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The Good City
Après avoir subi la terrible crise de la dette grecque, Athènes a retrouvé son dynamisme économique grâce à l’essor du tourisme, de grands projets de construction et la croissance du port du Pirée. Mais malgré l’énergie farouche qui les habite, les Athéniens n’ont pas encore retrouvé le niveau de vie dont ils jouissaient en 2008…
Les Parisiens qui aperçoivent la tour Eiffel de chez eux ne sont pas nombreux. À Athènes, il en va autrement. Comme la capitale grecque est en partie faite de collines et que les immeubles n’y ont pas tous la même hauteur, des dizaines de milliers d’habitants vivant en étage élevé ont dans leur viseur l’Acropole et le Parthénon.
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La splendeur nostalgique de cette vision, qui incite à méditer sur le temps long –près de 25siècles se sont écoulés depuis l’achèvement de ce temple dédié à Athéna, déesse de la sagesse et protectrice éponyme de la cité –, est l’exact contraire des sensations que procure la ville. Athènes est vibrante et chaotique : immeubles décrépis, circulation automobile débridée, trottoirs défoncés, trafic piéton forçant à zigzaguer…
Son look défraîchi et son énergie désordonnée l’apparentent presque à une ville orientale, avec un petit côté punk dû à la présence occasionnelle de terrains vagues et de bâtiments à l’abandon, ainsi qu’aux tags et graffitis recouvrant tous les rez-de chaussée des bâtiments dans des quartiers entiers. Ce paysage urbain, très éloigné du style propret et gentrifié des autres capitales européennes, raconte l’histoire récente d’Athènes.
D’énormes inégalités sociales
La capitale grecque a été reconstruite à la va-vite lors du boom démographique de l’après-guerre, sans planification urbaine. « En 1950, Athènes comptait 1 000 immeubles de cinq étages et plus. Dans les trente années qui ont suivi, on en a construit 35 000. Les propriétaires de terrains proposaient à un constructeur d’ériger le bâtiment (banal, en béton), et gardaient un tiers des appartements. Les locataires étaient alors des jeunes ménages dont les revenus augmentaient, et les relations de voisinage étaient harmonieuses », explique Thomas Maloutas, professeur de géographie à l’université Harokopio et directeur de l’Atlas social d’Athènes.
Un demi-siècle plus tard, les habitants aisés de ces immeubles sont pour la plupart partis en banlieue, les plus riches s’établissant dans les stations balnéaires huppées (Glyfada, Vouliagméni…) de la Riviera, qui s’étend sur 40kilomètres au sud du Pirée. Comme aux États-Unis, les élites locales estiment en effet que plus on est loin du centre-ville, mieux on se porte. Or, le centre-ville, c’est la municipalité d’Athènes, qui héberge seulement 670 000 habitants sur les 3,5 millions que compte l’agglomération.
Du fait de ces départs, les Athéniens restés dans ces résidences vieillissantes n’ont plus eu les moyens de les maintenir en état, d’autant qu’à partir de 2009 la crise économique a amputé leurs revenus. « Aujourd’hui, ces immeubles concentrent d’énormes inégalités, car la ségrégation sociale à Athènes dépend moins du quartier que de l’étage où on habite », souligne Thomas Maloutas.
Les étages les plus élevés, dotés de terrasses, hébergent des membres souvent vieillissants de la petite bourgeoisie, tandis que les étages inférieurs et les rez-dechaussée sombres sont réservés aux salariés pauvres, et aux immigrés arrivés en masse depuis 1990. L’harmonie d’antan a donc fait place à des tensions entre voisins. Dernière évolution, récente : les investisseurs qui rénovent des rez-de-chaussée pour les louer sur Airbnb réduisent dangereusement l’offre de logements pour les Athéniens les plus démunis.
Une croissance enfin de retour
Si les citoyens les plus prospères ont déserté la capitale grecque, ils viennent pourtant y travailler, d’où la circulation démente et l’impression que le centre ville est surpeuplé. Athènes est désormais sortie du cauchemar économique qu’elle a vécu lors de la crise de la dette, entre 2009 et 2016.
Le traumatisme de cette grande dépression – un effondrement du PIB grec de 28 %, un taux de chômage culminant à 27 % – est dû à l’austérité extrême que l’Union européenne et le FMI ont imposée pour sauver la Grèce de la faillite : baisse de 30 % des salaires et des retraites, hausse des impôts. Mais l’économie s’est stabilisée dès 2016 et la croissance est repartie après la fin de la pandémie. En 2022 et en 2023, le pays dont l’économie a été la plus performante a même été… la Grèce, selon le classement annuel de 35 pays riches établi par The Economist.
« Outre un effet de rattrapage, il y a le boom du tourisme et du BTP, et le fait que nous ne souffrons ni de la crise énergétique (57 % de notre électricité est issue d’énergies renouvelables) ni de la faible croissance de la Chine, puisque nous n’y exportons pas, explique Panagiotis Petrakis, professeur d’économie à l’université nationale et capodistrienne d’Athènes. De plus, les banques sont recapitalisées, la part de l’économie souterraine s’est réduite, les services publics font leur révolution numérique et les investissements étrangers abondent, en particulier pour créer des data centers. »
Le tourisme en pleine croissance
Premier vecteur de croissance, le tourisme représente 20 % des emplois. En 2023, la région d’Athènes a accueilli 7,8 millions de visiteurs, dont le tiers ne reste qu’une nuit, avant de partir pour les îles, les autres séjournant 5 ou 6 jours. Ce record sera battu en 2024, car la hausse du nombre de touristes atteint 18 % sur les premiers mois. « Les plus gros contingents viennent d’Allemagne, du Royaume-Uni, de France, des États-Unis et d’Italie, mais la Turquie et Chypre sont aussi des marchés importants », note Nikos Diamantopoulos, directeur général de Marketing Greece.
Pour faire face à l’afflux de visiteurs, l’aéroport d’Athènes, qui opère à la limite de sa capacité (28 millions de passagers en 2023), va la faire passer à 33 millions de passagers en agrandissant son terminal principal. Et deux autres tranches de travaux sont déjà programmées. Idem pour l’hébergement : de nouveaux hôtels ouvrent dans toute la région, en partie grâce aux investissements étrangers, et 120 000 appartements sont aujourd’hui disponibles sur des plates-formes de location de courte durée.
Pour faire face au boom du tourisme de congrès (de la 27e place mondiale en 2014 à la 8e en 2022, selon l’International Congress and Convention Association), Athènes, qui dispose de salles pour 2 000 personnes, va construire un centre de conférences métropolitain de plus de 5 000 places.
Quant à la scène culturelle, elle a vu l’ouverture du centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos – conçu par Renzo Piano – en 2017, du remarquable musée d’Art contemporain de la Fondation Goulandris en 2019, et du musée Maria Callas en 2023. La rénovation totale du Musée archéologique, sans doute le plus beau du monde pour la sculpture grecque, est aussi dans les tuyaux.
Pour lutter contre le surtourisme dans le centre-ville, Marketing Greece s’efforce de promouvoir les excursions à thèmes : artisanat (bijouterie, céramique, tissage), scène culinaire (en pleine évolution) et découverte des plages de la Riviera, des îles proches (Hydra, Égine, Poros) ou du temple d’Apollon à Delphes.
Autre secteur à la limite de la surchauffe : la construction. Outre la rénovation totale de plusieurs blocs d’immeubles historiques de la rue Stadiou, en plein centre, la municipalité d’Athènes a mis en chantier la création d’un nouveau stade pour le club Panathinaïkos et d’un grand parc public adjacent.
La construction d’une quatrième ligne de métro, qui desservira les quartiers nord et le pôle universitaire, a aussi été lancée. Et sur la Riviera, entre Le Pirée et Elliniko, de grands projets vont remodeler la zone côtière. L’un d’entre eux, The Ellinikon, réalisé sur le site de l’ancien aéroport, consiste à créer de toutes pièces une nouvelle ville ultrachic – semblable à un Monaco flambant neuf érigé autour d’un parc gigantesque.C’est actuellement le plus grand chantier en Europe.
Enfin, la tradition maritime d’Athènes perdure : ses armateurs contrôlent 60 % de la flotte marchande européenne et Le Pirée affiche la plus forte croissance parmi tous les ports du vieux continent depuis sa reprise par une société d’État chinoise, en 2016.
Tous ces succès, auxquels s’ajoutent la bonne santé retrouvée des secteurs de la banque, de l’énergie et des télécoms, ainsi que l’essor de l’économie numérique, permettent à la Grèce d’afficher une croissance deux fois plus rapide que celle de l’Union européenne. Mais les salaires sont encore inférieurs de 15 % à leur niveau de 2008. De nombreux Athéniens travaillent ainsi six jours par semaine pour toucher le salaire minimal net de 660 euros par mois. Et le salaire moyen n’atteint que 1 270 euros, soit 21 % de moins que le SMIC français. De plus, le taux de chômage, redescendu à 10,5 % à Athènes, a cessé de baisser.
En 2026, la fin des versements du programme de financement post-Covid de l’UE (36 Mds €) risque de peser sur la croissance. De plus, les industries de pointe pâtissent d’une pénurie de salariés qualifiés : la majorité des 180 000 cadres et étudiants de la région d’Athènes qui se sont expatriés durant la dépression ne sont pas revenus.
Enfin, la capitale grecque souffre d’une crise du logement qui a propulsé les prix des appartements dans un univers sans rapport avec les revenus des habitants, et provoqué une hausse des loyers de 50 % depuis 2017. Il reste donc encore un long chemin à parcourir pour que la vie des Athéniens redevienne facile.
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