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De Kelly Bencheghib à Sergey Arkhengelskiy The Good Life dresse le portrait de neuf entrepreneurs qui font bouger le monde de l'art, 2023 - TGL
De Kelly Bencheghib à Sergey Arkhengelskiy The Good Life dresse le portrait de neuf entrepreneurs qui font bouger le monde de l'art, 2023 - TGL
Marine Mimouni

The Good Business

Ces 9 entrepreneurs révolutionnent le monde de l’art

The Good Business

Ils ont tous entrepris dans le domaine de l'art pour en faire bouger les lignes. D'Emmanuel Perrotin à Kelly Bencheghib, zoom sur neuf personnalités inspirantes qui écrivent le futur du monde de l'art.

Par leur investissement dans l’art, leur créativité sans bornes et l’urgence des combats qu’ils mènent pour leur pays ou la planète, ces entrepreneurs gagnent tous à être connus, leurs actions, décryptées, leurs exemples, imités.


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1. L’entrepreneur Benedikt Van der Vorst

Le plus influent des collectionneurs belges

Portrait de Benedikt Van der Vorst
Portrait de Benedikt Van der Vorst DR

Le parcours éclectique de Benedikt Van der Vorst – notaire devenu spécialiste de l’immobilier… et du capital d’amorçage –, la curiosité enthousiaste de ce collectionneur belge unanimement identifié comme l’un des plus influents au monde, son ressenti tout en nuances – entre pur plaisir esthétique et réflexion – semblent l’avoir mis à l’abri de ce confinement microcosmique d’un entre-soi souvent dénoncé par les collectionneurs eux-mêmes.

« La présidence de la Fondation Walter Leblanc est le mandat où je m’investis le plus actuellement. Nous avons mis en place une nouvelle équipe, fait des travaux immobiliers et inventarisé la collection. Nous terminons aussi la réalisation d’un fi lm sur la vie et le processus créatif de Walter Leblanc, l’un des artistes belges les plus importants du XXe siècle, dont les oeuvres se trouvent dans les fonds de la Tate, du Centre Pompidou et de bien d’autres prestigieux musées », confie Benedikt Van der Vorst.

Très tôt, quand l’entrepreneur dans l’art foulait encore les musées plus que les galeries, ce juriste passionné d’art faisait entrer dans sa maison, pour le plaisir de son regard et de celui de sa femme, Christine, elle aussi collectionneuse, les oeuvres d’artistes émergents qui le combleraient par la suite en tenant leurs promesses. Ainsi, entre autres, de Haegue Yang, Thomas Houseago, David Altmejd et Sterling Ruby, ses préférés du moment, du duo dano-norvégien Elmgreen & Dragset, mais aussi de Pistoletto ou Penone.

Des artistes qui le font réfléchir. Sans oublier le Canadien Christian Eckart, dont il a acheté la toute première pièce, tout en dorure, lors de ses fiançailles, en 1993. Un fil conducteur ? L’originalité. Une originalité toutefois sélective, esthétique, celle qui surprend sans pour autant choquer. Et il n’est pas rare qu’à la question « pourquoi choisir cette oeuvre ? » Benedikt Van der Vorst réplique, sans filtre intellectuel : « Parce qu’elle me plaît énormément. »

2. L’entrepreneuse Corinne Frasson

L’énergie pour moteur

Portrait de Corinne Frasson
Portrait de Corinne Frasson DR

Prête à commettre ses premiers tours de chauffe avant son vrai lancement sur nos routes en 2024, la version électrique de l’emblématique petite R5 offre aujourd’hui à Corinne Frasson de s’installer au coeur du dispositif stratégique de l’entité Mobilize de la firme au losange qu’elle a rejoint en juillet 2022, ce domaine à haut potentiel de la mobilité durable que cette dynamique quadragénaire connaît à fond.

Car la nouvelle technologie de Renault, pilotée sous le regard clair et vif de cette ingénieure du MIT, également formée à l’école polytechnique de Montréal, pourrait bien changer à jamais la fonctionnalité d’une voiture : la nouvelle R5 ne se contentera pas de rouler, sa technologie inédite V2G (Vehicle to Grid) permettra – aussi – au conducteur de produire de l’électricité grâce à une Powerbox sur laquelle il pourra se connecter, un geste réflexe qui devrait lui servir à diviser sa facture d’électricité par deux.

C’est sur cette planète énergétique que Corinne Frasson a tracé sa route avec ambition et persévérance, de Paris Area (2008-2014) à Engie, via, brièvement, Engie Solar, avant de prendre la direction d’EVBox (2017-2022), start-up qui, depuis son passage sous la bannière d’Engie en 2017, occupe la pole position sur le marché des solutions de recharge de véhicules électriques. EVBox, dont Corinne Frasson fut, durant quatre années, un puissant levier d’expansion en France.

3. L’entrepreneur Emmanuel Perrotin

L’insatiable audace du plus international des galeristes français

Portrait d’Emmanuel Perrotin.
Portrait d’Emmanuel Perrotin. DR

Avec lui, l’art contemporain pourrait bien changer d’ère. Le génial disruptif autodidacte est devenu en trente ans cet inclassable galeriste français aux visées planétaires : 100 artistes parmi les plus prisés, 140 M € de chiffre d’affaires, 10 galeries sur 3 continents – Paris, New York, Hong Kong, Tokyo, Shanghai, Séoul, mais aussi Dubaï et bientôt Los Angeles.

L’insatiable galeriste vient de prendre une décision propre à perturber encore davantage les pratiques d’un univers artistique soucieux de sa liberté – et donc de son indépendance financière : céder 60 % du capital de la galerie Perrotin au fonds d’investissement Colony IM, une carrure de l’immobilier et du private equity aux 3 Mds d’actifs. Une conversion à l’entrepreneuriat jamais commise sur ce marché de l’art.

Celui que ses confrères qualifient, non sans un zeste de jalousie, de Gagosian français, fut ce tout jeune galeriste fou de technologie, qui, en 2014, offrit à Pierre Soulages son tout premier vernissage sur Skype à New York et à Takashi Murakami l’une de ses premières expos parisiennes. Et c’est Emmanuel Perrotin, toujours, qui a « montré », comme il aime le formuler, ces grandes signatures que sont aujourd’hui Jean-Michel Othoniel, Georges Mathieu et Claude Rutault.

Sans oublier Maurizio Cattelan, dont la « banane scotchée » a rencontré un acquéreur à 120 000 € lors de la prestigieuse Foire Art Basel de Miami. Ses débuts dans le monde de l’art sont dignes des success-stories à l’américaine : un jeune de 21 ans qui ouvre sa première galerie en 1989, non pas dans un garage, mais dans un deux-pièces qui est aussi son chez-lui.

La suite du roman vrai éclaire les failles de l’ambitieux : l’ouverture d’une vaste galerie à Miami en 2004 qui doit fermer trop vite, une vie de dandy qui brille plus par les fêtes que par ses expos, les sourires en coin de confrères qui estiment son succès aussi périssable (il existe un autre mot !) que flamboyant.

D’autant que la malchance s’en mêle, quand un jeune Anglais nommé Damien Hirst, dont Perrotin vend la toute première armoire à pharmacie en 1991, s’en va six mois plus tard exposer ses démons artistiques à la Woodstock Gallery de Londres. Et puis, à l’aube de la décennie 2010, ce grand lever de soleil d’une réussite qui vient brûler tous les doutes que ce fonceur n’a jamais eus, même si une pointe de désespoir à la Scott Fitzgerald – qu’il dit adorer et dévorer – s’invite parfois chez ce faux joyeux toujours en quête de reconnaissance.

4. Les entrepreneurs Eva Mochalovà et Marcel Mochal

Lumière sur le mycélium conçu dans l’obscurité du sous-sol

Portrait d’Eva Mochalovà et Marcel Mochal.
Portrait d’Eva Mochalovà et Marcel Mochal. DR

Unis dans la vie comme à la direction de ce studio de design LLEV que ces deux designers tchèques ont fondé en 2004 et qu’ils animent ensemble à Turnov, dans cette région bien nommée Paradis de Bohême, au nord-est de Prague, Eva Mochalová et Marcel Mochal se sont classés dans le top 10 des lauréats 2022 du concours des Czech Grand Design Awards.

Fondée sur un process original et inédit, leur nouvelle collection de luminaires fait entrer dans sa fabrication ce système racinaire des champignons, le mycélium, dont on connaît désormais l’influence déterminante sur la dépollution des sols.

Or, cette capacité à dégrader positivement les matières toxiques se produit sous terre, loin, très loin de cette lumière que la technologie originale du laboratoire tchèque Lasvit fait au contraire jaillir de ces lampes qui, pour la première fois, intègrent l’usage de moules en mycélium dans la production verrière.

Dans cet emploi inédit, le réseau végétatif des champignons permet au verre en fusion de prendre des formes organiques singulières uniques, alors même qu’aucune machine n’est nécessaire pour fabriquer les moules et que les déchets sont traités de manière écologique. Baptisée Symbioosa, cette nouvelle marque de luminaires propose ainsi un subtil éclairage à la couleur et à l’intensité modulables, en symbiose avec la luminosité ambiante.

5. L’entrepreneur Franck Boutté

Imposer les nouveaux codes de la construction climatique

Portrait de Franck Boutté.
Portrait de Franck Boutté. DR

C’est pour récompenser sa démarche pionnière et visionnaire que Franck Boutté a reçu ce grand prix de l’urbanisme en 2022, qui pose enfin une juste lumière médiatique sur cet ingénieur Ponts et Chaussées, fondateur de Franck Boutté Consultants, l’une des toutes premières agences pluridisciplinaires (elle associe ingénieurs, architectes et urbanistes), consacrées à la conception et l’ingénierie environnementale.

Nombre de grands projets à Paris et déjà, en pointillé, à l’international, portent la marque de sa vision d’avant-garde, cette stratégie bioclimatique qui entend optimiser les ressources et ventiler les espaces : la rénovation du Grand Palais, la construction de l’école normale supérieure de Saclay, mais aussi l’Occitanie Tower à Toulouse ou encore l’ambitieuse Zenata, une ville écologique qui accueille ses premiers habitants, au nord-est de Casablanca. édifiée en bordure d’océan dans le fil des alizés et de la diagonale des vents, cette écocité, dont les technologies de l’avenir promettent un ressenti rafraîchissant, s’est paradoxalement inspirée de l’île de Korčula, en Croatie, dont le tracé des rues a été pensé au…XIIIe siècle, pour, à l’opposé, préserver ses habitants de la fraîcheur des bourrasques.

Être compris fut, des années durant, la mission la plus compliquée de cet explorateur de la construction climatique né il y a cinquante-cinq ans. Un grand-père ouvrier, un père polytechnicien oeuvrant pour la SNCF : le jeune Franck embarquera d’abord dans des trains comme les autres, dont il descendra souvent avec une envie d’ailleurs. À l’école, c’est le flop complet ; au lycée, le goût des études arrive par un chemin de traverse, celui des maths, qu’il pratique en virtuose et qui le conduisent en prépa.

Peu prisée à ses débuts en 1996, la réflexion du pionnier jette les bases d’une conception environnementale intégrée à la racine des projets, aujourd’hui certifiée HQE (haute qualité environnementale). « J’ai redonné le pouvoir aux architectes et aux urbanistes ! » se rééjouit Franck Boutté.


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6. L’entrepreneuse Hafize Gaye Erkan

Enrayer la chute de la monnaie turque

Portrait d’Hafize Gaye Erkan.
Portrait d’Hafize Gaye Erkan. DR

D’aucuns, dans ce réflexe encore tenace de mettre en lumière l’exceptionnelle nomination d’une économiste à un tel niveau, allument les faisceaux sur son profil in.dit de première femme jamais installée aux commandes de la banque nationale turque en juin dernier.

Mais c’est peut-être, et avant tout, la mission d’équilibriste de cette Américano-Turque élégante de 44 ans qui est exceptionnelle : être aujourd’hui engagée par Recep Tayyip Erdogan pour construire dans l’urgence une politique monétaire résolument opposée à la politique monétaire à non conventionnelle que prônait précisément Erdogan, une stratégie perdante de taux maintenus très bas qui a conduit la Turquie au bord du précipice, avec une inflation à 40 % sur un an, et une livre turque en chute libre.

D’où le choix forcé, aujourd’hui, de l’ultra-interventionniste à dirigeant, de faire appel à la plus occidentale des gouverneurs de la Banque centrale turque, la cinqui.me nomination en quatre ans à la t.te de cette BTC inféodée au président. Trilingue turc-anglais-allemand, passée par Princeton et Goldman Sachs, Hafize Gaye Erkan est créditée d’un entregent sur la planète finance à même de pouvoir émanciper la Turquie de l’aide à intéressée des monarchies du Golfe, et de regagner la confiance des investisseurs.

À l’heure où nous bouclons ces pages, Hafize Gaye Erkan est à la manoeuvre pour redresser la barre, elle qui promet l’amorce d’une désinflation en 2024, choisissant d’opter, aux côtés de Mehmet Şimşek, nouveau ministre de l’économie lui aussi fraîchement nommé, pour « un resserrement monétaire opportun et progressif », alors même que les marchés réclamaient un virage plus radical.

7. L’entrepreneur Hervé Sschlüchter

L’horloger philosophe de bienne

Portrait d’Hervé Sschlüchter.
Portrait d’Hervé Sschlüchter. DR

Cet horloger a créé l’Essentiel (son premier « instrument mécanique philosophique ») quand il a compris l’essentiel de sa propre existence, alors même qu’il devenait père à l’heure où il perdait le sien, ce père dont il s’est s.par. avec, sertie au coeur, cette griffe de regret qui battait inlassablement comme le pendule d’une horloge : ne pas avoir réalisé la montre de poche qu’il lui avait réclamé, tant l’absorbait alors son poste chronophage de directeur de la manufacture horlogère de Bovet.

Hervé Schlüchter est aujourd’hui cet horloger indépendant suisse dont on loue l’excellence jusque dans les colonnes numériques du New York Times, une excellence comparable à celle de son mentor Philippe Dufour, sorte de dieu horloger vivant de la vallée de Joux qui lui a transmis sa vision d’un nouvel art horloger à l’abri des contraintes de temps.

Ce grand plongeon en faveur de l’aventure indépendante, le diplômé de l’école d’horlogerie de Porrentruy (canton du Jura) l’a commis en 2016, en lançant dès l’année suivante son propre laboratoire créatif, Hyade-s, un temple des objets horlogers rares et singuliers aujourd’hui devenu cette plate-forme de créativité accueillant des idées out of the box. Le saut a ébloui les collectionneurs sans totalement surprendre les gens du sérail, qui avaient su repérer ce virtuose de l’acharnement quand il s’essayait à mettre au point un tourbillon dit accessible, une folie à faire renoncer les patients les plus armés.

Aujourd’hui, le jeune maître horloger de 44 ans – il signe ses montres de maximes gravées en latin : « creare durare » (créer pour durer), « amor & gratia » (amour et gratitude) – s’épanouit dans cette maison néoromantique qui abrite sa manufacture. Son amour pour une horlogerie à l’abri du carcan industriel et du bullshit le conduit parfois à unir dans un même bain réflexif les principes d’Einstein et la stratégie de Philip Knight, l’inspirant fondateur de Nike.

8. L’entrepreneuse Kelly Bencheghib

Dépolluer les eaux paradisiaques de Bali

Portrait de Kelly Bencheghib.
Portrait de Kelly Bencheghib. DR

C’était comme vider l’océan avec une petite cuillère. Dès son plus jeune âge, Kelly Bencheghib, cofondatrice de l’association Sungai Watch, ancrée à Bali et consacrée à la dépollution plastique de ses eaux à la beauté paradisiaque, s’infligeait, avec son frère, cette mission sans fin d’aller presque chaque jour nettoyer les plages de ses propres mains.

Et puis d’autres mains conscientes, recrutées sur Facebook, sont venues s’ajouter à celles de Kelly, qui n’a pas hésité à renoncer au vertige d’une carrière business à New York, pour mettre sa logique de matheuse – diplômée de la London School of Economics, elle a occupé un poste d’assistante en mathématiques au département scientifique de Babson College – au service d’un concept qui consiste à équiper les rivières de Bali de barrières flottantes aptes à récupérer les déchets pour ensuite les recycler. Un dispositif qui a déjà permis de traiter 860 000 kg de plastique.

Une stimulante performance qui vaut à l’entrepreneuse dans le monde de l’art, Kelly Bencheghib, de se voir décerner le prix Terre de femmes de la Fondation Yves Rocher, créé il y a plus de 20 ans pour mettre à l’honneur et récompenser les femmes – on en dénombre déjà 500 – qui s’engagent en faveur de l’environnement.

9. L’entrepreneur Sergey Arkhengelskiy

Son essayage virtuel conquiert le luxe

Portrait de Sergey Arkhengelskiy.
Portrait de Sergey Arkhengelskiy. DR

La plate-forme de luxe anglaise Farfetch ne s’y est pas trompée quand elle a racheté la start-up biélorusse Wanna en mai 2022 (montant resté secret), dont Sergey Arkhangelskiy est le CEO fondateur, une start-up spécialisée dans l’essayage de chaussures et désormais de vêtements de luxe, depuis que Valentino est devenue la première maison de luxe à sceller un partenariat offrant à ses clients la possibilité d’un essayage virtuel au cours d’une étonnante expérience shopping immersive.

De toutes les technologies développées par cet ingénieur en informatique passé par Google (dix ans de sa carrière, dont trois dans la Silicon Valley), qui vivait à Moscou avant la guerre en Ukraine – son lieu de vie semble aujourd’hui tenu secret –, celle de l’essayage virtuel de vêtements est la plus complexe.

Avec cette application numérique nourrie d’algorithmes exclusifs offrant un haut niveau de réalisme, Sergey Arkhangelskiy rejoint le club des entrepreneurs qui misent aujourd’hui sur ces technologies XR (Extended Reality, réalité étendue), étape transitionnelle vers un métavers d’entreprise encore en devenir, et dont certaines études récentes tendent à prouver qu’il indiffère encore 75 % des millennials.


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