Voyage
Rebaptisée « Hollywood North », la région de Vancouver bénéficie de la formidable croissance du secteur du divertissement. Employant 70 000 personnes, l’industrie du cinéma et du jeu vidéo garantit des débouchés aux étudiants qui sortent des écoles spécialisées de la ville.
Le métier de Geoff Teoli consiste à voir Vancouver comme un immense plateau de tournage. Lors d’une balade dans le quartier de Gastown, le film commissioner de la ville montre des immeubles anciens où ont été filmées des scènes situées à New York, Boston, Philadelphie ou Londres. Puis il fait admirer le hall du Marine Building, un joyau de style Art déco dans lequel ont été tournés plus de 20 films étrangers, avant de parcourir la West Waterfront Road, transformée en une artère bondée de Bombay pour Mission impossible 4. Juste à côté, les gratte-ciel de Bentall ont servi de décor à des films de science-fiction (de Star Trek à Godzilla, de Robocop à Minority Report…) et à la comédie L’interview qui tue !, dont l’action se déroule… en Corée du Nord.
Quant à l’hôpital Riverview, au stade BC Place, aux universités Simon Fraser et British Columbia, à l’école secondaire Templeton, au théâtre Orpheum, à l’aquarium de Stanley Park ou à l’aéroport, ils ont accueilli chacun entre 10 et 20 tournages. Pour rendre les prises de vue moins polluantes, Geoff Teoli est en train d’imposer l’utilisation de générateurs électriques. Il installe même sur les sites de tournage les plus appréciés des prises électriques cachées dans le mobilier urbain, de façon à supprimer les dits générateurs. Ville caméléon, Vancouver se métamorphose ainsi pour les besoins du cinéma en dizaines d’autres cités. « Nous accorderons 1 500 autorisations de tournage cette année, auxquelles il faut ajouter les prises de vue en banlieue et en Colombie‑Britannique, qui se sont multipliées. On compte des dizaines de studios de cinéma, qui s’étendent sur 300 000 m2. Et 100 000 m2 sont en construction… » explique Geoff Teoli.
Conçu à Los Angeles, tourné à Vancouver
Si l’industrie du jeu vidéo de Vancouver maîtrise toute la chaîne de production (ainsi, Electronic Arts y conçoit, développe et produit le jeu FIFA), il n’en va
pas de même dans le cinéma. La ville accueille des centaines de tournages, mais aucun film important n’est écrit et financé
sur place. « La plupart des scénaristes et réalisateurs formés ici partent à Toronto, New York et surtout Los Angeles, car c’est là-bas qu’on crée des films », observe Kyle Fostner. Neill Blomkamp, le réalisateur de District 9 et Elysium, et sa femme, la scénariste Terri Tatchell, sont des exceptions. Ils écrivent et tournent à Vancouver depuis vingt ans, et y préparent un… District 10.
Walt Disney vient d’ouvrir un studio qui réalisera des séries et des projets pour la plate-forme de streaming Disney+. Weta FX, le studio d’effets visuels de Peter Jackson (Le Seigneur des anneaux ou Le Hobbit), vient aussi de s’installer. Ils rejoignent Netflix, qui occupe 15 plateaux d’une surface totale de 50 000 m2, Sony Pictures Imageworks (animation, effets spéciaux), dont le siège est à Vancouver, ainsi qu’Industrial Light and Magic, la compagnie de George Lucas. Parmi les poids lourds locaux, Vancouver Film Studios, Bridge Studios, Mammoth Studios sont loués par des productions américaines et affichent souvent complet. Ainsi, aucun des six plateaux des Vancouver Island Film Studios n’est disponible avant février 2024.
Des dépenses de production record
À trois heures d’avion de Hollywood, Vancouver est le troisième site de production cinématographique d’Amérique du Nord, derrière Los Angeles et New York, au point de se voir rebaptisée « Hollywood North ». Les dépenses de production ont atteint la somme record de 4,8 milliards de dollars en 2021, alors qu’elles étaient de 2 milliards de dollars en 2016. Si on ajoute les 160 entreprises du secteur du jeu vidéo tout aussi performant (dont les vaisseaux amiraux Electronic Arts et Microsoft emploient chacun 2 000 salariés), l’entertainment génère près de 6 milliards de dollars de dépenses et emploie 70 000 personnes – soit l’équivalent de 43 000 salariés à temps complet. Outre sa photogénie passe-partout, Vancouver propose (comme tous les grands lieux de tournage de la planète) des crédits d’impôt. Mais son principal atout, c’est le talent.
Des écoles au premier rang mondial
La ville compte 17 filières d’éducation qui permettent d’exercer tous les métiers du cinéma et du jeu vidéo. Nombre d’entre elles (les universités Simon Fraser, Emily Carr, Capilano et British Columbia, la Vancouver Film School, l’InFocus Film School, le Visual College of Art and Design, le Centre for Digital Media) jouissent d’une réputation internationale. « Chaque année, en douze mois d’études intensives, nous formons 1 200 élèves, dont la moitié sont étrangers. Ils deviendront producteurs, acteurs, scénaristes, créateurs de jeux vidéo, ou spécialistes de l’animation, des effets spéciaux, du son ou du maquillage. Notre force, c’est l’intégration de l’école avec l’industrie. Chaque élève a pour mentor un professionnel reconnu dans la spécialité choisie. Quant à nos studios de capture de mouvements et d’effets visuels, ouverts 24 h/24, ils sont financés et utilisés par des entreprises partenaires, mais les élèves y ont accès et bénéficient de l’aide de techniciens », explique Jon Bell, le directeur de la Vancouver Film School.
3 questions à Kyle Fostner, directeur exécutif du Vancouver International Film Festival.
The Good Life : Pouvez-vous nous décrire le Festival international du film de Vancouver ?
Kyle Fostner : La 41e édition, qui s’est tenue début octobre, a permis de faire découvrir 140 films indépendants et documentaires du monde entier dans 6 salles, dont les deux que nous exploitons. C’est un événement culturel majeur et un retour à la normale après un festival 2021 virtuel, dont les 100 films avaient été montrés en ligne du fait du Covid-19. La section Signals, coprésentée avec DigiBC, qui regroupe les acteurs de la création numérique, a aussi dévoilé des œuvres hallucinantes qui préfigurent le cinéma du futur.
TGL : En dehors du Festival, présentez-vous des films d’art et d’essai toute l’année ?
K.F. Oui, nous proposons 1 600 séances de cinéma par an et des débats avec des metteurs en scène, scénaristes ou acteurs dans nos salles et dans 9 cinémas situés en banlieue et dans la province. Outre les 700 000 habitants de Vancouver, qui ont accès au cinéma indépendant, nous voulons aussi atteindre un autre
public parmi les 5,3 M d’habitants de la Colombie‑Britannique, en organisant de petits festivals pop up, ou des projections suivies d’une rencontre avec le réalisateur.
TGL : Quelles sont vos relations avec les écoles de cinéma ?
K.F. L’université Capilano siège à notre conseil d’administration, et la Vancouver Film School organise ses remises de diplômes dans notre salle. Les rencontres avec des spécialistes du cinéma sont suivies par certains élèves, et les étudiants diplômés profitent de nos programmes de mentorat : Catalyst propose à 15 metteurs en scène débutants issus de minorités de rencontrer de grands professionnels qui les aident à réaliser leur projet. De même, VIFF Amp permet à de jeunes compositeurs et directeurs musicaux de s’intégrer à l’univers du cinéma.
Les écoles sont même au premier rang mondial pour l’animation et les effets spéciaux, qui offrent des débouchés à la fois dans le cinéma et le jeu vidéo. « Cette convergence va s’accélérer, car les moteurs de jeu d’Unreal et de Unity, ces outils de production virtuelle qui servent aux créateurs de jeux vidéo, sont désormais utilisés par le cinéma : ils permettent aux acteurs d’évoluer dans un environnement virtuel en temps réel et au réalisateur de visualiser la scène », remarque Jon Bell. Selon Lance Davis, membre du conseil d’administration de DigiBC, « le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo, de l’animation et des effets spéciaux va doubler d’ici à 2026, et irriguer d’autres secteurs, tels que l’industrie médicale ». D’où la nécessité de recruter des milliers de salariés à l’étranger, qui s’ajouteront à ceux formés localement. « Vous pouvez dire aux Européens souhaitant faire carrière dans le jeu vidéo et la creative tech que nous les accueillerons à bras ouverts ; le salaire annuel d’un débutant atteint 80 000 dollars canadiens. Et les investisseurs du secteur trouveront à Vancouver des pistes de développement formidables ! » conclut Lance Davis.
P.P.
À lire aussi
City Break : Nos adresses à Vancouver