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Thibault Kuhlmann
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Thibault Kuhlmann, fer de lance du nouveau modèle éco de la musique

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Depuis une dizaine d'années, Thibault Kuhlmann est une figure de l'ombre discrète, mais non moins puissante, du music business. Il est à la tête de A&R Studios, l'agence créative d'innovations au service des artistes et des marques, au sein d'Universal Music France, et dont les deals prennent une place de plus en plus importante dans le modèle économique de la major.

Dans les années 90, les adolescents se divisent en deux camps : celui du rock et celui du hip-hop. Thibault Kuhlmann est de ceux qui sont séduits par la seconde catégorie, il fait du skate et adopte le look qui avec, et il est fan de « rap conscient » joué avec des instruments, dont les plus dignes représentants sont The Pharcyde, A Tribe Called Quest, et The Roots. 


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C’est cet intérêt pour la musique qui lui fait pousser la porte d’Universal Music où il effectue des stages au publishing (les éditions) et au back catalogue (les œuvres déjà publiées) avant de devenir chef de projet pour le groupe Hocus Pocus, groupe de rap influencé par les formations susmentionnées… A la fin des années 2000 un nuage noir vient planer au-dessus de l’industrie du disque, jusque-là habituée au faste. En 2007, selon le syndicat mondial des producteurs de musique (IFPI) les ventes de disques ont reculé de 10 %  sur le marché mondial. Selon les majors, la faute revient aux fournisseurs d’accès à Internet (ou l’âge d’or de l’ADSL, paix à son âme) et au téléchargement illégal. 

Crise de l’industrie musicale

En 2008 le marché du disque français a perdu plus de 50% de sa valeur, pour tomber à 606 millions d’euros, c’est 696 millions d’euros de moins qu’en 2002. Et c’est la plus forte chute d’Europe. En d’autres termes, il faut réagir et vite. Olivier Nusse, alors président d’ULM, et aujourd’hui PDG d’Universal Music France, décide de monter l’agence UThink. A l’aube de sa trentaine, l’hyperactif Thibault Kuhlmann, qui nous dit préférer déjeuner devant son ordinateur plutôt que de courir des rendez-vous mondains, en prend les rênes.

L’entité, qui adopte un statut d’agence de mannequin, a pour vocation de développer les relations entre  marques et artistes, afin de diversifier les sources de revenus pour ces derniers, au travers d’activité telles que l’endorsement (quand un artiste prête son image à une marque), le placement de produits, ou les concerts privés. Par exemple, quand une enceinte de la marque Parrot apparait dans le clip de Russian Roulette de Rihanna ou quand le groupe français C2C s’associe avec Microsoft pour la première application tactile de mixage sur tablette Windows, il s’agit d’opérations signées UThink.

A&R Studios : une structure hybride et unique en France

En 2019 l’agence se renomme A&R studios, Kuhlmann en est toujours à la tête, aidé par Xavier Mevellec, Directeur Général Adjoint, et une trentaine de collaborateurs, issus du monde de la musique, du business et de la publicité. La spécificité d’A&R Studios est qu’elle fonctionne comme une agence de créations originales au service d’artistes (même en dehors du catalogue Universal) , de marques et de tout autre partenaire désirant recruter, cibler, fidéliser une communauté.

Le patron, désormais jeune quadra, nous raconte avec passion et engouement les différents leviers d’actions de cette entité, lors d’un déjeuner, non pas dans son bureau mais au salon du Panthéon, cantine officieuse d’Universal dont le siège est situé à quelques mètres de là :

« Aujourd’hui il y a un besoin grandissant pour les artistes de pouvoir disposer de plusieurs verticales de développement.  Chaque verticale doit servir le projet. Notre activité se fonde sur 4 piliers : la gestion de l’image des talents à travers la mise en place de partenariats de marques, la création de marques artistes, la création et la production évènementielle et la création originale. »

Des popstars devenues ambassadrices de marques

L’agence, qui a réalisé 400 opérations en 2022, opère sur tous les tableaux. Elle a notamment conçu des collections de merchandising : les figurines Funkopop de Kamelott (la BO du film réalisé par Alexandre Astier a été signée chez Universal), ou encore la collaboration sur une ligne de vêtements entre Eva Queen (chanteuse hyper populaire auprès de la Gen Z) et Jennyfer durant plusieurs saisons. 

A  l’opposé, le monde du luxe est également de la partie, comme  il nous le raconte : « Le partenariat entre Angèle et Chanel dure depuis plus de quatre ans maintenant (Partenariat d’endorsement). Cette collaboration avait débuté par la Beauté, puis elle s’est poursuivie avec la Mode. C’est passé par des campagnes, des concerts lors d’événements de la marque, de la cocréation de tenues de scène. » Dans le même esprit, quand vous voyez Clara Luciani en Gucci sur scène et sur tous les plateaux télé, c’est la touche A&R Studios !

 


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La répartition des revenus est définie en amont, au sein du contrat phonographique qui incorpore la répartition de l’ensemble des voies d’exploitation : droits phonographiques, droits live, collaborations marques, produits dérivés.  Les pourcentages varient en fonction de la typologie de contrats. Kuhlmann ne nous donne pas de chiffres, mais en général l’artiste cède en exclusivité à son label ses droits à l’image et touchera entre 40 et 80% des revenus issus des opérations, selon son contrat.

Selon le boss d’A&R Studios toutes ces opportunités sont permises par le mix hybride de l’agence, et bien sûr, par la force de frappe de la Major :

 «  La musique a pris un tel bond en terme de capacité d’attraction. Nous disposons de cet avantage concurrentiel car nous savons quel artiste est en train de monter, quelles marques il/elle apprécie et ainsi quelles collaborations pourraient avoir du sens à court mais surtout aussi moyen et long terme. Étant aux premières loges des labels, nous disposons d’une importante capacité d’anticipation. »

Les partenariats entre marques et artistes ne sont pourtant pas l’apanage d’Universal. Warner Music France a également sa propre structure sur le même créneau : We Are 360 qui gère les droits à l’image des artistes, les événements privés, les partenariats stratégiques. Le label indépendant Believe a un département «  Artists Services and Development » qui regroupe également des contrats d’endorsements, du brand content, des évènements privés. 

De la musique à la pizza

Néanmoins, en 2022, A&R Studios tire son épingle du jeu et disrupte le monde de l‘entertainment avec… des pizzas ! Cette fois-ci, l’agence ne met pas son savoir-faire au service d’une marque mais décide au contraire de co-créer sa propre marque de pizzas avec Mister V (influenceur, acteur et artiste musical), plébiscité par la jeune génération.  Entre humour, maitrise des réseaux sociaux et business, l’opération a savamment été orchestrée : Mister V a eu carte blanche pour créer sa gamme de pizzas, qu’il a baptisée « Delamama » et dont il a fait la promotion à travers le personnage de Kevino Delamama dans une vidéo de lancement postée sur sa chaîne YouTube(la 5e vidéo la plus vue sur la plateforme en 2022) et par la suite dans de nombreux contenus sur les réseaux où il ne manque pas de mettre en scène ses pizzas et son personnage avec beaucoup de créativité !

Ces produits commercialisés dans les rayons surgelés d’Auchan et Carrefour se sont écoulés à deux millions d’exemplaires en un an, et selon BFM TV aurait généré un chiffre d’affaires de 1,4 million d’euros dans les trois mois qui ont suivi leurs sorties. Deux prix Stratégies sont venus couronner l’audace d’A&R Studios et de l’artiste. Un succès sans doute mérité mais qui n’aurait évidemment pas connu le même destin si cette collaboration s’était portée sur des calzones. En effet, ce cas d’école donne l’opportunité de poser les vraies questions, celles qui dérangent : qui mange des calzones ? 

 

Les NFT et le web3 en ligne de mire

L’un des futurs grands chantiers pour A&R Studios est la mise en place d’une cellule de créations originales avec des documentaires et des chaines vidéo thématiques.  Le Web 3 semble également une piste privilégiée, déjà amorcée avec LE rappeur superstar, Booba, comme Thibault Kuhlmann nous l’explique :

« Nous observions le phénomène des NFT depuis pas mal de temps déjà. Travailler avec Booba et son entourage s’est avéré être une évidence. En 2021 nous avons mis des cartes animées en vente sous forme de NFT et qui donnaient accès à des contenus exclusifs. D’abord au clip de TN via un premier drop de 5 x 5000 cartes puis au titre GDC lors d’un second drop de 5000 cartes. Chaque carte était vendue environ 0,015 ETH. Tout a été sold out en très peu de temps de temps. Les détenteurs de ces cartes ont par la suite eu un accès prioritaire au drop des bustes de Booba que nous avons réalisé en taille réelle et en éditions limitées, ainsi qu’au Livestream que nous avons opéré pour le Stade de France.  Le web 3 permet aux fans d’activement interagir voir directement participer au succès de leurs artistes préférés. Il y a une notion de reward inclusive très intéressante à explorer. »

Et si l’investissement dans votre artiste préféré vous permettait d’envisager une retraite anticipée ?

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