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Les musées et le monde de l’art occupent une place très importante dans la production de Jean‑Michel Wilmotte. Rencontre, 2023 -TGL
Les musées et le monde de l’art occupent une place très importante dans la production de Jean‑Michel Wilmotte. Rencontre, 2023 -TGL
Marine Mimouni

Horlogerie

Jean‑Michel Wilmotte : « Le musée ne doit pas devenir une œuvre d’art »

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À la tête de l’une des agences d’architecture les plus importantes en France, ce touche‑à‑tout qui multiplie les projets aux quatre coins du monde a reçu The Good Life dans ses bureaux, dans le quartier de la Bastille.

Les musées et le monde de l’art occupent une place très importante dans la production de Jean‑Michel Wilmotte. Rencontre.


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Rencontre avec Jean‑Michel Wilmotte

The Good Life : Vous avez étudié à l’école Camondo. D’où vous vient ce goût pour l’art et la muséographie ?

Portrait de Jean‑Michel Wilmotte.
Portrait de Jean‑Michel Wilmotte. Luc Castel

Jean‑Michel Wilmotte :  J’adore travailler avec les artistes. J’ai d’ailleurs réalisé l’atelier de Jean‑Pierre Raynaud en 2009. La muséographie m’a toujours attiré. J’ai eu la chance d’être invité à refaire le musée des Beaux‑Arts de Nîmes, en 1987 – mon premier projet de musée.

Un point de départ qui m’a conduit ensuite au musée du Louvre, aux côtés de Ieoh Ming Pei, où nous avons réalisé l’architecture d’intérieur et la muséographie de l’aile Richelieu, en 1993. C’est ainsi qu’a démarré mon histoire avec la muséographie.

Le musée du Louvre, où vous êtes revenu plus tard pour la création du département des Arts premiers…

J.-M. W. : En 2000, il y a eu un tournant très important lorsque se sont généralisés les dispositifs de sécurité placés à l’entrée des musées. Les mesures de sécurité à l’intérieur des institutions ont ainsi disparu puisque le contrôle se faisait en amont de la visite. Ce qui explique la différence entre le département des Arts premiers et l’aile Richelieu, où les vitrines présentent des structures imposantes assorties de verres très épais antieffraction.

Lorsque nous avons livré le département des Arts premiers, ces contraintes n’étaient plus les mêmes et permettaient de renouer avec la pureté dans le dessin de ces vitrines. Ces dispositifs ont tout changé et le département des Arts premiers constitue une étape dans la nouvelle muséographie, largement reprise par la suite. C’est grâce à ce travail que nous avons pu réaliser ensuite le musée d’Art islamique, à Doha, en 2008, puis le Rijksmuseum, à Amsterdam, en 2013, deux références majeures.

Ces dispositifs ont également modifié le rapport entre le musée et les visiteurs…

J.-M. W. : Absolument. Les vitrines ne forment plus des boîtes autour des oeuvres, mais permettent d’offrir de l’espace autour d’elles. Cela a créé un nouveau rapport entre l’oeuvre d’art et le visiteur.

Quelles ont été les révolutions techniques majeures dans le domaine de la muséographie ?

Dès 2025, le nouveau siège du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) s’étendra sur 6 600 m2 au coeur de Cognac.
Dès 2025, le nouveau siège du Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC) s’étendra sur 6 600 m2 au coeur de Cognac. REDMAN / WILMOTTE & ASSOCIÉS ARCHITECTES

J.-M. W. : La première, c’est l’apparition de la fibre optique, grâce à laquelle il n’y a plus de problèmes liés à la chaleur. La source lumineuse peut être loin des vitrines, alors qu’auparavant les spots chauffaient et abîmaient les oeuvres. Puis est arrivée la LED. Nous sommes revenus à des éclairages à l’intérieur des vitrines sans craindre les méfaits de la chaleur. Et les LED, autrefois très blanches, permettent aujourd’hui des lumières plus chaudes, qui valorisent bien mieux les oeuvres.


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Lorsque vous vous rendez dans les musées, quel regard portez-vous sur les lieux ?

Jean‑Michel Wilmotte : J’y vais avec beaucoup de curiosité. Il ne faut pas y aller avec un regard professionnel, sinon on a envie de changer l’accrochage ou d’éclairer différemment !

Comment abordez-vous chaque commande de musée ?

J.-M. W. : Chaque fois, c’est une rencontre entre la typologie des oeuvres, le lieu, les conservateurs, l’époque et la technologie qui évolue. En 2008, nous avons livré la muséographie du musée d’Art islamique, à Doha, réalisé par Ieoh Ming Pei. Les oeuvres y sont exposées dans des vitrines spécialement conçues pour le musée, posées au sol, nichées dans les murs ou agencées sur de grandes tables. Reprenant la muséographie mise en place au Louvre, chaque vitrine, surdimensionnée, est en verre extra blanc et antireflet, avec une structure métallique très fine.

Très peu d’objets sont éclairés par le plafond. Cette transparence donne au visiteur l’impression d’admirer des objets en lévitation. De nombreux conservateurs sont venus à Doha pour visiter ce musée qui a marqué un tournant dans la muséographie, dans le rapport qu’il établit entre éclairage et espace, dans la proportion entre les oeuvres et les vitrines. Au‑delà des oeuvres, ce qui me passionne dans la muséographie, c’est aussi le backstage technique. Il ne se voit pas, mais c’est un sujet aussi intéressant qu’essentiel.

Vous avez ensuite réalisé cet autre musée phare qu’est le Rijksmuseum, à Amsterdam…

Vue de l’entrée principale et de ses engravures reprenant le profil des flacons de Cognac.
Vue de l’entrée principale et de ses engravures reprenant le profil des flacons de Cognac. REDMAN / WILMOTTE & ASSOCIÉS ARCHITECTES

Jean‑Michel Wilmotte : C’est une histoire au long cours, puisqu’il a fallu treize ans pour réaliser la muséographie de ce musée livré en 2013. Là-bas, l’aménagement est pensé pour mettre en valeur la structure existante et permet de valoriser la présentation des collections, notamment grâce au jeu de transparence des vitrines. Nous avons privilégié la sobriété. Les couleurs des murs et des voûtes sont unies dans chaque espace, sur toutes les surfaces, quelles que soient les formes et les ornementations, dans l’objectif de créer un environnement neutre pour laisser la part belle aux oeuvres.

Vous êtes retourné cette année au Rijksmuseum, où vous avez conçu la scénographie de l’exposition Vermeer qui vient de se terminer…

J.-M. W. : En effet, et j’ai adoré ce travail, mélanger des sources lumineuses chaudes et froides pour redonner de la vie aux tableaux de Vermeer. Quand j’ai découvert le Rijksmuseum, il y a une vingtaine d’années, il était entièrement recouvert de tentures et de tissus, formant une toile de fond pour les tableaux.

Lorsque Taco Dibbits, le directeur du musée, m’a demandé de créer la scénographie de l’exposition Vermeer, ces images du Rijksmuseum que j’avais découvertes lors de ma première visite me sont naturellement revenues à l’esprit. Inconsciemment, les plissés qui m’avaient alors dérangé sont devenus le point de départ de mon projet, comme un clin d’oeil, un retour aux sources. D’où cette idée de grands rideaux de velours, de trois couleurs sombres : rouge, bleu et vert.

Lorsque nous avons fait l’accrochage, nous avons réalisé qu’un rideau était présent dans un grand nombre de tableaux, tout était dans le subconscient ! Ainsi, le dialogue s’établit. Le velours accroche la lumière d’une façon particulière, il est acoustiquement extraordinaire. La muséographie tient à plein de choses : à la lumière, l’accrochage, bien sûr, mais aussi à l’acoustique. Un tableau peut être bien plus beau dans un espace où les bruits sont étouffés qu’au milieu de sons aigus.


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Les projets de musée que vous menez impliquent systématiquement la transformation de l’existant, sujet crucial que vous avez investi il y a fort longtemps…

J.-M. W. : Ce sujet me passionne. Cela a démarré lorsque nous avons réalisé le musée des Beaux-Arts de Nîmes, mais également la mairie. Le bâtiment était très abîmé. Il avait été rénové dans les années 60, avec des faux plafonds et des papiers peints partout. Lorsque nous avons commencé à travailler, nous avons mis le bâtiment à nu, retrouvé des voûtes gothiques et des éléments historiques sublimes. L’enjeu était le dialogue entre le contemporain et l’ancien à travers la valorisation réciproque des deux époques.

Cette thématique est devenue votre marque de fabrique, mais aussi celle de la Fondation W, que vous avez créée en 2005. Pour quelles raisons ?

Jean‑Michel Wilmotte posant dans la Station F, qu’il a créée dans l’ancienne halle Freyssinet, dans le 13e arrondissement de Paris.
Jean‑Michel Wilmotte posant dans la Station F, qu’il a créée dans l’ancienne halle Freyssinet, dans le 13e arrondissement de Paris. Luc Castel

Jean‑Michel Wilmotte : Nous avons imaginé la Fondation W sur le thème de la greffe contemporaine : c’est une façon de redonner vie à un bâtiment au moment du changement d’usage, en conservant tout ou partie de cet édifice et en lui adjoignant des extensions contemporaines. Il ne s’agit pas d’en faire un pastiche, mais, au contraire, d’utiliser notre langage contemporain et les matériaux de notre époque.

La réhabilitation était alors très peu enseignée dans les écoles d’architecture, de même que les modalités de transformation d’un bâtiment lors d’un changement d’affectation. En Europe, il n’y a plus de place pour construire sur des terrains vierges. Et quand bien même il y en aurait, l’urgence écologique nous impose de choisir la réhabilitation plutôt que la construction neuve en masse. Il nous paraît essentiel de sensibiliser les jeunes architectes aux problématiques de la réhabilitation et d’encourager la requalification des sites existants récents ou anciens.

Cette fondation d’entreprise soutient également les étudiants en organisant le prixW, concours d’architecture organisé tous les deux ans…

Jean‑Michel Wilmotte : Cette année, le concours portait sur un sujet passionnant : « Un toit pour tous ». Pour cette dixième édition, je souhaitais travailler sur des propositions originales autour du logement. Nous avons invité les participants à concevoir des modules habitables qui viendraient se glisser sous les toits existants, mais inexploités. Nous avons reçu des projets remarquables. Le rythme du concours est celui de la Biennale d’architecture de Venise.

Quel est l’objectif du prix W ?

Jean‑Michel Wilmotte : Aider les jeunes architectes dans les premiers moments de leur carrière. Pour ce prix W, nous réalisons les maquettes des projets primés qui sont exposés à la fondation durant toute la Biennale de Venise et nous publions un catalogue : ce sont des éléments valorisants pour les étudiants, une façon de les soutenir, de les faire entrer dans la cour des professionnels et de créer de nouveaux réseaux importants. La Fondation leur accorde également des bourses.


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Votre vision de l’architecture est très transdisciplinaire…

Une écriture architecturale alliant patrimoine et modernité.
Une écriture architecturale alliant patrimoine et modernité. REDMAN / WILMOTTE & ASSOCIÉS ARCHITECTES

J.-M. W. : Absolument. C’est pour cette raison que le design a toujours été très important dans mon activité. C’est un véritable laboratoire qui permet de réaliser à une petite échelle ce que nous réalisons ensuite à l’échelle de l’architecture et de maîtriser les détails, même s’il faut souvent se battre !

J’ai commencé par étudier dans une école d’architecture en Belgique, puis je suis revenu en France, à Camondo, car la temporalité de l’architecture me semblait difficile. Vous concevez quelque chose et vous avez une chance éventuelle qu’il soit en construction trois ou quatre ans plus tard. J’étais trop pressé pour ça. En design, si on dessine quelque chose lundi matin, l’objet peut être réalisé à la fin de la semaine !

Vous êtes pourtant revenu à l’architecture…

Jean‑Michel Wilmotte : Après avoir fait beaucoup d’architecture intérieure, j’ai ressenti l’envie de revenir à l’architecture. Comme nous avons la chance d’avoir de nombreux de projets et qu’ils se superposent et s’enchaînent, l’attente n’est plus la même.

Vous avez beaucoup construit, et dans de très nombreux domaines. Y a-t-il encore des sujets qui vous enthousiasment ?

J.-M. W. : Nous travaillons actuellement sur la restructuration et l’extension de l’Hôpital américain, à Neuilly-sur-Seine. Le chantier a commencé en 2022. Il s’agissait de réaliser une greffe contemporaine. Nous avons remporté l’appel à projets alors que nous étions les outsiders. Nous n’avions réalisé qu’un seul hôpital.

Le projet aborde différents sujets passionnants, comme la prévention de la maladie. Nous allons construire un nouveau centre de check-up, très performant, mais également 11 salles d’opération à la lumière du jour ! Construit au début du XXe siècle, l’hôpital est en briques. Pour réaliser l’extension, parce que je voulais que ce soit très lumineux, nous utilisons des briques en verre sablé pour reconnecter les équipes avec la lumière du jour.

Votre agence est également réputée pour oeuvrer à l’étranger…

Vue de la Charente, où tout à commencé.
Vue de la Charente, où tout à commencé. REDMAN / WILMOTTE & ASSOCIÉS ARCHITECTES

J.-M. W. : Ce qui nous offre l’occasion de découvrir des cultures différentes de la nôtre. Nous travaillons en Corée du Sud, au Brésil, au Sénégal et, depuis peu, en Géorgie. Et nous empruntons aussi la route de la soie, avec des projets en Ouzbékistan – à Samarcande, Boukhara et Tachkent ; ces villes sont de véritables trésors.


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Quels sont vos projets actuels ?

J.-M. W. : Le Breus Art Center, à Tbilissi, en Géorgie – une greffe contemporaine sur les traces d’un ancien hôpital que nous conservons en partie. Le client est passionnant, ce qui est aussi très important. Le Centre de civilisation islamique, à Tachkent ; la Maison des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest, à Dakar, que nous avons inaugurée cet été. Nous allons réaliser un Centre Pompidou à Séoul, le siège d’Arcelor Mittal, dans le quartier de Kirchberg, à Luxembourg, pour ne citer que ceux-là.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Bureau national interprofessionnel du cognac (BNIC), à Cognac ?

J.-M. W. : C’est un très beau sujet. Le BNIC est la tour de contrôle du produit et de la vision du futur : une vitrine de la filière. Travailler pour eux, c’est presque travailler pour un monument historique : le patrimoine immatériel. C’est également un sujet difficile, car les bâtiments se trouvent au bord de la Charente, sur un terrain inondable. Nous construisons en pierre. J’aime la pierre de Charente ; ce matériau local donne une unité spécifique à l’environnement. J’avais envie d’imaginer un projet qui mettrait en valeur le produit et la ville.

À quel musée rêvez-vous, que vous n’auriez pas encore réalisé ?

J.-M. W. : J’ai réalisé beaucoup de musées classiques et j’ai hâte de travailler sur des musées d’art contemporain. En particulier dans des lieux patrimoniaux exceptionnels qui pourraient devenir les écrins de collections. L’art contemporain n’est pas toujours présenté comme il le faudrait. Il mériterait plus d’attention. Le musée ne doit pas devenir une oeuvre d’art. Il faut trouver des espaces sobres et minimalistes qui permettent une vraie lecture de l’art contemporain. Les plus beaux musées se trouvent souvent dans des lieux simples, où l’architecture s’efface vraiment.


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Le métier d’architecte est-il encore enviable ?

Vue depuis la rue Alfred de Vigny : la passerelle laissant une vue ouverte sur les tilleuls octogénaires.
Vue depuis la rue Alfred de Vigny : la passerelle laissant une vue ouverte sur les tilleuls octogénaires. REDMAN / WILMOTTE & ASSOCIÉS ARCHITECTES

J.-M. W. : Construire est une vraie responsabilité. C’est un combat quotidien, fait de démarches et de bagarres administratives. La conception est malheureusement devenue une toute petite partie du métier. Le budget devient le premier ennemi de la qualité, la flexibilité que nous avions passe aujourd’hui dans l’augmentation des coûts des matériaux.

Les règlements et les normes créent des contraintes qui finissent par devenir des freins à la qualité et à la réflexion. L’ouverture à l’étranger est aujourd’hui nécessaire. Une entreprise importante aura du mal à survivre, en France, dans le milieu de l’architecture face à toutes les difficultés administratives auxquelles elle est confrontée. De même qu’il faut trouver le bon équilibre entre le privé et le public.

Un dernier mot ?

Jean‑Michel Wilmotte : Tout ça ne se fait pas tout seul. Derrière tous ces projets, il y a une équipe. Nous sommes 270 architectes et designers, aujourd’hui, à l’agence. Des personnalités créatives, atypiques, volontaires, positives, souriantes, enthousiastes, fidèles, de 25 nationalités différentes. Quelle que soit votre langue, vous trouverez toujours ici quelqu’un qui la parle !

L’agence est une vraie ruche : c’est ce qui me donne l’envie de venir le matin. Je suis toujours au courant de ce qui se passe, je suis en contact permanent avec les chefs d’équipe. Je réalise les esquisses, que j’échange ensuite avec eux. Je rencontre les clients et je dissèque leurs attentes.

Esquisses que vous leur transmettez sur papier ?

J.-M. W. : Toujours. Le dessin sur calque avec un feutre bleu, c’est ma base !


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