The Good Culture
Vins et spiritueux
Les maisons de cognac ou les marques de whisky multiplient les collaborations artistiques pour apporter un supplément d’émotion à l’expérience de dégustation. Certaines vont plus loin, en créant fondation d’entreprise ou site Internet et associent ainsi durablement deux univers qui ont le luxe en commun.
Le coffret, presque intimidant, s’ouvre comme un diptyque sur une oeuvre de la sculptrice Kate McGwire et un colossal flacon de Royal Salute 53 ans d’âge. Présenté à la Frieze, la foire d’art contemporain de Londres, par la marque de whisky Chivas, l’objet donne vie à une expression spectaculaire du mariage, toujours plus heureux, de l’art et des spiritueux. Son prix : 90 000 dollars le coffret ; 21 ont été créés.
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Depuis plusieurs années, les collaborations foisonnent dans les distilleries à des niveaux divers, de Talisker à Cardhu, de Glenfiddich à The Balvenie.
Si les rhums Havana Club ou Bacardi, les vodkas Absolut ou Belvedere sont aussi habituées des rhabillages arty de leurs bouteilles, les grandes maisons de cognac travaillent davantage à la manière de leurs homologues du champagne, qui ont été précurseurs au point que l’inventaire de leurs réalisations ressemble à un catalogue d’exposition : Jeff Koons, Georgia Russell, Vik Muniz, Philippe Starck… Pionnier du genre, le château Mouton Rothschild fait illustrer l’étiquette de son premier cru classé depuis 1945. Ont signé Picasso, Dalí, Balthus, Soulages, Bacon, Koons encore…
Des cinéastes chez Hennessy
Le vin, pourtant, fait figure d’arte povera dans l’univers des alcools, où les spiritueux visent clairement la conquête du luxe. Hennessy y concourt mondialement : le cinéaste Damien Chazelle vient de réaliser le dernier opus d’une saga consacrée à la marque de whisky XO (extra old), après Ridley Scott en 2019 et Nicolas Winding Refn en 2016.
« Le film met en valeur la puissance des émotions, souligne Laurent Boillot, le président de cette maison du groupe LVMH. Le cognac est un sujet de répétition. Notre comité de dégustation se réunit tous les jours à 11 heures pour faire en sorte que l’eau-de-vie créée il y a des années, des décennies, des siècles soit la même. La répétition, c’est le savoirfaire ; la création, c’est le pas de côté. Les artistes nous engagent vers ce pas de côté, à regarder différemment le travail réalisé. »
Pour celui qui préside également le Comité Colbert, l’organe de promotion du luxe français dont sont également membres les voisins cognaçais Martell ou Rémy Martin, le lien avec l’art est constitutif de leur activité : « Le luxe repose sur quatre socles : la culture, la main, l’imagination et le temps. L’art et le luxe ont de nombreux éléments en commun. D’abord, une certaine forme d’immortalité : dans l’art, on laisse derrière soi des créations pour l’éternité, et dans le luxe, du temps long. Ensuite, ils offrent tous deux un aperçu des civilisations et un témoignage des cultures. Enfin, ils poursuivent la quête du beau. »
Des fondations pour soutenir l’art
Challenger de Hennessy, Martell a choisi une autre voie : l’ouverture, en 2016, d’une fondation d’art contemporain sur un ancien site de production, à Cognac même. Avec une résidence d’artistes et des ateliers de création sur place, la dernière exposition Almanach explore l’ancrage de la marque sur un territoire à la fois rural et industrialisé.
« Martell fabrique un produit hyper local exporté à l’autre bout du monde, explique Anne-Claire Duprat, directrice de la Fondation d’entreprise Martell. C’est une problématique intéressante, cohérente également avec les valeurs de la marque, qui est dans une dynamique très forte, depuis 2019, de transformation de ses pratiques, et avec celles du groupe Pernod Ricard, qui a toujours soutenu les artistes. La Fondation est un laboratoire et un outil de philanthropie avec des bourses pour les créateurs, un accès totalement gratuit pour le public. »
D’autres maisons, indépendantes, jouent la contreprogrammation : Meukow et la musique, Hine et le mécénat d’un jeune artiste du Royal College of Art de Londres, Frapin et le théâtre, en accueillant des représentations du festival Les 3 Coups de Jarnac dans son superbe chai Eiffel. Ce travail d’image, sans résonance directe avec le produit, les whiskies Glenfiddich et The Balvenie, marques soeurs du groupe William Grant, l’explorent également.
La première expose ainsi des artistes en résidence dans la galerie intégrée à la distillerie et a lancé en 2021 The Grande Composition, une plate-forme numérique ouverte. Avec The Makers Project, The Balvenie a, elle, proposé à trois artistes issus d’univers différents, en l’occurrence des Français, un séjour sur ses terres des Highlands.
Cette carte blanche cherchait leur interprétation du travail artisanal de la distillerie ; elle a donné lieu à une présentation des oeuvres à Paris en décembre dernier. Sur le marché français, très friand de ses single malts exceptionnels, le message est limpide : les grands alcools sont aussi des créations artistiques.
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