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Junya Ishigami fait de nouveau parler de lui. L’architecte japonais vient d’achever le Zaishui Art Museum, à Rizhao, dans l’est de la Chine, 2024 - TGL
Junya Ishigami fait de nouveau parler de lui. L’architecte japonais vient d’achever le Zaishui Art Museum, à Rizhao, dans l’est de la Chine, 2024 - TGL
Marine Mimouni

The Good Culture // Architecture

Junya Ishigami réalise le Zaishui Art Museum, en Chine

Architecture

The Good Culture

À tout juste 50 ans, Junya Ishigami fait de nouveau parler de lui. L’architecte japonais vient d’achever le Zaishui Art Museum, à Rizhao, dans l’est de la Chine, un musée linéaire de un kilomètre de long qui semble flotter sur le lac artificiel où il prend place. Plus qu’un simple bâtiment, il offre aux visiteurs une expérience immersive qui questionne en profondeur la relation entre nature et architecture

Il y a toujours un vent de mystère qui souffle sur les œuvres de Junya Ishigami. À chacun de ses bâtiments, le même frémissement se propage, tant l’architecte japonais possède cette capacité à systématiquement créer la surprise. Et pour l’heure, aucune exception n’est venue entraver la règle.


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Le doux géant de Junya Ishigami

Les images de son dernier fait d’armes se répandent dans les médias, sur la Toile et les réseaux sociaux comme une traînée de poudre. La dernière fois qu’il fit parler de lui, c’était avec Maison Owl, un incroyable restaurant gastronomique enfoui dans la topographie et construit avec la terre excavée de son site. Réalisé pour le chef Motonori Hirata, ami de longue date de Junya Ishigami, ce petit bijou d’architecture abrite également la maison du célèbre cuisinier.

Junya Ishigami donne naissance à une construction de un kilomètre de longueur, soit peu ou prou celle du lac : une ligne franche qui le traverse d’une rive à l’autre.
Junya Ishigami donne naissance à une construction de un kilomètre de longueur, soit peu ou prou celle du lac : une ligne franche qui le traverse d’une rive à l’autre. Arch - Exist

Lors de l’exposition Freeing Architecture, que la Fondation Cartier a consacrée au Japonais en 2018, différentes maquettes de ce qui n’était alors qu’un projet de papier interpellaient quant à leur réelle faisabilité. Commencé en 2013, achevé en 2022, celui-ci a pourtant bel et bien vu le jour.

Tout comme le dernier en date, qui a mis le monde de l’architecture en émoi au printemps : le Zaishui Art Museum, édifié à Rizhao, dans la province du Shandong. « J’aime penser l’architecture librement, avoir une vision la plus souple, la plus ouverte, la plus subtile possible, pour dépasser les idées reçues sur l’architecture », clamait Junya Ishigami lors de la présentation de son exposition parisienne.

Force est de constater qu’il est une nouvelle fois parvenu à accorder paroles et actes. À Rizhao, le projet a démarré par un appel de Xu Qunde, président de la Shandong Bailuwan Company, promoteur œuvrant activement dans la région.

« Une nouvelle extériorité naît au sein de la structure », souligne Junya Ishigami. Aucun mur ni cloison ne vient rompre la continuité de la surface en béton qui constitue le sol. »
« Une nouvelle extériorité naît au sein de la structure », souligne Junya Ishigami. Aucun mur ni cloison ne vient rompre la continuité de la surface en béton qui constitue le sol. » Arch - Exist

Dans ce vaste quartier en développement de Bailuwan, où poussent des logements, des bureaux et des commerces, l’investisseur chinois souhaitait également bâtir des édifices susceptibles d’attirer les touristes et de doper l’architecture par ailleurs monotone.

L’agence espagnole SelgasCano a construit une passerelle couverte flanquée d’un café coloré. Sou Fujimoto et Ryue Nishizawa ont également répondu présent, tout comme Junya Ishigami, qui s’est vu confier la réalisation de ce musée spectaculaire dont les photos oniriques dissimulent habilement le contexte urbanisé et l’ambitieuse opération immobilière dans lequel il s’intègre. Démesure chinoise oblige, l’architecte japonais construit parallèlement d’autres bâtiments à Bailuwan, dont une église en béton de 45 mètres de hauteur.

Construire en Chine ?

Le Zaishui Art Museum s’inscrit ainsi dans le contexte plus global du développement de la ville de Rizhao. Sur 20 000m² de surface, il abrite un musée, mais également un centre commercial. Il prend place sur un lac artificiel, à proximité de l’entrée de ce nouveau district où s’activent les grues malgré un contexte immobilier qui a mis en suspens plusieurs opérations.

Sur un kilomètre de longueur, le dernier projet signé Junya Ishigami crée le lien entre intérieur, extérieur, nature et architecture.
Sur un kilomètre de longueur, le dernier projet signé Junya Ishigami crée le lien entre intérieur, extérieur, nature et architecture. Arch - Exist

Construire dans l’empire du Milieu – certains architectes s’y refusent – n’était pas chose anodine pour Junya Ishigami. Au contraire, il y a vu « un défi redoutable ».

Aussi, la première des interrogations fut celle de l’attitude à adopter : « Construire avec la “petite bête” qu’est l’architecture une relation équitable avec l’immense environnement que constitue la Chine est en effet très difficile, explique l’intéressé. De la plus petite maison à l’édifice le plus monumental, tout semble relever systématiquement d’une attitude défensive. Il flotte comme un air de résignation, de coupure forcée avec l’environnement, comme une compulsion à se refermer. »

Les colonnes portent une toiture sculpturale, également en béton, laquelle se déploie de façon cinétique, basculant de gauche à droite, de haut en bas.
Les colonnes portent une toiture sculpturale, également en béton, laquelle se déploie de façon cinétique, basculant de gauche à droite, de haut en bas. Arch - Exist

Junya Ishigami poursuit : « Il y a quelque chose de solitaire dans les bâtiments chinois qui se tiennent isolés, comme s’ils avaient été déposés dans cet environnement dénué de limites. Cette impression est aussi vraie dans les villes que dans les zones reculées. Tout cela rend évidente la nécessité de créer une véritable connexion entre l’architecture et son contexte. Et c’est encore plus délicat lorsqu’il s’agit de la Chine. »

De ce constat premier, Junya Ishigami va ainsi faire son fil rouge et une question lancinante : comment dompter le gigantisme ?

À la longueur du lac

Lorsque le client fait appel à Junya Ishigami, il exprime le souhait d’une construction « en relation avec l’eau ». L’architecte va alors chercher l’inspiration du côté des villes emblématiques, comme Venise ou Wuzhen, cité lacustre historique en Chine, qu’ils visitent ensemble.

Le béton, le verre, le métal et la pierre servent l’épure d’une architecture minimaliste et chaleureuse, qui invite la nature, et même l’eau, à y pénétrer.
Le béton, le verre, le métal et la pierre servent l’épure d’une architecture minimaliste et chaleureuse, qui invite la nature, et même l’eau, à y pénétrer. Arch - Exist

Mais ces exemples, où l’eau est malgré tout tenue à une certaine distance, le convainquent qu’il faut s’aventurer encore plus loin. Il imagine alors un bâtiment capable de rivaliser avec l’immensité du paysage où il s’installe, dans une forme d’équité volontariste qui lui donne sa force.

C’est ainsi que Junya Ishigami donne naissance à une construction de un kilomètre de longueur, soit peu ou prou celle du lac : une ligne franche qui le traverse d’une rive à l’autre. Le rapport à l’eau ne peut être plus direct : le bâtiment, réaliségin en béton blanc, affleure la surface.

En retour, l’eau clapote contre les flancs du bâtiment. « Une nouvelle frontière entre l’eau et le sol est introduite ici », résume Ishigami. 300 colonnes (150 de part et d’autre) disposées à intervalles réguliers de 6 mètres transfèrent les charges aux fondations qui vont chercher le sol stable au fond du lac.

À Rizhao, le projet a démarré par un appel de Xu Qunde, président de la Shandong Bailuwan Company, promoteur œuvrant activement dans la région.
À Rizhao, le projet a démarré par un appel de Xu Qunde, président de la Shandong Bailuwan Company, promoteur œuvrant activement dans la région. Arch - Exist

Les colonnes portent une toiture sculpturale, également en béton, laquelle se déploie de façon cinétique, basculant de gauche à droite, de haut en bas. Entre les verticales prennent place les 900 panneaux vitrés toute hauteur, tantôt fixes, tantôt ouvrants pour laisser pénétrer une brise légère et assurer la ventilation naturelle des espaces intérieurs.

Ni mur ni cloison

S’il s’étend sur un kilomètre de long, l’espace intérieur est tout sauf répétitif. Au fil du parcours, le sol s’élargit, allant de 5 mètres, à l’extrémité est, jusqu’à 20 mètres, à l’ouest, pour rejoindre un second bâtiment courbe qui prend place sur une terre sèche voisine du lac. Celui-ci complète le programme avec des espaces d’exposition, une boutique de souvenirs, un café et une bagagerie.

Le bâtiment ondule et vibre, comme s’il était en perpétuel mouvement.
Le bâtiment ondule et vibre, comme s’il était en perpétuel mouvement. Arch - Exist

Mais revenons à ce qui constitue la véritable prouesse technique et architecturale du bâtiment principal : sur toute la longueur de la construction, le plafond est tantôt haut, inondant l’espace de lumière, tantôt bas, s’inclinant pour se refléter sur l’eau.

Le bâtiment ondule et vibre, comme s’il était en perpétuel mouvement. Sa conception paramétrique crée des pentes, des largeurs et des hauteurs de toiture variables (4,95 mètres maximum), jusqu’à descendre au plus près du lac. En hiver, ce dernier gèle et le musée prend alors un tout autre visage.

À l’intérieur se développe un autre paysage. « Une nouvelle extériorité naît au sein de la structure », souligne Junya Ishigami. Aucun mur ni cloison ne vient rompre la continuité de la surface en béton qui constitue le sol : « J’ai imaginé le sol comme une île », explique l’architecte. Les frontières se brouillent, l’intérieur et l’extérieur se superposent, il n’y a plus de limites franches, il en va ainsi dans tous les bâtiments de l’architecte japonais.

Entre la nature et l’homme

Ce musée, et plus généralement cet espace, est pensé à travers le prisme de la polyvalence et accueille des expositions temporaires. Les premiers visiteurs ont découvert un événement autour de la production d’un chocolat de la région assorti d’œuvres d’art connexes.

Le sol du bâtiment s’élargit, allant de 5 mètres, à l’extrémité est, jusqu’à 20 mètres, à l’ouest, pour rejoindre un second bâtiment courbe qui prend place sur une terre sèche voisine du lac.
Le sol du bâtiment s’élargit, allant de 5 mètres, à l’extrémité est, jusqu’à 20 mètres, à l’ouest, pour rejoindre un second bâtiment courbe qui prend place sur une terre sèche voisine du lac. Arch - Exist

Six boîtes transparentes en acrylique présentent les différentes étapes de transformation des fèves de cacao jusqu’à la dégustation. Mais l’espace peut être facilement reconfiguré en fonction des manifestations à venir.

À son questionnement premier, Junya Ishigami a su trouver la réponse, selon lui, la plus appropriée : « La clé pour aborder le problème du paysage, en Chine, est de considérer l’architecture comme le “doux géant” d’un environnement, et de rechercher une relation totalement nouvelle entre le naturel et ce qui a été construit par l’homme. Une entité émerge dans laquelle l’architecture, se tenant isolée, s’installe confortablement dans son environnement naturel, les deux interagissant. Ainsi naît une nouvelle relation entre la nature et les humains. Faire en sorte que cela se produise est l’objet de ce projet. »

Le Zaishui Art Museum offre une nouvelle fois l’occasion de pénétrer l’univers poétique et singulier de Junya Ishigami, qui n’a pas fini de nous surprendre.


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