The Good Road Trip : À la découverte des Langhe

Par Geneviève Brunet, le 18 novembre 2022

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Voyage

Plonger dans les secrets ancestraux du vin et de la truffe, le temps d'un road trip… peut-on désirer mieux ? Au volant de notre malicieuse Fiat 500, nous avons traversé, comme en un travelling, les paysages des Langhe, site inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Toit ouvert, nos airs italiens favoris jetés dans le ciel, nous avons réveillé les vignes automnales du Barolo, sous l’œil amusé des viticulteurs au volant de leur tracteur. Balade feutrée et joyeuse au pays des (très) bonnes choses.

Nous roulions vers La Morra, entre Alba et Barolo, lorsque nous fûmes touchés par une étrange impression d’irréalité. Dix-huit heures. Le soleil rasait les pieds de vigne inclinés sur les coteaux. Une lumière dorée coulait dans le paysage. Les vendanges allaient commencer bientôt, c’était le calme avant la tempête. Vitres et toit ouverts, nous roulions à bord de notre voiture au milieu de cet or vert dans un silence total. Pas de bruit, mais pas d’odeurs non plus. Nous étions dans les Langhe.

En ce crépuscule d’été caniculaire, les pieds de vigne, courbés sous leurs grappes saturées de sucre, ne dégageaient aucun parfum et cette balade commençait à prendre une tournure étrange. Je conduisais, notre photographe Luca A. Caizzi mitraillait le paysage. Intimidés par ce vide, nous ne parlions pas. Il a posé son appareil et commencé à tripoter les boutons du tableau de bord. Les premières notes d’Amarcord (de Federico Fellini, 1973) ont envahi l’habitacle et se sont échappées par l’ouverture du toit.

Nous avions rendez-vous à Roddi avec le trifulau Gianni Monchiero, une figure locale, fondateur de l’université des chiens truffiers. Les siens, une courte bâtarde bonasse et un pinscher nain sans pedigree, n’étaient pas impressionnants, mais ils étaient réputés pour être des cadors dans leur discipline. « Pour les éduquer, il suffit d’associer la recherche au jeu et d’affûter leurs sens au parfum de la truffe », assurait Gianni, héritier d’une longue lignée de trufficulteurs et d’une carte des meilleurs coins de la région… dans la tête. « La région est parfaite pour la truffe et notamment la blanche, car la chimie de la terre est particulière. Lorsque la neige fond, elle imprègne lentement le sol… » Vous le rencontrerez avec ses trésors biscornus à la foire aux truffes d’Alba, où plane chaque année, en octobre et novembre, une atmosphère à la fois mystérieuse et excitante.

« La région est parfaite pour la truffe blanche »

Nous avions récupéré notre petite citadine à l’usine Fiat de Turin. Bunker cadenassé sur ses secrets, dont sortaient à rythme régulier des Maserati, parties faire des essais sous une tenue de camouflage composée de stickers assez disgracieux. Avant de prendre la route, nous avions eu le temps de musarder dans l’ancienne capitale italienne, garant la puce dans des trous de souris pour aller déguster un bicerin (espresso, chocolat et crème fouettée, diététiquement dans le rouge aussi !) au café du même nom et grignoter au bar Mulassano quelques tramezzini à la langouste, au vitello tonnato (veau au thon), et bien sûr, à la truffe. On prétend, ici, avoir inventé ce petit sandwich triangulaire sans croûte et fondant. Le cadre inchangé depuis la fin du XIX^e siècle et les serveurs d’époque méritent en tout cas le coup d’œil. 

Turin, capitale de la slow food

Places cerclées d’arcades, cafés historiques, terrasses bruissantes de jeunesse, ébullition artistique : depuis son apparition sur la scène comme capitale mondiale du design en 2008, Turin a mené de main de maître son changement d’image, tout en préservant son charme aristocratique. Première capitale de l’Italie, en 1861, fief du constructeur automobile Fiat, elle mêle architecture néoclassique et audace, telle la Mole Antonelliana édifiée, comme la tour Eiffel, avec des matériaux venant de l’industrie. Ce bâtiment, destiné à être une synagogue, a fini en musée national du Cinéma !

Turin est aussi la patrie de Mario Merz, l’un des maîtres de l’arte povera. Sa fondation, dans la sublime ancienne fabrique Lancia, retrace son paysage artistique. L’univers de Carlo Mollino, architecte génial, esthète excentrique, photographe et pilote de course, est, lui aussi, propre à vous emporter. Il avait conçu sa Casa comme un temple secret. Les nouveaux maîtres des lieux, Fulvio Ferrari et son fils, Napoleone, l’ont transformée en musée vivant dont ils ouvrent les portes sur rendez-vous. Renversant.

Les Langhe, havre de paix italien

Le lendemain, c’est au son de la voix rauque et chic de Paolo Conte que nous roulons vers Asti, dans les Langhe, où vit toujours le Piémontais chantant. Espérant croiser le musicien sur une terrasse de la place du Palio, nous avons arpenté les allées du marché, celles de la halle couverte et compris pourquoi l’ex-avocat assure vivre ici « pour garder du temps pour la nostalgie ». Après avoir pillé les stands de pecorino, égayés par les tabliers en Nylon des ménagères, et discuté avec des maraîchers, après avoir grignoté une pizza à la truffe et sifflé un vermouth, nous n’avions plus envie de partir.

Asti, c’est très beau. Vous butez sur les marches d’un palais au coin d’une rue, sur celles d’un musée au coin d’une autre. Du baroque, du roman, du paléolithique, des antiquités égyptiennes… Nous n’avons pas croisé Paolo, mais coché la case alibi culturel. La « puce » avait encore assez d’énergie (au sens propre) pour aller faire un tour dans les vignes, enfin ! Chaud et sec l’été, très froid l’hiver : ce climat parfait a fait des collines des Langhe et du Roero le creuset de certains des meilleurs vins du monde. Au point d’avoir été classées par l’Unesco. On y cultive, notamment, le nebbiolo, un cépage qui appartient aux barolos, une réponse du Piémont au pinot noir.

Il n’y a pas si longtemps, la terre était quasiment donnée, aujourd’hui chaque hectare coûte cher. Marketing oblige, les domaines ont fait appel à des architectes, maillant le paysage de constructions plus ou moins heureuses. Le trophée du genre revient à la famille Cerullo, qui exploite certaines des plus belles vignes de barolo depuis les années 70. La jeune génération a eu l’idée, pour attirer l’œil des visiteurs internationaux, de parsemer ses parcelles d’œuvres d’art. Les Bancs géants aux couleurs primaires du designer Chris Bangle sont moins convaincants que la chapelle explosive imaginée par Sol LeWitt et David Tremlett. 

Pour découvrir les secrets de ce cépage improbable des Langhe qui dégage tant de tanins et, pour les meilleurs spécimens, des arômes parmi les plus complexes et les plus exotiques des vins rouges, nous plongeons dans les caves du domaine de Fontanafredda. Un lieu à histoires, retraite secrète du roi Victor–Emmanuel II et de sa maîtresse Rosa. Leur fils illégitime, Emanuele Alberto, aussi épicurien que visionnaire, a eu le premier l’idée de planter de la vigne dans cette région.

Son « village » est devenu l’un des plus grands domaines de barolo et appartient aujourd’hui à Oscar Farinetti (Eataly), l’un des pères fondateurs du mouvement de la slow food. La maison exploite 120 hectares de réserve naturelle tout à fait vertueuse et a ouvert un somptueux parc avec ses aménagements d’époque à la visite. Sur la place de Barolo, une carte recense les 42 domaines qui constituent ce petit terroir béni des dieux. Le village, édifié sur une colline, surplombe cette mosaïque verte. Nous hésitions à visiter le musée du Tire-bouchon et lui avons préféré le WiMu, consacré au vin et qui scénographie, dans un joli petit palais, le breuvage des dieux dans un style légèrement kitsch et rafraîchissant.

En fin de parcours, le conservateur s’est amusé à convoquer ses souvenirs cinéphiles pour projeter sur écran géant des extraits de grands réalisateurs, d’Antonioni à Hitchcock en passant par Kusturica qui se sont, à un moment ou à un autre, inspirés du vin. Projection savoureuse. À la sortie, difficile, devant la concentration de wine bars et d’œnothèques, de résister à une petite dégustation de ce barolo à la robe acajou orangé et aux tanins rugueux. Difficile lorsqu’on vous sert une lichette de ce nectar longuement vieilli et vendu au prix du caviar de la cracher ! C’est donc le palais comblé et l’humeur romantique que nous avons repris la route, enveloppés des notes de Lucio Dalla. Nous ne pouvions pas faire moins dans les Langhe.

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Pour vous accompagner dans cette balade, retrouvez la playlist « The Good Life #55 : The Good Road Trip dans les Langhe » de Geneviève.

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