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Culture

Riad Fakhri, programmateur de la galerie 19M de Chanel, à Dakar

Culture

Créer, exposer, transmettre : le 19M joue un triple rôle. Inaugurée à Paris, aux frontières d'Aubervilliers, cette galerie sous l'égide de la maison Chanel qui œuvre à la préservation et à la transmission des métiers d’art de la mode et de la décoration, investit Dakar du 12 janvier au 31 mars 2023 dans la continuité de son dernier défilé. Pour ce premier 5 à 7, The Good Life a rencontré Riad Fakhri, initiateur de la programmation culturelle et artistique de la galerie éphémère.

Riad Fakhri, programmateur de l’exposition Sur le fil à la galerie 19M, par Chanel.
Riad Fakhri, programmateur de l’exposition Sur le fil à la galerie 19M, par Chanel. Kalash Art Photographe

Influente scène culturelle mondiale, le Sénégal est aussi une terre riche de savoir-faire uniques. Chanel l’a bien compris en mettant à l’honneur les traditions du pays, en décembre dernier lors de son défilé Métiers d’arts 22/23, avant d’installer à Dakar la première antenne internationale du 19M, cette galerie d’un nouveau genre inaugurée à Aubervilliers.

Riad Fakhri, fondateur de l’agence TRAMES, a étroitement travaillé avec la maison de couture à l’élaboration de son défilé et à la programmation culturelle et artistique de Sur le fil, la première exposition cette galerie éphémère. Pour The Good Life, il revient sur la richesse méconnue des arts sénégalais, l’engouement créatif que connait Dakar et bien sûr, sa collaboration avec Chanel.


Rencontre avec Riad Fakhri, programmateur du 19M par Chanel

The Good Life : Qui êtes-vous, Riad Fakhri ?

Riad Fakhri : Je suis né à Dakar. Sociologue de formation, j’ai enseigné pendant longtemps à La Sorbonne, à Paris. Pour être honnête, je me destinais à une autre carrière que celle que je mène aujourd’hui mais il y a onze ans, les hasards de la vie m’ont poussé à revenir au Sénégal où j’ai abordé une véritable quête personnelle. En récupérant la direction d’un vieux bâtiment appartenant à ma famille, dans le centre de la capitale, j’ai eu l’envie d’y installer un lieu de repos, de répit, car ses alentours sont extrêmement denses, notamment en termes de commerces.

J’ai ainsi créé TRAMES qui y évolue aujourd’hui, une agence de promotion de l’art contemporain dotée d’un espace culturel privé. Nous y produisons des expositions engagées autour de sujets importants (l’écologie, la mort des migrants en Méditerranée, la surpêche et son impact direct sur le marché local…) et abritons des résidences d’artistes en leur offrant notamment studios de travail — l’école Kourtrajmé parrainée par Omar Sy a d’ailleurs choisi de s’installer chez nous pour sa nouvelle antenne. Sur le toit, un bar-restaurant donne au lieu son énergie, avec notamment des soirées tous les jeudis soirs.

« Ce n’est pas un hasard si Kourtrajmé et Chanel ont élu Dakar comme lieu de résidence. » – Riad Fakhri

La tapisserie du 19M réalisée à la manufacture de Thiès.
La tapisserie du 19M réalisée à la manufacture de Thiès. Khalifa Hussein

TGL. Qu’est-ce qui vous a mené à Chanel ?

R.F. Il faudrait leur demander ! (rires) J’ai rencontré Camille Hutin, la directrice de la galerie 19M à Paris, lors de son passage au Sénégal, en juin dernier. Quelques semaines plus tard, nous nous croisions à nouveaux pour débuter une collaboration fructueuse : elle m’a d’abord mis en contact avec les équipes de Chanel afin de les épauler de multiples façons sur la production de leur défilé Métiers d’Art, qui s’est déroulé en décembre 2022 (concernant le magazine produit pour le défilé, notamment, mais aussi la sélection des photographes, des vidéastes, l’organisation des dîners et de l’aftershow, l’élaboration des listes d’invités locaux…). Par la suite, on m’a proposé de rejoindre le comité de direction artistique de la galerie du 19M, à Dakar.

TGL. Pourquoi Chanel au Sénégal ?

R.F. Chanel est une maison globale. Son regard sur le monde inclut donc logiquement le Sénégal, non pas par ambition commerciale mais afin de se nourrir de l’incroyable richesse culturelle du pays. Lors de ce projet, j’ai eu la chance de travailler avec des gens bienveillants et respectueux du patrimoine sénégalais qui ont donné la parole aux acteurs locaux avant tout. La marque n’avait pas dans l’idée de dupliquer, simplement, ses concepts bien rodés, ni pour son défilé, ni pour cette nouvelle antenne du 19M. Au contraire, en choisissant le Sénégal comme terre d’accueil, Chanel s’est entièrement fondue au tissu social, en faisant notamment appel aux talents du pays et en intégrant nos traditions dans son défilé et son exposition.

L’espace de conférence du 19M Dakar.
L’espace de conférence du 19M Dakar. Barada Preira

TGL. Vous parlez de dynamisme culturel. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples ?

R.F. Mauro Petroni, artiste et céramiste italien installé au Sénégal depuis des décennies, a créé avec la curatrice camerounaise Koyo Kouoh il y a onze ans Le Parcours, un regroupement de galeries et d’industries créatives sénégalaises. Chaque fin de mois de novembre, pendant trois semaines, les vernissages s’enchaînent. La biennale d’art contemporain de Dakar se tient également tous les deux ans depuis quatorze éditions, soit près de 30 ans. Elle est un vrai coup de projecteur qui dépasse les frontières de la francophonie et du continent.

Je pense que ces deux événements ont créé un terrain propice à l’émergence des arts au Sénégal. Ce n’est ainsi pas un hasard si Kourtrajmé et Chanel ont élu Dakar comme lieu de résidence. Il est également nécessaire de saluer le travail de l’Institut Français de Dakar, l’un des plus importants sur le continent africain, si inspirant et puissant que son succès a poussé ses homologues à réouvrir leurs portes à Dakar, notamment les instituts italien, espagnol et le Goethe Institut, qui a inauguré un tout nouveau lieu. Ce dynamisme monte crescendo et je crois noter un intérêt d’autant plus fort depuis 2020 et le Covid. Aujourd’hui, des événements s’organisent tous les jours et font vivre la capitale : des concerts, des expositions, une Fashion Week annuelle, des festivals de musique…

« Certains étrangers qui nous rendent visitent rapportent qu’ils sentent à Dakar une énergie similaire à celle du Berlin des années 90-2000 ou du New York des eighties. » – Riad Fakhri

TGL. A quoi ressemble l’exposition Sur le fil, au 19M de Dakar ?

R.F. Camille Hutin a composé un comité de direction autour d’elle, en charge de la programmation du lieu. Il se compose de Olivia Marsaud de l’Institut Français, le curateur El Hadji Malick Ndiaye, la designeuse et cinéaste Selly Raby Kane et moi-même, notre rôle étant de réfléchir à une programmation qui fasse écho à celle du 19M parisien sans pour autant le copier ou le dupliquer.

L’œuvre de Marie Madeleine Diouf.
L’œuvre de Marie Madeleine Diouf. Barada Preira

Je ne voudrais pas tout dévoiler, simplement exprimer notre état d’esprit et nos ambitions. Je l’ai déjà dit mais j’insiste sur ce fait : notre volonté est d’inclure ce nouveau projet dans le maillage social et artistique local en étant le plus inclusif possible. Rappelons le principe de la galerie 19M installée à Aubervilliers : créer, exposer et transmettre. Avant d’exposer, il fallait donc créer. Nous sommes ainsi partis à la recherche de savoir-faire uniques et locaux, puis avons réfléchi à comment les faire interagir entre eux. Les artistes et les collectifs internationaux invités ont eux aussi eu pour mission de s’intéresser à la scène locale et à deux de ses spécialités précises : le tissage et la broderie. Deux options s’ouvraient à eux pour imaginer leurs œuvres : s’intéresser aux techniques ancestrales sénégalaises ou travailler main dans la main avec des artisans sénégalais.

TGL. Où le 19M s’est-il installé à Dakar ?

R.F. Le 19M Dakar s’inscrit au sein de l’Institut Fondamental de l’Afrique Noire (communément appelé « IFAN », ndlr). Il comprend une université, des laboratoires de recherche et le musée Théodore-Monod pour l’art africain. Le bâtiment a été entièrement rénové par la maison Chanel pour l’occasion. La transformation est formidable et elle a été imaginée pour durer dans le temps : les lieux, après le 19M, accueilleront les futures biennales et les prochaines éditions du Parcours.

L’espace dans lequel s’inscrit le 19M de Dakar.
L’espace dans lequel s’inscrit le 19M de Dakar. Barada Preira

TGL. Et de sept. Un mot pour la fin, un artiste ou une collection que vous aimeriez mentionner ?

R.F. Je prie les artistes que je ne citerai pas de m’excuser ! Le projet monté avec la Maison Montex représente bien l’essence des liens que nous avons cherché à tisser. La maison avait déjà inauguré, à l’occasion du festival 19M hors les murs qui s’est tenu à Hyères l’an passé, cinq panneaux monumentaux faits de petites pièces de cuir brodées. Pour Dakar, elle s’est rapproché d’acteurs locaux, notamment de Marion Louisgrand Sylla, directrice du centre culturel Kër Thiossane, grâce à laquelle nous avons rencontré Doulsy, artiste et créateur de mode sénégalais, que nous avons embarqué dans l’aventure. Ainsi, le centre culturel, grâce à ses savoir-faire, a exécuté le travail technique alors que Doulsy, spécialisé dans le jean, a complètement réinventé le projet initial en remplaçant le cuir par des chutes de tissu trouvées au marché de Colobane, bien connu pour être une friperie à ciel ouvert.

F.L.G.


Le 19M Dakar
Du 12 janvier au 31 mars 2023
Musée Théodore-Monod
Rue Place 18, Dakar.
Sénégal

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