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Dans le sud de la mégapole de Mexico se dresse l'UNAM, érigée au milieu du XXe siècle à la manière d’un manifeste architectural, 2024 - TGL
Dans le sud de la mégapole de Mexico se dresse l'UNAM, érigée au milieu du XXe siècle à la manière d’un manifeste architectural, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good City // Politiques publiques

Université de Mexico (UNAM) : mégacampus et manifeste moderniste

Politiques publiques

The Good City

Dans le sud de la mégapole de Mexico, au cœur du quartier d’El Pedregal, se dresse la plus vaste université d’Amérique latine, érigée au milieu du XXe siècle à la manière d’un manifeste architectural. Un ensemble d’une rigueur toute moderniste, mais chahuté par de folles façades, dont certaines signées Diego Rivera. Exploration d’un campus qui, aujourd’hui encore, étonne.

À première vue, l’UNAM (Universidad Nacional Autónoma de México) ressemble à campus nord-américain lambda – les briques rouges en moins, les fresques murales en plus – avec son lot de grosses bâtisses administratives, d’enfilades de salles de cours, de centres de recherche, d’équipements sportifs et, pour les relier, des bosquets riants et des esplanades herbues sur lesquelles bûchent ou paressent des étudiants en lettres, en architecture ou en médecine.


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Sauf que rien n’est peut-être plus mexicain, dans ses splendeurs comme dans ses écueils, loin donc de l’américanisme qu’on lui suppose, que l’Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM), cette faculté de toutes les sciences et de toutes les humanités qui, par sa taille gigantesque, coiffe au poteau toutes ses concurrentes d’Amérique latine.

Progrès et éducation des masses

. Les œuvres d’art jalonnent l’université, des façades jusque dans la bibliothèque, en passant par les espaces de transition.
. Les œuvres d’art jalonnent l’université, des façades jusque dans la bibliothèque, en passant par les espaces de transition. Young-Ak Kim

C’est à Miguel Alemán, président très porté sur les grands travaux, qu’on doit la construction, entre 1946 et 1952, de ce mégacomplexe s’étirant sur près de sept kilomètres. Alemán ?

C’est le premier président sans carrière militaire du Mexique, celui qui s’entourait davantage d’universitaires que de hauts gradés, alors même que, sous son mandat, corruption et clientélisme s’institutionnalisèrent. Ce dernier croyait fort au progrès et à l’éducation des masses, lui, l’héritier de la révolution antibourgeoise de 1910.

Incarnation du futur en marche, c’est le bâtiment des sciences, silhouetté comme un électrocardiogramme en 3D, qui occupera le centre du campus – cet édifice rassemble aujourd’hui des services transversaux.
Incarnation du futur en marche, c’est le bâtiment des sciences, silhouetté comme un électrocardiogramme en 3D, qui occupera le centre du campus – cet édifice rassemble aujourd’hui des services transversaux. Young-Ak Kim

Constatant que l’université de l’époque, installée dans les murs vénérables du centre historique colonial, craque et déborde de partout, incapable d’accueillir les aspirants étudiants d’un Mexique en plein essor, Alemán appelle alors de ses vœux un campus moderne, lavé de ses oripeaux coloniaux et connecté au Mexique autochtone, où pourraient phosphorer à l’aise un demi-million d’étudiants.

Les kilomètres carrés nécessaires à cela ? Ils sont disponibles à El Pedregal (« l’éboulis », en français), localité qui se résume alors à un vaste écoulement de lave séchée née du volcan Xitle. Double avantage, pratique et symbolique, de ce terrain de roches noires.

L’UNAM, une université en forme de chef d’œuvre moderniste.
L’UNAM, une université en forme de chef d’œuvre moderniste. Young-Ak Kim

Pratique, d’abord, car situé à près de 20 kilomètres du centre-ville. Les autorités espèrent ainsi tenir les étudiants les plus contestataires loin des lieux du pouvoir – si Alemán célèbre la révolution, il veille à étouffer ses propres pourfendeurs.

Symbolique, ensuite, car entre ces monticules de lave et ces bosquets de cactus, les populations autochtones ont longtemps trouvé refuge face aux colons espagnols, ce qui fit dire à Luis Garrido, premier recteur de l’UNAM un rien lyrique : « C’était là le siège d’une ancienne civilisation, ce sera désormais le siège de la culture du futur », au mitan du XXe siècle. L’histoire n’a pas retenu, toutefois, à combien d’expropriations ce futurisme-là a conduit.

Les idéaux à l’œuvre

Dans la cour de l’UNAM.
Dans la cour de l’UNAM. Young-Ak Kim

Incarnation du futur en marche, c’est le bâtiment des sciences, silhouetté comme un électrocardiogramme en 3D, qui occupera le centre du campus – cet édifice rassemble aujourd’hui des services transversaux.

Pour le concevoir, trois architectes, Eugenio Peschard, Raúl Cacho et Félix Sánchez, ont planché de concert ; 140 architectes ayant œuvré au total sur l’ensemble du campus.

Une équipe dont le caractère pléthorique est politique : redistribution des pouvoirs créatifs plutôt que concentration entre les mains d’un seul, voilà les idéaux révolutionnaires encore à l’œuvre.

Pour le concevoir, trois architectes, Eugenio Peschard, Raúl Cacho et Félix Sánchez, ont planché de concert ; 140 architectes ayant œuvré au total sur l’ensemble du campus.
Pour le concevoir, trois architectes, Eugenio Peschard, Raúl Cacho et Félix Sánchez, ont planché de concert ; 140 architectes ayant œuvré au total sur l’ensemble du campus. Young-Ak Kim

Avec, quand même, un triumvirat chargé du plan directeur, les architectes Mario Pani, Enrique del Moral et Mauricio Campos, afin de donner cohérence et unité à l’ensemble.

À l’arrivée, une université en forme de chef d’œuvre moderniste, inspirée certes des angles droits et formes nettes « à la Le Corbusier », mais qui, notamment par ses folles façades, clame à grands cris son identité mexicaine, bien dans la lignée d’une tradition muraliste née, elle aussi, de la révolution de 1910 – ces fresques racontent le monde de manière simple, voire volontairement naïve, et sont censées être comprises par tous, même les illettrés.

De grandes pierres sculpturales en guise d’assises.
De grandes pierres sculpturales en guise d’assises. Young-Ak Kim

Prenez ainsi la bibliothèque centrale, le bâtiment le plus iconique de l’UNAM, qu’on doit à l’architecte Juan O’Gorman, celui qui, aussi, dessina la maison-atelier de Frida Kahlo et Diego Rivera. Enchâssement de stricts parallélépipèdes, voilà pour la forme.

Pour l’habillage, ses deux tiers supérieurs sont recouverts d’une œuvre murale ahurissante, faite de pierre volcanique colorée, où plastronnent figures précolombiennes, références à la colonisation et symboles scientifiques stylisés, comme un diaporama de l’histoire du pays.

Épatantes encore, ces œuvres murales en relief dont l’artiste David Alfaro Siqueiros a orné le rectorat, building vitré longiligne signé Mario Pani : dans une veine qui rappelle l’imagerie soviétique – visages décidés, mains brandies –, le sculpteur y exprime en sous-texte un anticapitalisme dont il ne faisait pas mystère.

Les étudiants de l’UNAM studieux à la bibliothèque.
Les étudiants de l’UNAM studieux à la bibliothèque. Young-Ak Kim

À côté, la mégafresque d’un autre communiste, notre Rivera précité, ornant tout un pan du stade universitaire voisin, aurait presque un air apolitique – le dieu serpent Quetzalcóatl, un condor andin, voilà, entre autres, ce qu’elle représente.

Mais à rebours de tout ce gigantisme, c’est par des détails et des surprises qui surgissent au détour d’une coursive que le campus charme aussi. Ainsi de ces fenêtres coulissantes ou à soufflet qui, selon qu’elles sont ouvertes ou non, dérégularisent joyeusement l’austère façade tout en vitres de la tour des humanités.

Diverses sculptures entourent l’UNAM.
Diverses sculptures entourent l’UNAM. Young-Ak Kim

Ou encore de ces parterres de lave rugueux, piqués au petit bonheur de succulentes, qui contrastent avec les pavillons adjacents, au cordeau, de la fac d’architecture.

Quelque chose de foutraque, de vivant, de foisonnant, de tellurique habite tous les recoins de l’UNAM, bien à l’image d’une capitale, qui, sous ses splendeurs, fanées ou pas, pulse de partout.


Site internet de l’UNAM


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