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Culture

Gregory Crewdson, le photographe à la recherche de mondes perdus

Culture

L’œuvre de l’éminent photographe américain Gregory Crewdson, qui voyagera aux Rencontres d’Arles, déploie son amour pour les images vernaculaires, la peinture d’Edward Hopper ou encore le cinéma de David Lynch. De véritables superproductions où les émotions et les non-dits sont stars.

Untitled, 2006, série Beneath the Roses.
Untitled, 2006, série Beneath the Roses. Gregory Crewdson / Gagosian

Écouter son for intérieur et cultiver un esprit larger than life (selon cette expression chère aux Américains) est chose commune pour les artistes. Ceci résonne tout particulièrement chez Gregory Crewdson. Né en 1962 à Brooklyn, il est assurément l’un des plus grands photographes en activité, et un homme qui pense autant qu’il produit, sans se limiter. « Depuis mes débuts, je recherche une forme d’infini, confie-t-il. De l’onirisme, mais pas pour autant déconnecté de la réalité : une photographie qui puisse autant refléter ma perception du monde que ses humeurs. » Signifié et signifiant, ce qui encapsule les émotions et les révèle (lieux, humains, objets) passionne l’artiste à tout point de vue. Depuis plus de trente ans, le New-Yorkais tire parti des limites du médium et du cadre photographique, ainsi que de son propre mythe, celui de l’antichambre de la réalité. Aujourd’hui, une trentaine de personnes s’activent pour produire chacun des clichés de Gregory Crewdson, qui prennent des proportions physiques et budgétaires comparables à de véritables longs métrages.

Untitled, 2006 série Beneath the Roses.
Untitled, 2006 série Beneath the Roses. Gregory Crewdson / Gagosian

La dimension sociale et politique

« Leur temps de préparation, de pose et de shooting est long », souligne Jean-Charles Vergne, proche de l’artiste depuis son exposition The Becket Pictures (2017) au fonds régional d’art contemporain Auvergne, qu’il dirige. Elle fut la première de l’Américain dans une institution française. Par la suite, son art, représenté des deux côtés de l’Atlantique par les galeries Gagosian et Templon, est entré dans les collections du Centre Pompidou, à Paris, puis dans celles de tous les musées américains les plus importants, dont le Museum of Modern Art de New York. ­Eveningside (2022) est la dernière série en date de Gregory Crewdson, dévoilée à la Gallerie d’Italia, à Turin, en octobre dernier.

Starkfield Lane, 2018-2019, série Eveningside.
Starkfield Lane, 2018-2019, série Eveningside. Gregory Crewdson / Gagosian

Fait rare dans le parcours du photographe, ses collectionneurs, tout comme une institution privée (en l’occurrence, ce nouveau musée italien qui repose sur des fonds exceptionnels de photojournalisme), ont participé à son financement. Et pour cause, cette série est emblématique puisqu’elle unit deux univers clés de sa pratique : « Celui de la dimension sociale et politique de ses œuvres, qui documentent autant qu’elles questionnent de manière souterraine l’état actuel des États-Unis, explique Jean-Charles Vergne, et une atmosphère très intime, voire autobiographique, où ses amis, tout comme sa famille, posent en tant que protagonistes. » Une forme de synthèse de ses deux précédentes séries, devenues symboliques : Cathedral of the Pines (2013-2014) et An Eclipse of Moths (2020), qui alternent entre des décors avec lumière naturelle et éclairages artificiels. 

The Family Doctor; 2021-2022, série Eveningside.
The Family Doctor; 2021-2022, série Eveningside. Gregory Crewdson / Gagosian

Des histoires avec leurs propres codes

Si des équipes restreintes ont contribué à ces travaux, il n’en est pas de même pour les trois groupes d’œuvres précédents de l’artiste, aux intitulés tout aussi mystérieux et poétiques, qui l’ont rendu célèbre (Twilight, Dream House et Beneath the Roses). Ces vues de villes fictives, hantées par les êtres et leur propre distanciation physique, mais imprégnées d’espérance, ont toutes été réalisées dans une bourgade du Massachusetts du nom de Becket. Une ville que Gregory Crewdson connaît depuis son enfance.

Morningside Home for Women, 2021-2022, série Eveningside.
Morningside Home for Women, 2021-2022, série Eveningside. Gregory Crewdson / Gagosian

À l’âge adulte, il s’y isole à deux reprises, après deux séparations amoureuses. Jusqu’au début des années 90, ses photographies XL (certaines dépassent plus de deux mètres de large) reposaient sur des travaux préparatoires à partir de dioramas, des maquettes nées dans ses ateliers. Lumières et ambiances héritées du cinéma et de la grande tradition de la photographie américaine y ont subsisté. « Quand on se trouve face aux œuvres de Gregory Crewdson, on a l’impression d’être confronté à un film noir, voire à un roman proustien, s’émeut Jean-Charles Vergne. Une histoire qui semble avoir ses propres codes et qui expose un avenir incertain ».

The Barn, 2013-2014, série Cathedral of the Pines.
The Barn, 2013-2014, série Cathedral of the Pines. Gregory Crewdson / Gagosian

Gregory Crewdson – qui cite pour influences Steven Spielberg, ainsi que Walker Evans et Diane Arbus, photographes de l’Amérique du xxe siècle – raconte même que les images de Cathedral of the Pines, entièrement « tournées » autour de son refuge hors du temps de Becket, lui sont venues subitement à l’esprit, de la même manière que lorsque le réalisateur David Lynch, pour son étrange et symbolique Mulholland Drive, croise cette route d’où ­Hollywood et son univers paraissent décrépir. Le modus operandi de ­Gregory Crewdson fait qu’il travaille comme un peintre d’atelier ; le photographe a toujours une image précise en tête et l’exécute… Il réfléchirait d’ailleurs déjà au sequel ­d’Eveningside. Mais son regard se rapproche constamment de celui du spectateur de ses œuvres et de sa pensée, tiraillé par les paradoxes des temps qui courent, gelés entre le poids du passé et l’espérance de meilleurs âges à venir.

M.Z. 

La série Eveningside de Gregory Crewdson sera présentée dans son intégralité aux Rencontres de la photographie d’Arles, du 3 juillet au 24 septembre 2023. rencontres-arles.com


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