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Lors de son passage à Malaga, The Good Life a posé quelques questions au maire Francisco de la Torre Prados. Rencontre.
Lors de son passage à Malaga, The Good Life a posé quelques questions au maire Francisco de la Torre Prados. Rencontre.
Marine Mimouni

The Good City // Acteurs

Francisco de la Torre Prados : « L’art est l’un des leviers qui font de Malaga une ville d’excellence »

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Lors de son passage à Malaga, The Good Life a posé quelques questions au maire Francisco de la Torre Prados. Rencontre.

Malaga est l’une des cités européennes qui se sont le plus transformées au cours des vingt dernières années. Maire de la sixième ville d’Espagne depuis 2000, Francisco de la Torre Prados est le concepteur et l’artisan de cette métamorphose. Il a misé sur le développement du tourisme culturel en dotant sa ville de grands musées et sur la création d’un puissant pôle high-tech qui est parvenu à attirer des géants tels que Google, Vodafone, IBM, Oracle ou Accenture…


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Sous sa houlette, le centre-ville et le port ont été totalement rénovés, devenant des quartiers piétonniers. Réélu en mai dernier à la majorité absolue… à 80 ans passés, Francisco de la Torre Prados détaille pour The Good Life le long parcours d’obstacles qui lui a permis de changer le visage de sa ville, pour laquelle il éprouve une véritable passion. Et ce dans un français parfait, souvenir de ses études à l’université de Rennes…

Rencontre avec Francisco de la Torre Prados, maire de Malaga

The Good Life : Quels sont les mots qui définissent le mieux la ville de Malaga ?

Portrait de Francisco de la Torre Prados.
Portrait de Francisco de la Torre Prados. DR

Francisco de la Torre Prados : Le soleil, avec 300 jours de beau temps par an ; la lumière, merveilleuse, de jour comme de nuit, car la Méditerranée se trouvant au sud, le clair de lune se reflète toujours sur les flots ; la beauté des paysages, avec la mer et la montagne, la vigne et les vergers d’orangers, de manguiers, d’avocatiers ; mais aussi l’histoire, bien sûr, car Malaga, l’une des cités les plus anciennes d’Europe, fondée par les Phéniciens il y a 3 000 ans, a fait partie du monde romain et a connu sept siècles de présence islamique.

Enfin, le cosmopolitisme, car les nombreux étrangers qui travaillent dans les multinationales de la high-tech implantées à Malaga ont été précédés, à partir de la fin du xviiie siècle, par des Français, des Allemands, des Anglais, des Hollandais… qui exportaient dans leur pays d’origine du vin et des raisins secs, participaient à l’industrialisation en créant des forges ou des tonnelleries et investissaient dans le commerce maritime avec l’Amérique latine. Tous ont bénéficié du fait que Malaga est une ville très hospitalière : ceux qui arrivent chez nous se sentent si bien qu’ils ont l’impression d’être nés ici.

L’un des surnoms de Malaga est « la Ville des musées ». On y trouvait moins de 1 000 m2 consacrés aux expositions d’art en 1995 ; la superficie de ses musées dépasse aujourd’hui 70 000 m2. Pourquoi et comment avez-vous créé tous ces établissements ?

Vue du port de Malaga.
Vue du port de Malaga. Alexander Awerin / Unsplash

L’art est l’un des leviers qui font de Malaga une ville d’excellence, et les musées permettent d’attirer un tourisme culturel d’exception. Or nous ne disposons pas de collections historiques et notre budget est très limité. Mes initiatives ont donc consisté à utiliser des bâtiments municipaux pour accueillir de grandes collections privées et pour avoir accès à celles de musées de premier plan. Le premier musée que nous avons inauguré, en février 2003, est le Centre d’art contemporain.

Il est situé dans les anciennes halles, une construction d’architecture rationaliste qui date de la fin des années 30. À la collection municipale s’ajoutent les prêts à long terme de collectionneurs privés. La même année, les conversations que nous avions menées avec Christine Ruiz-Picasso, veuve du premier fils de Picasso, et Bernard, le petit-fils du peintre, ont abouti.

Grâce à leurs donations et leurs prêts d’oeuvres, le musée Picasso, situé dans le palais de Buenavista, a ouvert le 25 octobre 2003, jour anniversaire de la naissance du peintre. Picasso est en effet né à Malaga et y a vécu les onze premières années de sa vie. Ensuite, au vu du succès rencontré par ces deux musées, nous avons continué, en saisissant les occasions qui se présentaient…

Vous avez alors passé des accords avec le Centre Pompidou et le Musée russe de Saint-Pétersbourg…

« J’avais aussi eu l’intention d’accroître le rayonnement de notre musée des beaux-arts en essayant de passer un accord avec le musée du Prado, à Madrid, et celui de notre musée d’archéologie en demandant le soutien du British Museum. »
« J’avais aussi eu l’intention d’accroître le rayonnement de notre musée des beaux-arts en essayant de passer un accord avec le musée du Prado, à Madrid, et celui de notre musée d’archéologie en demandant le soutien du British Museum. » Marco Trassini / Unsplash

Le premier accord de ce genre avec une grande institution a abouti, en 2011, à l’ouverture du musée Carmen- Thyssen dans le palais de Villalón, que nous avons rénové. Il présente plus de 250 tableaux espagnols et andalous, en grande partie du xixe siècle, qui proviennent de la fantastique collection Carmen Thyssen-Bornemisza, exposée au musée de Madrid. Pour le Centre Pompidou, tout est parti d’une demande faite à l’ambassadeur de France lors d’un match de football amical France-Espagne à Malaga.

Le Centre Pompidou venait de s’installer à Metz, alors pourquoi pas à Malaga ? De plus, le plan stratégique de rénovation du port avait prévu un bâtiment pour la culture à l’angle des quais 1 et 2, sans savoir quel en serait l’occupant. Finalement, cela a été le Centre Pompidou, qui a ouvert en 2015. Pour le Musée russe, j’avais d’abord pensé à passer un accord avec l’Ermitage, mais l’ambassadeur russe m’a poussé à contacter le Musée russe de Saint-Pétersbourg.

De plus, dès 2004, j’avais récupéré à prix cassé la Tabacalera, l’ancienne fabrique de tabac d’Altadis, un bâtiment gigantesque de style régionaliste. Il hébergeait déjà, depuis 2010, le musée de l’Automobile et de la Mode, créé à partir de la magnifique collection privée de voitures rares du Portugais João Magalhaes. Le Musée russe, qui met l’accent sur l’avantgarde russe du début du xxe siècle, s’est aussi installé dans la Tabacalera, en 2015.

Comment fonctionne-t-il aujourd’hui ?

Après l’invasion de l’Ukraine, nous avons coupé nos relations avec la Russie, et perdu le soutien du Musée russe de Saint-Pétersbourg. Mais le musée continue à présenter la culture russe, en faisant appel à des collectionneurs privés en Espagne et en Angleterre.

Aujourd’hui, Malaga compte 39 musées. Avez-vous encore des projets dans ce domaine ?

Lors de son passage à Malaga, The Good Life a posé quelques questions au maire Francisco de la Torre Prados. Rencontre.
Lors de son passage à Malaga, The Good Life a posé quelques questions au maire Francisco de la Torre Prados. Rencontre. Myfanwy Owen / Unsplash

La création de lieux publics consacrés à l’art a aussi attiré des musées privés, dont nous avons facilité l’installation. Parmi les plus remarquables, il y a le musée interactif de la Musique, le musée du Verre et du Cristal, le musée des Arts et Traditions populaires, le musée Jorge Rando, qui met en lumière l’oeuvre de ce peintre néo-expressionniste né à Malaga… Je n’exclus donc pas d’accueillir d’autres collectionneurs privés qui souhaiteraient ouvrir un musée ici, car cela décuple l’attractivité de Malaga sans rien nous coûter.

J’avais aussi eu l’intention d’accroître le rayonnement de notre musée des beaux-arts en essayant de passer un accord avec le musée du Prado, à Madrid, et celui de notre musée d’archéologie en demandant le soutien du British Museum. Il aurait alors fallu les installer dans des bâtiments séparés, mais le gouvernement régional d’Andalousie a refusé. Ces deux musées se partagent donc l’espace disponible dans le Palais des douanes, sous le nom générique « musée de Malaga ». Mais l’idée de les faire grandir reste bonne, et je n’y ai pas renoncé…


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Cette volonté de mettre l’accent sur la culture s’est accompagnée d’une rénovation complète du centre-ville. Pouvez-vous la décrire ?

Portrait de Francisco de la Torre Prados.
Portrait de Francisco de la Torre Prados. DR

Francisco de la Torre Prados : Nous nous sommes efforcés de répondre aux besoins des touristes, mais surtout de rendre le centre plus agréable à vivre pour la population locale, en le transformant en une immense zone piétonne, où se sont établis des commerces, des grands magasins, des restaurants… et bon nombre de musées. Et nous avons aussi entièrement rénové le port adjacent, en facilitant la vie des pêcheurs, des passagers et des croisiéristes, et en créant un nouveau port de plaisance.

Surtout, le port est désormais intégré au centre-ville, on peut circuler à pied de manière fluide entre les deux. Le port est lui aussi devenu en partie une ère piétonne, avec des commerces, des jardins, des places publiques, des équipements culturels et scientifiques, comme le Centre Pompidou et le nouvel Institut océanographique inauguré en 2022, en attendant peut-être une salle de concert supplémentaire. Il me semble que ce nouveau visage de Malaga est une grande réussite.

Une réussite telle que vous êtes la victime de votre succès. Dans le centre-ville, la spéculation immobilière, la prolifération des hôtels, bars, restaurants et commerces, ainsi que celle des logements loués sur Airbnb aboutissent à faire exploser les loyers et à chasser certains habitants vers des quartiers éloignés. Faut-il contrôler l’afflux de touristes et réglementer les locations de courte durée ?

« Pour pouvoir limiter la densité touristique dans le centre-ville, il faudrait, par exemple, réguler les plates-formes de locations de courte durée. »
« Pour pouvoir limiter la densité touristique dans le centre-ville, il faudrait, par exemple, réguler les plates-formes de locations de courte durée. » Simon Hermans / Unsplash

Oui, mais cela n’est pas de mon ressort. En Espagne, les compétences des maires se réduisent en principe à la gestion de l’eau, des ordures, de la police municipale, des jardins et des bibliothèques, tandis que l’éducation, le logement, la santé, l’emploi et la culture sont régis au niveau régional, c’est-à-dire, en ce qui nous concerne, par la communauté autonome d’Andalousie. Le budget des mairies, par habitant, est quatre ou cinq fois plus faible que dans la plupart des pays européens. Pour pouvoir limiter la densité touristique dans le centre-ville, il faudrait, par exemple, réguler les plates-formes de locations de courte durée.

Mais l’autorité régionale ne m’a pas accordé la délégation de pouvoir nécessaire. Nous nous contentons donc d’essayer d’évoluer vers un tourisme plus haut de gamme, en attirant des hôtels cinq étoiles – nous n’en avons que quatre actuellement –, en misant sur les visites de congrès et en multipliant les événements culturels tels que le Festival du cinéma espagnol, le carnaval ou les illuminations de Noël, considérées comme les plus belles d’Espagne.

L’autre dimension du problème, c’est de faciliter l’accession à la propriété pour les habitants de Malaga. Là encore, je n’ai pas le pouvoir de modifier, par exemple, le système des « logements officiellement protégés » – qui plafonne le prix de vente et accorde des subventions aux acheteurs. Pourtant, il ne fonctionne pas bien.

Aujourd’hui, le prix plafonné est en effet fixé trop bas pour que les promoteurs s’intéressent vraiment à ce type de programme. Mais nous ne restons pas pour autant les bras croisés : en vingt ans, la municipalité a construit 5 300 logements sociaux, un effort qui a peu d’équivalents dans les autres grandes villes d’Espagne.

Mis à part le tourisme, l’autre moteur de l’économie de Malaga est l’implantation de grandes entreprises du secteur de la high-tech et de start-up innovantes. Comment avez-vous réussi à les attirer ?

« Malaga est située tout au sud de l’Europe, mais est très bien connectée. »
« Malaga est située tout au sud de l’Europe, mais est très bien connectée. » Yuliya Matuzav / Unsplash

Malaga est située tout au sud de l’Europe, mais est très bien connectée. Notre aéroport, le quatrième d’Espagne, fait transiter 20 millions de passagers par an et offre des vols directs vers 130 destinations, dont New York et les pays du Golfe. Le train à grande vitesse permet aussi de rejoindre Madrid en deux heures et demie.

De plus, le coût de la vie est plus abordable que dans la plupart des villes d’Europe et la qualité de vie, exceptionnelle. Enfin, l’université de Malaga, qui accueille 32 000 étudiants, forme une main-d’oeuvre très qualifiée, et le réseau municipal d’incubateurs comprend 13 centres différents.

Des entreprises comme Accenture, Oracle, Ericsson, Google, IBM et Vodafone se sont donc implantées chez nous et le Malaga TechPark héberge plus de 600 entreprises employant 22 000 collaborateurs. Le bâtiment de la Tabacalera, qui abrite à la fois le pôle de contenus numériques de Malaga (production audiovisuelle, jeux vidéo, réalité virtuelle, métavers…), le Musée russe et le musée de l’Automobile et de la Mode, est ainsi devenu un symbole. L’avenir de Malaga repose en effet sur deux piliers : les nouvelles technologies et la culture.

La transformation de Malaga ne l’empêche pas de rester l’une des villes espagnoles dont les salaires sont les plus modestes. Et un habitant sur sept est au chômage. Comment faire évoluer la situation ?

Dans les rues de Malaga.
Dans les rues de Malaga. Nikita Patel / Unsplash

Francisco de la Torre Prados : L’Andalousie a toujours compté parmi les régions les moins riches d’Espagne, c’est vrai. Le chômage, à Malaga, a cependant beaucoup baissé en dix ans, malgré le coup terrible porté au tourisme par la pandémie de Covid-19. Pour faire progresser l’emploi et les revenus, l’éducation est la clé.

Il faut que nous puissions proposer aux entreprises de la high-tech qui s’installent chez nous tous les spécialistes dont elles ont besoin. Mais jusqu’en 2019, l’autorité régionale d’Andalousie, alors dirigée par un socialiste, s’est opposée à la création d’établissements d’enseignement supérieur et de business-schools privés.

Depuis, les choses ont commencé à changer. L’an dernier, l’école 42 a ouvert ses portes, ainsi que Digitech, un autre centre de formation à l’informatique et aux technologies du numérique. Nous avons aussi sélectionné deux universités privées de renom qui vont s’installer à Malaga : Europea et Alphonse X le Sage.

Je négocie actuellement avec l’autorité régionale et avec Madrid l’ouverture d’une université en ligne, et j’espère attirer d’autres grandes écoles et instituts de formation, en particulier pour faire augmenter le nombre de diplômés dans le secteur du commerce et du tourisme. Ce nouvel élan dans l’éducation, c’est l’un des enjeux essentiels de mon mandat actuel, celui qui me tient le plus à coeur.


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