« La nostalgie constitue une force fondamentalement humaine qui stimule le partage et les liens sociaux, et donne confiance en soi comme dans l’avenir. » Ainsi s’exprimait Constantine Sedikides, professeur de psychologie sociale à l’université de Southampton pour définir un sentiment qui a étreint de nombreux aficionados de jeux vidéo désireux de renouer avec un âge d’or qu’ils croyaient révolu à tout jamais. De cette nostalgie est né le rétrogaming.
Au milieu des années 80, seule une poignée de privilégiés dispose d’une console à domicile – ces dernières étant très chères – et la plupart des « gamers » envahissent les allées des salles d’arcade où ils ont toute latitude pour s’adonner à leur passion favorite. Peu à peu, la démocratisation des consoles de salon va acter la baisse de fréquentation de ces lieux de loisir, avant de signer, plus tard, leur mort clinique – ou presque.
Cependant, une console de salon va permettre de renouer avec ces sensations enfouies, puisqu’elle bénéficie de la même ludothèque que les fameuses bornes. Nom de code : Neo Geo ; mise sur orbite : printemps 1990. Considérée comme la Rolls-Royce des consoles, elle va marquer les esprits. D’autant plus qu’elle cultive un aspect inaccessible – aujourd’hui comme à l’époque, d’ailleurs – en raison de son prix. Mais, à l’instar de sa grande sœur des salles d’arcade, elle va connaître une petite mort au début des années 2000, dépassée par les PlayStation et consorts. « C’est à cette période que nous avons commencé à nous y intéresser davantage, car, au moment de sa sortie, elle était inabordable », confirme Raphaël Birn, qui œuvre à la personnalisation et à la restauration de bornes d’arcade, en y juxtaposant les codes épurés du design moderne. Le tout au sein de sa structure baptisée Neo Legend. Clin d’œil malicieux à cette époque bénie.
Ayant baigné depuis tout petit dans une atmosphère Art déco, avec une mère férue de brocante qui fréquentait le marché de Saint-Ouen, Raphaël peaufine sa proposition. « Au départ, nous importions des bornes d’arcade du Japon et des États-Unis, mais nous avons rapidement privilégié l’idée de créer nos propres lignes de produits, en y adjoignant une touche de personnalisation et de modernité. » Neo Legend s’emploie ainsi, en s’inspirant des écoles de design américaine, française et japonaise, à préserver la culture d’arcade. Sans dévoyer le produit d’origine. Un postulat qui a séduit un public de particuliers, mais également de grandes entreprises – Facebook, Amazon ou encore Aéroports de Paris – désireuses de donner plus de cachet à leurs espaces de travail, ont adopté la tendance du retrogaming.
Vibe rétrofuturiste
Une fibre artistique également partagée par l’artiste suédois Love Hultén, dont la démarche se révèle encore plus artisanale, le designer se voyant davantage comme un orfèvre sublimant des minibornes d’arcade en leur offrant un écrin de bois. Un savant mélange entre matériau naturel et électronique. Love Hultén évoquait d’ailleurs son processus créatif et son style dans nos colonnes, en 2020 : « J’imagine que tous mes travaux dégagent une vibe rétrofuturiste, et mélangent le passé et le présent. Mon but est de fabriquer des objets uniques, de fusionner la forme et la fonction de façon inattendue. »
L’inattendu est ce qui jalonne les journées d’Olivier Fournier, fondateur de la structure MyArcade.fr, qui œuvre également à la personnalisation de bornes d’arcade, avec, pour spécificité, de privilégier un circuit court made in France, à l’exception des boutons et des joysticks. « Nous avons parmi nos clients des VIP, dont une célèbre youtubeuse qui m’a demandé une borne avec un revêtement en poils roses, ou encore un club de football qui souhaitait disposer d’une borne ornée de gazon synthétique. » Des demandes insolites qui permettent à Olivier Fournier d’offrir de nouveaux ornements à un millier de bornes par an.
A LIRE AUSSI : Jeux en ligne, gaming : les nouvelles cibles des cybercriminels
Retrogaming sous le marteau
Si ce segment de marché se montre encore raisonnable d’un point de vue financier, celui des consoles de salon et des jeux rétro a, depuis longtemps, perdu « tout sens commun », selon Jean Monset, pionnier de la culture rétro, avec son émission culte, « Mémoire vive », sur Game One, au début des années 2000. Expatrié au Japon depuis 2006, il déplore cette spéculation tous azimuts : « Le moindre jeu vintage insignifiant coûte une fortune. J’ai vu monter la vague avec des acheteurs qui venaient tout rafler au Japon, pour ensuite revendre en Europe. Alors que, la plupart du temps, ces collectionneurs ne jouent même pas aux jeux. »
Et de pointer les sites recensant les cotes des différentes pièces. « Cela fait monter artificiellement les prix. » Avant de poursuivre : « Je me tais, car je sais que je suis à contre-courant. Paradoxalement, ces jeux sont inabordables dans leur version physique, alors qu’il n’a jamais été aussi simple d’y jouer de manière dématérialisée grâce à un émulateur ou un ordinateur. » Une position tranchée à laquelle le youtubeur Olivier WahWah, de la chaîne BackinToys, faisant office de tête de gondole de la sphère retrogaming sur la plate-forme, apporte une touche de nuance : « Bien sûr que je regrette cet aspect spéculatif, mais, en même temps, je le comprends. Si le retrogaming était resté cantonné à un petit milieu élitiste, nous n’aurions pas eu l’émergence de ce nouveau public. Et cette démocratisation a permis la production de jeux indépendants en 2D et le remake de titres emblématiques d’anciennes consoles sur des machines nouvelle génération. »
Une cohabitation harmonieuse
Le youtubeur pointe deux moments charnières qui ont œuvré à la démocratisation du retrogaming : « En 2016, la réédition de la NES en version mini, qui a poussé une nouvelle génération à s’intéresser à une console initialement sortie en 1984, date à laquelle la plupart de ces nouveaux adeptes n’étaient même pas nés. Puis la pandémie et le premier confinement, qui ont fini de convaincre ce nouveau public disposant de temps pour redécouvrir en profondeur les machines qui ont fait le bonheur de leurs aînés. » Et, ainsi, permettre à ces vestiges vidéoludiques et leur graphisme vintage de cohabiter en parfaite harmonie avec les Xbox, PlayStation 5 ou Nintendo Switch, et leurs cohortes de jeux poussant toujours plus loin le réalisme. Pour Olivier Fournier, le neuf et l’ancien se nourrissent l’un l’autre. « Si, en musique, vous pouvez apprécier les nouveautés tout en continuant à écouter les Beatles et Led Zeppelin, pourquoi n’en serait-il pas de même pour le jeu vidéo ? » La nostalgie n’a pas pris une ride.
S.H