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timberland yellow boot portée par des paninaro italiens
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Timberland, le fascinant destin de la « yellow boot » favorite de Jay-Z

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Conçue en 1973 pour les bûcherons et la classe ouvrière américaine, la Timberland 6-Inch, aussi surnommée « yellow boot », s’est immiscée sans le vouloir au sein de tous les mouvements pop, des panineros aux raveurs en passant par les skateurs et surtout les rappeurs, avec qui elle s’est un temps fâchée. La marque au chêne célèbre ses 50 ans avec un documentaire qui retrace cette incroyable épopée.

C’est un monolithe de cuir couleur camel qui fait prendre deux kilos sur la balance et quatre bons centimètres sous la toise. Une boots d’origine utilitaire et quasiment increvable, pensée il y a pile un demi-siècle pour les travailleurs de plein air avant d’être adoptée contre son gré par la jeunesse frimeuse de Milan, New York, Londres et Tokyo. Souvent copiée (coucou Caterpillar) mais jamais égalée, la Timberland 6-Inch, aka la « yellow boot », a successivement trouvé grâce auprès de communautés de style pourtant étrangères l’une à l’autre.


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La Yellow Boot, portée par tous (mais pas n’importe qui)

Les Paninaros, ces dandys italiens fascinés par le rêve américain qui l’associent à un jean Levi’s et une doudoune Moncler. Les rappeurs du Bronx qui s’identifient à son caractère « roughed and rugged » (« rugeux et robuste », comme eux). Les raveurs de la scène électro UK qui dansent ainsi au sec dans l’humide campagne anglaise. Les skateurs japonais et les branchés du quartier d’Harajuku qui voient en elle une forme de liberté d’expression et un objet de rébellion dans un pays qui cornaque l’individu.

C’est aujourd’hui un classique de placard qui résiste à l’envahissante sneakers et brille aux pieds des célébrités les plus influentes de la mode (ASAP Rocky, Rihanna, Lewis Hamilton, Emily Ratajkowski, Drake, Jennifer Lopez…) sans perdre de sa « street cred » ni de son ADN transcommunautaire. Une épopée racontée dans un documentaire disponible sur Youtube depuis le 18 octobre. Produit par la marque, il ne verse toutefois pas dans l’hagiographie et regarde droit dans les yeux l’histoire parfois tumultueuse de cette icône.

Lewis Hamilton en Timberland.
Lewis Hamilton en Timberland. DR

Une boots de bosseurs

Boston, 1952. Révolution de palais dans les locaux de l’Abington Shoe Company, fondée en 1918 en plein boom de l’industrie de la chaussure enracinée dans le Massachussetts (New Balance dès 1906, Converse deux ans plus tard). Employé maison depuis près de vingt ans, le visionnaire et talentueux cordonnier Nathan Swartz rachète la moitié des parts de l’entreprise dont il devient l’actionnaire majoritaire trois ans plus tard.

Au milieu des années 60, avec son tout aussi inventif fils Sidney, l’ambitieux immigré russe abandonne la coûteuse couture manuelle des semelles et introduit une technique de moulage par injection doublée d’un nubuck pimpé au silicone pour concevoir la botte ultime, étanche, pratique et légère, destinée aux bûcherons et aux ouvriers du bâtiment. Ils passent pour des fous mais s’entêtent. Jaune pour être vue en forêt et composée de 39 pièces dont une semelle en polyuréthane signée Goodyear et nécessitant 80 étapes de fabrication, la « 8-Inch » (pour la hauteur de sa tige couvrant la cheville) voit le jour en 1973 – avant de perdre quelques centimètres trois ans plus tard et devenir l’actuelle « 6-Inch ».

Etape de fabrication d’une yellow boot.
Etape de fabrication d’une yellow boot. Timberland

Les carnets de commande explosent aussitôt, d’autant qu’en plus de son savoir-faire, la famille Swartz déploie un arsenal marketing inédit, s’offrant des pages de pub dans les quotidiens généralistes et les magazines nationaux. Son logo, le chêne américain, apparaît sur la chaussure – et non à l’intérieur, comme le fait la concurrence.

En 1978, elle lui adjoint un nom qui claque et l’ancre à sa cible : Timberland, association de « timber » (« bois », qui est aussi un code de bûcheron pour avertir de la chute d’un arbre) et de « land » (« terre »). « Elle est devenue LA chaussure de l’ouvrier lambda américain, témoigne Nina Flood, présidente de Timberland Europe. Je revois encore mon père, qui travaillait sur des chantiers, défaire ses chaussures qu’il déposait dans l’entrée, comme un simple outil, et moi qui y planquais mes jouets qu’il retrouvait le lendemain matin. Cette chaussure était une sorte d’ustensile commun à tous les foyers. Personne ne pouvait alors s’imaginer ce qu’elle allait devenir. »

Symbole en un éclair de l’Amérique qui bosse à la dure la semaine (les ouvriers mais les éboueurs, les livreurs, les déménageurs, etc…) et à la cool le week-end (pour jardiner, bricoler ou laver son pick-up), ce best-seller de quincaillerie tape dans l’œil de Giuseppe Veronesi, un businessman italien qui, à la grande surprise du board américain, lui trouve un devenir « fashion ». Il écoule sans forcer sa première commande, 600 paires vendues dans les plus élégantes boutiques de Rome et de Milan. Puis des centaines de milliers auprès des « panineros », ces jeunes gens au chic décontracté mixant pièces du luxe italien et accessoires made in USA, qui la rayent et la salissent volontairement en hommage à son usage originel.

Asap Rocky et Rihanna.
Asap Rocky et Rihanna. DR

Un destin hip-hop contrarié

De l’autre côté de l’Atlantique, la « Timbs », autre surnom de celle que l’on nomme aussi « butter shoes » ou « cheese boot », migre au sud de la côte Est et devient l’accessoire favori des dealers du Bronx (New York), qui peuvent y camoufler leur came tout en restant au chaud et au sec durant ces longues heures à faire le pied de grue dans la rue. Puis elle apparaît très vite comme l’emblème du hip-hop version East coast et de la « black fashion » tout entière, complétant l’uniforme des rappeurs et des chanteuses de R’n’b new-yorkais. La liste est longue comme la programmation d’un festival : Biggie, Dog DMX, Notorious B.I.G., Tupac, le Wu-Tang, Fat Joe, Mary J Blige, Missy Elliott et plus tard le jeune et déjà barge Jay-Z, qui s’en offrira jusqu’à deux paires par semaine avec ses premiers cachets…

Les rappeurs la chantent, les taggeurs la griment et les fans se l’arrachent. La « yellow boot » pullule dans les concerts, les pool-parties, sur les playgrounds et même à la plage. « Elle était notamment vendue chez David Z., cette mythique boutique de chaussures de Manhattan où j’ai fait mes premiers petits boulots, se souvient le designer de sneakers Ronnie Fieg. Venir se fournir là, c’était passer la “frontière” du Bronx et s’affranchir de sa condition sociale tout en scandant une forme d’affirmation de soi, une manière de dire “j’existe, je peux aussi être du grand monde.” »

Problème, comme toutes ces marques « récupérées » par un public — Ralph Lauren et le rap, Fred Perry et les skinheads —, Timberland voit cet engouement d’un (très) mauvais œil. Par peur de voir sa réputation ternie et d’affoler l’Amérique pudibonde, la marque renie cette fanbase dans des campagnes de pub, tente d’appauvrir les stocks dans les boutiques des grandes villes américaines et argue qu’« elle ne représente que 5 % de nos ventes », malgré des scores multipliés par trois entre 1990 et 1994 et à qui elle le doit.

Biggie.
Biggie. DR

Scandale, manifs et même prises de bec politiques aux heures de grande écoute

Timberland tente également de rétro pédaler après des accusations de racisme. En 1992, la marque au chêne lance « Give racism the boot », une campagne censée calmer les esprits mais douchée par les propos plus que maladroits de son PDG Jeffrey Swartz, petit-fils de Nathan, dans une interview au New York Times. Évoquant « cette nouvelle clientèle dont on ne savait même pas qu’elle existait », il fait l’amalgame entre dealers et fans de hip-hop, affirmant que Timberland s’adresse aux « gens travailleurs et honnêtes » avant d’aggraver son cas : « Je ne veux pas construire mon business sur de la fumée, sur les hip-hop kids et les femmes portant des robes d’été constituant une clientèle plutôt éphémère. (…) Si vous souhaitez acheter nos produits et que vous n’appartenez pas à notre clientèle, nous n’avons pas de point de distribution en rapport avec votre style de vie ».

Trente ans plus tard, Nina Flood doit encore désamorcer : « La marque n’a à l’époque pas compris l’attachement de ce mouvement à notre produit phare. Or c’est la jeunesse et tous ces courants culturels urbains qui nous soutiennent, pas l’inverse. On l’a bien compris depuis. » Et comment !

Un groupe de Paninari en Timberland.
Un groupe de Paninari en Timberland. Mondadori

Toujours portée aux pieds et dans le cœur des rappeurs mais aussi à ceux des raveurs sous acides dans les discothèques techno de Londres que Timberland se garde bien de réprimander, la « yellow boot » s’ouvre au lifestyle et au melting-pot. Cette saison, elle se pare de bleu, de vert, d’orange… Et croise son destin avec celui des labels les plus branchés — Atmos, Undefeated, Stussy, Supreme, Alife, feu Colette — en multipliant les collabs, dès 1998. Après un gros passage à vide au milieu des années 2000 qui a failli l’enterrer définitivement, la marque reprend depuis du poil de la bête grâce… au hip-hop, chouchou des grandes maisons de mode et du luxe depuis bientôt dix ans. Belle ironie.


Site internet de Timberland


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