste toujours la personne de quart. Un « capucho’ », mélange de café, de mousse de lait et d’une demi-cuillère à café de Poulain en poudre sert de déjeuner à Mike. (Oui, pour les Suisses, notre petit-déjeuner est leur déjeuner. Notre déjeuner est leur dîner. Notre dîner est leur souper).

C’est l’occasion rêvée d’interroger Mike Horn sur l’expédition What’s Left.

Pour lui et ses proches, cette aventure est une évidence. L’une des volontés du Mike se résume à « retourner sur les lieux de [ses] premières explorations pour constater les changements, mais aussi et surtout de découvrir des coins du monde encore intacts afin de montrer aux gens la beauté de notre planète. Il faut insuffler une dose d’espoir ».

Mike Horn dans la timonerie de Pangaea.
Mike Horn dans la timonerie de Pangaea. ©Annika Horn

Protéger

D’autres personnalités ont déjà conceptualisé cette intention, comme Jacques-Yves Cousteau, avec un syllogisme simple et efficace : « On protège ce que l’on aime. On aime ce que l’on connait ». Faire connaître, c’est donc inciter à protéger. L’océan, par exemple : on a tous conscience de son existence, mais on ne le connaît pas vraiment.

Il en est de même pour les régions polaires. Le monde entier a conscience de leur fonction primordiale dans l’équilibre météorologique du reste du monde. Il suffit d’ouvrir n’importe quel réseau social pour voir Sir David Attenborough s’émerveiller des icebergs et nous conter l’histoire de « Notre planète », Bertie Gregory sur National Geographic nous décrypter la chasse au phoque par une flopée d’orques affamés aux abords de la banquise. Des créateurs de contenus jadis cantonnés à raconter leur vie dans leur chambre s’évadent aujourd’hui aux quatre coins du globe pour sensibiliser leur public à ces enjeux climatiques.

Pourtant, nos actes du quotidien ne semblent pas aller dans le sens de la sauvegarde de ces écosystèmes. L’un des nombreux défis de What’s Left est de faire connaître, et par extension, de faire aimer ces lieux magiques. Sans quoi, on n’a aucune chance de se sentir concerné.

Les guides au milieu de la Méditerranée.
Les guides au milieu de la Méditerranée. Charles Audier

Mike Horn l’ère des réseaux sociaux

Pour encore mieux comprendre Mike Horn, on pourrait l’associer à la pensée d’Henri Bergson et sa fameuse maxime « Agir en homme de pensée et penser en homme d’action ». Rappelons que l’aventurier suisse, né en Afrique du Sud, n’a passé seulement passé sa vie à arpenter les confins du globe. Avant les réseaux sociaux, avant les smartphones, avant les GoPro, il documentait déjà ses aventures.

Lors de ses premières expéditions, il était extrêmement difficile de capter ces images si vous n’aviez pas une équipe de tournage digne d’une production d’Hollywood. Jacques-Yves Cousteau, Paul-Emile Victor, Sir David Attenborough… Tous étaient soutenus par des organismes institutionnels ou des sponsors privés ainsi que des équipes professionnelles.

Mike Horn était solo la plupart du temps. Aujourd’hui, cela paraît logique de prendre une photo ou une courte vidéo d’un moment de vie incroyable dans la nature. Mais quel est l’acte avant-gardiste pour éveiller les consciences et surtout, inviter à l’action ? Aucune idée. Mais une chose est sûre : l’ère du constat est révolue, celle de l’action émerge tout juste. Chacun peut jouer un rôle. Il faut montrer l’exemple sans être donneur de leçon et ne pas attendre d’être irréprochable pour agir. Personne ne doit vous forcer à le faire. Mais rien ne doit vous retenir de le faire pour autant.

Pangaea au milieu de la mer Méditerranée.
Pangaea au milieu de la mer Méditerranée. Charles Audier

On approche du promontoire britannique situé sur la côte Est de l’Espagne, Gibraltar. Cela donne lieu au premier exercice de coordination pour l’équipage : accoster sur un ponton à peine plus grand que Pangaea. Les opérations doivent répondre à une sorte d’harmonie, de rythme, comme en musique, il y a un temps pour chaque chose. Les notes s’enchaînent et nul besoin d’être mélomane pour sentir si une fausse s’invite sur la partition. Sur un pont de bateau c’est pareil.

Je passe la barre au capitaine qui ne la réclamait pas. Mais je n’ai pas encore assez confiance en moi pour prendre le risque d’accoster en abimant le bateau. Surpris de constater néanmoins que Mike m’aurait laissé faire. Il reprend son rôle de chef d’orchestre. Il coordonne les moussaillons à bord. Le vent, le courant, l’espace disponible sont des contraintes extérieures à prendre en compte. Il faut y ajouter les obligations du bord : préparer les amarres, les gardes (cordages pour arrimer la bateau), les pare-battages. Enfin, on doit relayer les instructions de distance entre les différentes extrémités du bateau et les obstacles, à Mike. Opération réussie.

En navigation, il n’y a pas de temps mort, ici il faut briquer le pont de Pangea.
En navigation, il n’y a pas de temps mort, ici il faut briquer le pont de Pangea. Charles Audier

Pas de bosse sur le bateau, chaque marin a encore ses dix doigts, le bateau est en sécurité, son équipage aussi. On débarque, on échange les premières émotions de navigation entre matelots. On se confie nos petits moments de solitude ou de honte lors des quarts précédents, les frayeurs éventuelles. Comme toujours sur un bateau, il y a un peu de bricoles à faire. Le câble entre le servo de l’auto-pilot et la barre semble un peu fébrile, à surveiller donc. Sur le mâat, les chariots de grand-voile ne sont pas parfaitement synchronisés. Mike qui connaît bien son bateau l’avait repéré, pas nous. Il nous invite à sa manière à être vigilants et à ne pas rester de simples spectateurs. A partir de maintenant, il faut être proactif !

Les réservoirs de carburant sont remplis. Ils alimentent les moteurs ainsi que les génératrices pour faire fonctionner tous les systèmes du bateau. En Arctique, les moteurs servent à gagner du temps et à se déplacer avec plus de sécurité au milieu de la glace.

A partir de Gibraltar, chacun mène sa vie en fonction des quarts. C’est un peu comme travailler avec les membres d’une équipe sur différents fuseaux horaires, avec un objectif commun. Les règles ne changent pas, la porte de la cabine reste ouverte, les bottes doivent tomber parfaitement sous les pieds en cas de réveil d’urgence, la veste de quart est prête à être enfilée. Et à chaque bruit suspect, il vaut mieux sortir une tête dans la timonerie et vérifier qu’aucune aide n’est requise. C’est une marque d’engagement vis-à-vis des autres marins. En mer, on ne compte que sur soi et les autres marins à bord.

Au Cap Saint Vincent, à l’Ouest de Gibraltar, l’Océan Atlantique nous met en garde et expose sa puissance. En quelques minutes, des vagues se dressent devant la pointe du bateau. Une « cravate » est posée sur la bosse du 3ème ris dans la grand-voile. On déroule une petite voile d’avant et on prend le cap à 358°, quasiment plein nord.

L’un des nombreux spectacles offerts depuis le pont de Pangaea.
L’un des nombreux spectacles offerts depuis le pont de Pangaea. Charles Audier

Et soudain

Entre deux coups de vent, le pilote automatique fait défaut. Le câble de relais sur le système de gouvernail casse. Rapidement, un matelot prend la barre tandis que le capitaine bricole un système de fortune qui s’avère presque plus solide que l’original. A peine le premier pépin réglé qu’un autre survient. A l’autre bout du pont, un chariot de grand-voile se décompose et la goupille faisant office de liaison entre les éléments, saute de son foyer et termine par 4000 mètres de fond. Ça gesticule sur le pont, Mike grimpe au mât, ni une ni deux, c’est réparé. Dans la nuit, la girouette perdra la boule et ne donnera plus aucune information. Une halte s’impose à Lisbonne.

Dans la rade de la capitale portugaise, l’équipage met l’annexe à l’eau, une embarcation semi rigide avec un moteur hors de 60 chevaux. C’est amplement suffisant pour aller faire des emplettes au cœur de la zone artisanale du port. En quelques heures les courses sont faites.
Au retour, un crochet par la mythique Pasteis de Belem s’improvise. Deux cartouches de ces délicates « Pastel de Nata », sortes de flans pâtissiers coulés dans une pâte feuilletée, font le bonheur de l’équipage.

Au coucher du soleil, Mike décide de lever l’ancre. Cette fois, c’est une plongée dans le grand bain. Le prochain objectif, le prochain arrêt donc, c’est l’Islande à 1 600 milles nautiques (3 000 kilomètres) plus au nord, avec au menu la traversée de l’Atlantique Nord. A cette saison, ce n’est pas une promenade de santé.

L’objectif est de longer la côte portugaise vers le nord. Arrivés en Corogne, au Cap Finisterre, on mettra le cap au Nord-Ouest vers l’Islande. Le fait de longer le Portugal nous met à l’abri le long de la côte et nous permet de conserver un minimum de réseau pour récupérer des fichiers météos. Car une fois au milieu de l’Atlantique, nous n’aurons plus d’infos avant d’atteindre l’Islande. Plusieurs houles se croisent le long de la côte, une partie vient du large, une partie a ricoché sur le Portugal et repart au large. Le résultat est très inconfortable.

Mike Horn.
Mike Horn. ©Annika Horn

Le Cap Finisterre : point de passage clé

Connu des grands marins, il jouit d’une réputation coriace. La topographie des lieux génère un phénomène d’accélération des vents venus des régions alentour. Par chance, Pangaea le passe sans encombre. Le bateau s’enfonce alors dans l’Atlantique Nord. La houle s’allonge, l’air se fait inévitablement plus frais qu’en Méditerranée, mais une étonnante douceur flotte sur le pont. Les ondulations de la houle sont cossues mais très bien rangées et déroulent sous la coque du bateau en douceur.

A la barre, les matelots devenus marins se croisent entre les quarts. Le roulis du bateau instaure un rythme particulier. Sans même s’activer comme des forçats sur le pont, l’équipage est pris d’une forme de léthargie, un flegme marin qui dicte les longues siestes entre les quarts. On se surprend à « bailler » après seulement trois heures à la barre, en sortant… d’une sieste. En cuisine, Lucas enfile sa toque de chef et jongle avec les casseroles, poêles et assiettes. Elles se baladent au gré des mouvements du bateau, offrant une chorégraphie surprenante. Les assiettes toujours colorées et savoureuses s’enchaînent, se dégustent et rythment notre quotidien.

Les jours de la semaine disparaissent, seuls les chiffres résonnent dans nos têtes et s’inscrivent sur le journal de bord. Quel jour sommes-nous? Le 15 ? 16 ? 19 ? Le 24… mai.

Pour parcourir les 1600 milles nautiques qui nous séparent de l’Islande, Pangaea en parcourt près de 200 par jour. Il faut donc environ huit jours pour atteindre notre destination. Lorsque l’on navigue, on utilise un fichier météo dit GRIB (GRIdded Binary). Ce « GRIB » est une compilation des données météorologiques dans une zone géographique et pour une période choisie par l’utilisateur. Un algorithme interprète les données et génère une visualisation sur une carte via un autre logiciel. Résultat, on voit le bateau évoluer sur le globe, avec les conditions météos dans les environs. Mais puisque le dernier GRIB a été récupéré en nous éloignant du Cap Finisterre, plus on avance dans le temps, moins le fichier météo est fiable.

Vous voyez la surprise arriver ?

Capitaine Mike Horn à la barre de Pangaea.
Capitaine Mike Horn à la barre de Pangaea. ©Annika Horn

Lui, sait

Après six jours de navigation, le vaillant fichier arrive à date de péremption. Il faut lui reconnaître une certaine exactitude jusqu’ici. Mais deux systèmes dépressionnaires distincts et visibles à J+7 sur le GRIB se sont acoquinés dans notre dos. Et nous n’avions aucun moyen de le savoir. D’expérience, Mike Horn avait anticipé une situation de ce genre. Il met alors à profit ses années de « coaching » auprès d’athlètes en tout genre pour motiver l’équipage. Lui, sait. Il sait combien la mer qui se forme autour de nous présage d’un redoutable coup de Trafalgar à 200 milles nautiques de l’Islande.

Jusqu’ici rangée, la houle se révolte. Les traces d’une houle principale solide se mêlent à celles d’une houle émergente, plus fraîche, plus vile. Les bourrasques de vent se font de plus en plus chantantes. Pangaea se débat avec férocité face au trio « vent, vagues et courant » pour nous maintenir à l’abri. Il se dandine avec élégance et déjoue les pièges de la mer en dansant sur les crêtes de vagues, s’assoit dans les creux de houle pour éviter les coups de raquette.

En revanche, des vagues scélérates surgissent de nulle part. Le pilote automatique rend les armes. Il faut prendre le relais, à la barre, attaché par un baudrier au mât d’artimon. Avec un angle de gîte avoisinant parfois les 60°, on passerait vite par dessus les bastingages. Heureusement, la nuit arctique est courte et diffuse sans obscurité complète, sans quoi l’opération serait bien plus périlleuse.

A l’arrière, la puissance des vagues soulève le gouvernail principal, dans des fracas étouffés par les bourrasques assourdissantes. Normalement, le système de bascule du gouvernail est utilisé dans les glaces. Lorsque la coque rencontre un morceau de glace, le gouvernail se relève pour ne pas casser. Mais là, les vagues sont si puissantes, près d’une dizaine de mètres, qu’elles soulèvent la tonne d’aluminium de l’appendice, faisant perdre au bateau la capacité de maintenir un cap.

Mike Horn à la barre.
Mike Horn à la barre. ©Annika Horn

Il n’y a plus une minute à perdre. Mike et nous fait signe de l’accompagner et se rue à l’arrière du bateau. Au pont inférieur dans l’atelier, il découpe en vitesse des cales en bois pour essayer de coincer le plateau du gouvernail. Pourtant périlleuse, la mission n’a même pas le mérite d’être récompensée. Le gouvernail sort de ses gonds en s’agitant comme un taureau de foire. La situation peut rapidement devenir critique. Si Pangaea n’est plus manœuvrable, il peut se présenter avec le mauvais angle face aux vagues. Et la suite, on ne veut même pas l’imaginer.
Le vent souffle à plus de 70 nœuds (130 km/h).

Mike semble, lui, comme un poisson dans l’eau. L’aventurier a le sourire aux lèvres, il vient d’avoir une idée. Il tente sa chance et actionne la grue située sur le pont arrière, parallèle au gouvernail, entre les creux de près de 10 mètres qui s’écrasent inlassablement sur le pont. Par à-coup, la grue se positionne au-dessus du gouvernail. Fin du problème. Jusqu’au prochain — qui ne tarde pas à arriver.

Des mètres cubes d’eau s’écrasent sur le pont à chaque vague. L’eau de mer trouve un moyen de s’infiltrer à l’intérieur. Et toute cette eau se concentre dans le point le plus bas du navire, la salle des machines. C’est ainsi plus facile de l’évacuer. Quand les pompes de cales fonctionnent. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Entre alors en scène la motopompe, sorte d’aspirateur à eau géant pour vider une piscine, une cave remplie d’eau, ou en l’occurrence, une cale moteur. On se lance alors dans une chorégraphie à trois, Mike, Lucas et moi. D’un côté, un tuyau avec crépine plonge au point le plus bas de la salle des machines. A l’autre extrémité, un tuyau renvoie l’eau de mer à son élément, l’océan. Entre les deux, la motopompe.

L’engin s’élance et avec lui un panache de fumerolles de diesel. Le mal de crâne survient très vite mais n’est pourtant pas la priorité. On plonge sans concession dans les compartiments de la cale. On célèbre le succès de l’opération qu’il faudra répéter une demi douzaine de fois en six heures, trempés de la tête aux pieds, accroupis sur le plancher du garage et oubliant presque un instant que dehors, la nature gronde et semble nous réprimander d’être là.

Mike Horn à la barre en pleine tempête.
Mike Horn à la barre en pleine tempête. Lucas David

Pour Mike Horn, c’est le terrain d’apprentissage idéal. Pour nous-autres équipiers, c’est le baptême du feu. Pour le radeau de survie sur le pont arrière c’est la grande évasion. Il se décroche de son socle et finit sa course dans l’océan, non sans passer tout près du barreur sur le pont supérieur, surpris de voir l’objet à une place si… incongrue.

Quelques heures plus tard, à l’approche de l’Islande, l’appel de Mike aux garde-côtes les laisse pantois. « Que faites-vous dehors par ce temps ? », lance un officier Islandais au capitaine de Pangaea avec un accent très « viking ». Il y a de la place à l’abri pour Pangaea. Encore heureux… Sinon, je ne donne pas cher de notre peau deux jours de plus dans la tempête.

Reykjavik, la capitale, n’est pas envisageable à cause de l’angle du vent et des vagues. Le garde-côte nous invite à rejoindre le port abrité sur l’île de Vestmannaeyjar. C’est un petit morceau de roche volcanique au sud de l’Islande.

A cause des parois rocheuses de l’île, des courants d’air particulièrement violents rendent la manœuvre de réduction de la voile très compliquée. L’abri en vue, il faut maintenant faire descendre la grand-voile dans ces courants d’air diaboliques. Mike maintient le bateau face au vent mais ça implique de se rapprocher dangereusement de l’île. On s’y reprend à deux fois. Et l’opération se solde par un succès. A la radio, on entend le maître de port demander si on peut « attendre l’entrée d’un ferry à passagers » avant de se présenter. D’un calme olympien, Mike confirme la requête et se tourne vers nous avec le sourire.

Soyons gentlemen, laissons-les se mettre à l’abri d’abord »

On fait littéralement des ronds dans l’eau en attendant le passage du ferry. A l’entrée du chenal naturel de l’île, le vent s’engouffre et s’accélère, laissant des sortes de mini-tornades s’échapper du chenal comme pour nous crier de rebrousser chemin. Qu’à cela ne tienne. Mike fait vrombir les moteurs et joue d’une dextérité exceptionnelle pour manœuvrer Pangaea entre les hauts fonds, le courant et les bourrasques qui ravagent le pont.

Il est trois heures du matin, on approche du quai faiblement éclairé. Le maître du port est venu avec son véhicule utilitaire et active les gyrophares sur le toit pour nous indiquer l’endroit où accoster. Sa silhouette drapée d’une tenue de sécurité jaune fluo se dessine à mesure que l’on approche du quai. Mike est calme. L’équipage ne l’est pas du tout.

Capitaine Mike Horn à la barre de Pangaea.
Capitaine Mike Horn à la barre de Pangaea. ©Annika Horn

« On a un essai les gars, faisons en sorte que ça marche ! », lance Mike pour motiver les troupes. Comme des cow-boys devant l’entrée d’un enclos, prêts à attraper un bovin en furie avec un lasso, chacun est à son poste sur le flanc bâbord de Pangaea. L’approche se fait avec un angle d’une trentaine de degrés. Le quai arrive vite. Mike inverse brutalement la vapeur et ordonne aux 1.000 chevaux des moteurs de balancer la sauce en marche arrière ! Le vent en a décidé autrement.

« Lancez les amarres », hurle Mike. Dans une embardée incontrôlable, le nez de Pangaea pivote face au vent et offre son flanc tribord aux bourrasques. La proue vient heurter violemment les énormes pneus d’engins de chantiers installés en rideaux de par-battages sur le quai. BOOM !

L’ancre située à la pointe avant du bateau tape sur l’un des pneus et rebondit ensuite sur la coque de Pangaea dans un vacarme assourdissant. Le gréement tremble de toute part. Pendant une fraction de seconde, le temps s’arrête, il n’y a plus un bruit. Comme pour ponctuer douze jours de navigation depuis Monaco et 36 heures dans les entrailles d’un océan en furie.

L’équipage est sain et sauf. Pangaea n’a pas une égratignure. On s’amuse à imaginer le destin de notre radeau de survie. Un mégot est allumé et vite grillé par le souffle court et l’excitation de notre épopée. Cette nuit, à l’abri, le sommeil sera facile à trouver.

Bientôt, il faudra repartir pour le Groenland.


Retrouvez le récit de Charles Audier, journaliste et matelot novice, en janvier sur thegoodlife.fr

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