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Archi au Sénégal Tambacounda hospital un hôpital ancré dans la communauté signé Manuel Herz - the good life
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Architecture

Archi : au Sénégal, un hôpital ancré dans la communauté signé Manuel Herz

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Alors que vient de s’achever à Paris une rétrospective consacrée au travail de Josef et Anni Albers, la fondation du même nom a financé la construction d’un hôpital à Tambacounda, au Sénégal. L’architecte suisse Manuel Herz a imaginé un projet sensible qui va bien au-delà de sa stricte fonction, s’intégrant dans la communauté et l’économie locales tout en privilégiant les ressources de la région.

À Tambacounda, au cœur du Sénégal, Manuel Herz s’est vu confier la réalisation d’un projet engagé, de ceux qui rendent hommage à la fonction sociale de l’architecte. Voulu par la fondation Josef and Anni Albers et l’association Le Korsa, le Tambacounda Hospital regroupe une maternité et un service de pédiatrie afin de mieux répondre aux besoins locaux.

La fondation Josef and Anni Albers est née en 1971 à Bethany (Connecticut) dans le but d’encourager le développement de l’art. En 2005, sa petite sœur, l’association Le Korsa, a vu le jour en Afrique, sous l’impulsion de Nicholas Fox Weber, directeur de la fondation. Depuis quinze ans, celle-ci mène des initiatives philanthropiques dans les zones rurales du Sénégal, en soutenant notamment les domaines de la santé, la culture et l’éducation.

Livré en mai 2021, le Tambacounda Maternity and Paediatric Hospital offre une extension qui vient compléter un projet hospitalier existant, le plus grand de la région. Vingt mille patients sont potentiellement concernés par cet établissement où les médecins exerçaient jusqu’à présent dans des conditions difficiles, par manque de place et de confort.

Thérèse Aïda Ndiaye, directrice de l’hôpital Tambacounda.
Thérèse Aïda Ndiaye, directrice de l’hôpital Tambacounda. iwan-baan-courtesy-of-the-josef-and-anni-albers-foundation-and-le-korsa

La fondation a invité Manuel Herz à participer au concours d’architecture pour la réalisation de cet hôpital, concours qu’il a remporté grâce à une approche sensible et attentive de la commande, sans jamais chercher à importer une quelconque attitude occidentale. S’il ne connaissait pas précisément Tambacounda, cet architecte suisse installé à Bâle connaît cependant bien l’Afrique pour y avoir mené différents projets de recherche. Son objectif ? « Construire un merveilleux hôpital qui s’intègre pleinement dans la communauté locale », résume-t-il.

Travailler avec le climat

Ce nouveau bâtiment curviligne de 3 000 m² s’organise sur deux niveaux et abrite une maternité au rez-de-chaussée et un service de pédiatrie à l’étage, soit 150 nouveaux lits, deux blocs opératoires et des unités de soins intensifs. Dictée par le climat, sa forme en S fait écho aux bâtiments préexistants et permet la création de nouvelles cours extérieures.

Manuel Herz a cherché à développer un bâtiment aussi long et mince que possible. Il s’appuie sur une conception climatique passive qui permet de s’affranchir de tout dispositif de climatisation malgré les extrêmes chaleurs auxquelles la région est confrontée. Par sa faible épaisseur – à peine 7 mètres –, l’édifice peut être ventilé et rafraîchi naturellement de manière transversale par les façades semi-ouvertes.

Celles-ci reposent sur le principe du moucharabieh qui protège du soleil en laissant l’air s’immiscer à l’intérieur. Réactif aux conditions climatiques locales, le bâtiment travaille avec le climat et non contre lui, créant lui-même un microclimat plus tempéré qu’à l’extérieur. Ce dispositif de maçonnerie en brique perforée, outre ses vertus climatiques, donne son esthétique à l’hôpital, renouant avec une tradition architecturale aussi ancestrale qu’éprouvée en matière d’efficacité.

À l’intérieur, le jeu d’ombre et de lumière qu’il génère crée une ambiance apaisante pour les patients. Un double toit permet également de se protéger du soleil direct en produisant un effet de cheminée qui repousse la chaleur vers le haut, sans la laisser pénétrer dans les espaces intérieurs.

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Un projet collaboratif et vertueux

Le projet architectural fait écho à la pensée défendue avec ferveur par Josef et Anni Albers, à savoir utiliser des « moyens minimaux pour un effet maximal ». Ainsi, il permet aux médecins de travailler dans des conditions agréables qui profitent également aux patients, sans recourir à des systèmes sophistiqués et coûteux qui nécessitent une maintenance et peuvent tomber en panne.

Parce qu’il ne connaissait pas suffisamment les spécificités de la région, Manuel Herz a travaillé main dans la main avec l’entrepreneur Magueye Ba, entrepreneur général de l’opération, également médecin, mais aussi avec toute la communauté locale. Dans ce projet éminemment collaboratif, Manuel Herz a collaboré avec des artisans, des ingénieurs et des partenaires locaux.

Le projet fut présenté lors de la dernière biennale d’architecture de Venise, organisée par Hashim Sarkis, qui s’est achevée en novembre 2021. L’installation The Many Lives of Tambacounda superposait les récits et vies de l’hôpital alors en construction. Une belle façon de montrer ce que l’architecture peut et la place centrale qu’elle doit – devrait – toujours occuper. Depuis, les lieux ont pris vie avec leurs occupants qui ont pleinement investi ce projet exemplaire qui va bien au-delà de la fonction qu’il abrite, devenant un point de repère pour toute une communauté. À Tambacounda, la notion de cercle vertueux prend tout son sens.

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4 questions à Manuel Herz, architecte :

Quel était votre lien avec l’Afrique avant ce projet ? J’avais voyagé plusieurs fois en Afrique de l’Ouest et dans toute l’Afrique subsaharienne. J’ai notamment travaillé sur une étude intitulée « African Modernism – Architecture of Independence » sur l’architecture des années 60 et 70, au moment où la plupart des pays ont obtenu leur indépendance. Un autre projet concerne mon engagement continu et de longue date sur le thème des camps de réfugiés, en particulier ceux installés dans le sud-ouest de l’Algérie. Mon objectif est de remettre en question la vision empreinte de préjugés que nous avons de la production spatiale et architecturale sur le continent africain, laquelle renvoie principalement au manque, aux déficiences et à l’informalité.

Comment avez-vous abordé votre rôle d’architecte à Tambacounda ? Par une approche basée sur l’étude de la condition locale. Je ne me sentais pas à l’aise de proposer une solution toute faite, alors que j’étais en Suisse, pour un site que je n’avais pas visité, un climat local que je ne connaissais pas, des médecins avec qui je n’avais pas parlé et pour une population locale que je n’avais pas eu l’occasion de rencontrer. J’ai proposé que nous commencions par la recherche et que le processus de conception repose sur un processus collaboratif.

Comment avez-vous travaillé avec la communauté locale ? À tous les niveaux. Nous avons rencontré les médecins, les infirmières et le personnel hospitalier et écouté leurs besoins. Ils ont esquissé le programme et la configuration des espaces dont ils avaient besoin. Nous avons échangé avec les constructeurs et les artisans autour des techniques de construction. Nous nous sommes associés à un entrepreneur local (également médecin) et nous avons veillé à ce que tous les travailleurs soient issus de la communauté locale. Nous avons aussi rencontré le gouverneur de la région. Autre chose importante : la fondation Albers et Le Korsa disposent d’une formidable équipe locale, active dans la région depuis quinze ans. C’est tout à leur honneur d’avoir aussi bien travaillé avec la communauté locale.

Pensez-vous que les architectes doivent avoir un rôle social ? Nous avons toujours un rôle social à jouer. C’est à chacun d’entre nous d’en être vraiment responsable.

www.manuelherz.com


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