Voyage
Dans ce monde où tout semble avoir été exploré, il reste ce coin perdu du Rajasthan. À trois heures de route de Jaipur, Fort Barwara, forteresse préservée depuis le XIVe siècle, vient d’être restauré et métamorphosé en un fabuleux hôtel Six Senses, le premier en Inde.
C’est au soleil couchant qu’il faut découvrir Fort Barwara. Les derniers rayons teintent de rose les façades éclairées par des centaines de photophores. Le visiteur se croirait dans un théâtre antique, un palais de légende digne des Mille et Une Nuits. Longtemps citadelle presque en ruines, ce fort campait depuis sept siècles sur son promontoire, derrière des murailles en lambeaux.
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Dans cette ancienne citadelle, le visiteur se croirait dans un théâtre antique, un palais de légende digne des mille et une nuits
Le maharadjah qui l’occupait régnait sur deux temples et quelques bâtiments rongés par le temps. C’est son fils Prithviraj Singh qui a orchestré la renaissance, et piloté dix ans de travaux titanesques pour que ce vestige au bois dormant se transforme en un palace estampillé Six Senses, le premier ouvert en Inde.
Quelques semaines après son inauguration, en octobre 2021, Fort Barwara acquérait la réputation de « plus bel hôtel d’Inde » en accueillant le mariage de deux stars de Bollywood : Katrina Kaif et Vicky Kaushal. Jouer à distinguer l’ancien du nouveau est l’un des charmes les plus grands qu’offre l’endroit.
Difficile d’imaginer que ce porche majestueux était déjà debout au temps des premiers souverains rajpoutes, en l’an 1400 et des poussières – c’est dans cette partie de l’édifice que Prithviraj Singh a conservé l’appartement familial, avec vue sur le village de Chauth Ka Barwara.
Architectures d’hier et d’aujourd’hui
L’ancienne résidence des femmes, datant du XVIIe siècle, est presque aussi vénérable. Derrière ses moucharabiehs et ses façades creusées de niches patinées par le temps, le spa déploie aujourd’hui 2 800 m2 de salons de massage, entre un patio et une cour intérieure où une belle statue de Vishnou trône dans un bassin. Il faut un œil expert pour discerner le mélange des styles et des époques dans la dentelle d’architecture.
Les deux bâtiments du Moyen Âge sont reconnaissables à leurs fondations de pierres apparentes, alors que les constructions plus tardives ajoutent des raffinements de colonnades ornées de stucs – cette reconstruction est signée Nimish Patel et Parul Zaveri, duo prestigieux d’architectes spécialisés dans la restauration de bâtiments historiques. Dans la cour du restaurant, l’ancienne tour de guet en ruines contraste avec les grands divans stylés et les coursives toutes nouvelles, dans un mix and match très réussi.
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Tout récents aussi sont les édifices qui encerclent piscine et jardins, dans lesquels les 48 suites ont pris place, derrière les façades chaulées – il y a dix ans ne poussait ici qu’une friche, vestige des anciens jardins royaux. Paysagistes et horticulteurs y ont recréé un paradis verdoyant, fleuri de frangipaniers et de plantes tropicales.
Glissant sur les marbres blancs et noirs qui marquettent le sol, on a une pensée émue pour tous ces artisans de haut vol réunis par ce chantier et qui rendent hommage à l’âge d’or des souverains rajpoutes. Rien de guindé, pourtant, dans cet hôtel qui joue les musées avec subtilité. Six Senses, en virtuose du luxe simple qui ne se prend pas au sérieux, a tracé les contours d’un accueil chaleureux, en accord avec l’écosystème local.
3 questions à Prithviraj Singh - Ancien maharadjah de Fort Barwara.
Quelle vision sous-tend ce projet de rénovation ?
Je souffrais de voir ce fort dans un piteux état. Mon père y habitait, mais n’avait pas les moyens de l’entretenir. Depuis toujours, je rêvais de redonner à ce site exceptionnel l’éclat qu’il mérite. La proximité du parc de Ranthambore est un autre atout, qui permettait d’envisager un projet lié au développement du tourisme. Les démarches ont été très longues, depuis la réflexion sur le projet, le choix d’architectes compétents et les différentes étapes de ce chantier hôtelier qui a évolué au fil du temps, passant de 11 à 48 chambres, pour proposer une expérience différente du luxe en Inde.
Comment ces travaux ont-ils été financés ?
C’est grâce à un partenariat avec le groupe immobilier et hôtelier indien Espire que le projet a pu aboutir – Six Senses est intervenu plus tard, en tant que conseil en management hôtelier et pour nous aider, notamment, à formaliser la partie écoresponsable. Je ne suis pas habilité à dévoiler des chiffres précis, mais disons que les investissements se comptent en dizaines de millions. L’hôtel a ouvert en octobre 2021, mais les travaux environnementaux se poursuivent à l’extérieur, sur les collines où des milliers d’arbres endémiques sont en cours de plantation.
Quels principaux obstacles avez-vous rencontrés ?
La première difficulté vient de l’emplacement de Fort Barwara. Dans cette région rurale reculée, aucun matériau ni compétence technique n’était disponible sur place. Il a fallu faire venir des artisans qualifiés de Delhi et Bombay, les matières premières de Jaipur. La coordination des équipes a constitué l’autre challenge ; plus de mille personnes ont travaillé sur ce chantier, dont 50 % sont issues du village. Considérant le RSE, le projet a été bénéfique pour les habitants, en favorisant le développement de structures d’accueil, de restaurants et de commerces. Le fort a aussi créé des emplois qualifiés : environ 60 personnes, sur les 275 salariés que compte l’hôtel, vivent au village de Chauth Ka Barwara. Et nous avons aussi restauré le réseau d’alimentation en eau du lac, qui a retrouvé sa beauté d’antan.
Félicité orientale
L’expérience immersive commence dès l’arrivée, avec la récitation d’un mantra qui met d’emblée le visiteur dans un état de félicité. Elle se prolonge dans l’ancien temple avec la puja, rituel sacré hindou qui accompagne chaque soir le coucher du soleil.
Le cérémonial magique fait danser les lampes à huile au son des cloches, tandis que les appels à la prière du brahmane et du muezzin montent du village enfoui dans les brumes. On est alors prêts à rejoindre le restaurant et son patio, où deux feux de camp rassemblent les visiteurs, dans la grande tradition des sundowners, ces verres que l’on déguste à la tombée de la nuit.
On admire au passage les tenues du personnel, épures rose pâle en coton mat qui réinterprètent le costume traditionnel, dépourvues de turbans et autres accessoires classiques des palaces. « Cette audace vestimentaire est une première en Inde », assure Frans Westraadt, le directeur de l’hôtel, qui pilote une équipe de 275 salariés, dont 35 officient en cuisine.
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Ce soir, on retrouve les délices du Rajasthan au menu, où des incontournables, comme l’agneau rôti aux épices, voisinent avec de surprenantes croquettes de baies sauvages, le tout arrosé de chardonnay Sula Vineyards. Mais les sens peuvent aussi voyager en Italie, en Asie et au Moyen-Orient, la carte experte mêlant les saveurs du monde.
Cet éclectisme est taillé sur mesure pour la clientèle, en grande partie indienne depuis que l’épidémie de Covid-19 a freiné les arrivées des Occidentaux, explique Frans Westraadt : « Les Indiens cherchent davantage l’exotisme à l’intérieur de leur pays. Ils apprécient les nouvelles adresses qui proposent un luxe différent, notamment pour y fêter un anniversaire en famille. » Croiser des élégantes en sari plutôt que des Américaines en bermuda confère un charme indéniable aux lieux.
Croiser des élégantes en sari confère du charme aux lieux
À l’heure de regagner sa suite, les détails distillent une ambiance de simplicité raffinée – les draps sont en coton égyptien, et on rêverait de rapporter chez soi le sublime peignoir en lin écru. Six catégories de chambres sont proposées, les plus belles offrant une terrasse avec une vue impressionnante sur le village et le temple Chauth Mata Mandir. Le cinéaste Satyajit Ray aurait adoré la romantique suite 216, avec sa balancelle, son petit patio et son divan creusé dans la muraille.
Le brin d’humour qui caractérise l’esprit Six Senses se retrouve sur chaque porte, décorée d’un turban et d’une paire de moustaches typiquement rajpoutes. Le bien-être étant au cœur du séjour, on se lève dès l’aube pour le cours de yoga. Une heure d’étirements au soleil levant, dans le joli pavillon en plein air, réaligne les chakras.
Puis on savoure tranquillement le petit déjeuner, après avoir emprunté un livre de George Orwell ou de Rudyard Kipling dans la bibliothèque lambrissée à l’ancienne. Les papillons butinent quelques graminées et aucun moustique ne franchit la haie de fleurs jaunes aux propriétés naturellement répulsives – ces détails illustrent une ligne directrice des lieux : le développement durable.
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Ateliers écologiques
Pour en savoir plus, rendez-vous à l’Earth Lab, pour une heure d’atelier où il est question d’économiser l’eau (rare et précieuse dans cette contrée désertique) et d’améliorer les pratiques aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du fort. Le guide spirituel de ces missions s’appelle Siddharth – « le nom de Bouddha », précise-t-il.
Éliminer les matières plastiques et diminuer le gaspillage
Siddharth Chakravarty dirigeait l’ONG d’un ashram avant de prendre les rênes de ce laboratoire écoresponsable. On vient chez lui pour soigner un rhume, concocter son antimoustique à base de margousier et de citronnelle. Mais ses vrais sujets de prédilection touchent à la responsabilité sociale et environnementale (RSE).
À l’hôtel, il se bat pour éliminer les matières plastiques, et diminuer les stocks et le gaspillage. « La majorité des enjeux sont invisibles aux yeux des clients. Ils concernent les cuisines, l’usage des produits ménagers ou la récupération des eaux, souligne-t-il. Mais il n’est pas facile de changer les mentalités chez les adultes. C’est pourquoi je travaille avec trois écoles du village de Barwara, car les enfants sont les meilleurs ambassadeurs auprès de leurs parents. »
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L’Earth Lab contribue aussi au projet ambitieux de reforestation des collines alentour : quelque 80 000 arbres devraient être replantés, pour lutter contre l’érosion et attirer les léopards, précieux félins endémiques, mais menacés d’extinction. Au pied du fort, une porte ouvre sur le monde réel.
En quelques secondes, le chemin débouche sur la rue principale de Chauth Ka Barwara. Aucune voiture ne pourra jamais se faufiler entre les maisons aux couleurs pastel et les temples en ruines, où les habitants dévisagent les rares étrangers qui passent depuis que l’hôtel a ouvert. Mais les vaches, cochons et chèvres paraissent encore plus nombreux que les humains.
Une ruelle moyenâgeuse conduit au lac. Comme chaque matin, les lavandières lavent leur linge sur les ghats, ces escaliers qui descendent dans l’eau. Plus loin, un homme accroupi nourrit les carpes, un autre fait de même avec les pigeons. Et le fort reflète ses grandes murailles rouges, symbole de cette douceur de vivre.
Comment y aller ?
Kuoni Émotions propose un séjour de 5 nuits à partir de 3 950 € par personne, comprenant les vols A/R Paris – Delhi en classe économique (5 500 € en business), les transferts, 1 nuit à Delhi et 5 nuits à Fort Barwara avec petits déjeuners et le service Accueil à Paris.