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Aux États-Unis, les défis du fret ferroviaire

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Avec un marché qui pèse 80 milliards de dollars, le transport ferroviaire de marchandises a le vent en poupe outre-Atlantique. Boostée par la demande des Américains durant la pandémie, son activité devrait connaître une croissance de 30 % d’ici à 2040. À condition pour le secteur de prendre les bons virages, stratégique et technologique.

C’est l’une des images d’Épinal de l’Amérique, les convois interminables de conteneurs sillonnant les plaines et les rives des fleuves. Avec 225 000 km de voies reparties sur 49 des 50 états américains (Hawaï, pour des raisons géographiques, en est exclu), et un prolongement sur les deux pays voisins, le Canada au nord et le Mexique au sud, le fret ferroviaire représente l’essentiel de l’activité du rail aux États-Unis, loin devant le transport de passagers.

Il assure près d’un tiers, en tonnes-kilomètres, du transport de marchandises, des substances chimiques aux produits alimentaires, en passant par le charbon et les voitures, et représente un marché de 80 milliards de dollars. Sa croissance ne date pas d’hier, mais la pandémie de Covid-19, après le frein des premiers mois, lui a donné un coup d’accélérateur. Les sept plus grandes entreprises du secteur, toutes privées, possèdent la quasi-totalité du réseau national – Amtrak, la compagnie publique de transport de passagers, n’est propriétaire que de 3 % des voies.

Le réseau ferroviaire le plus vaste au monde constitue une valeur sûre pour les investisseurs, au point d’avoir séduit le milliardaire Warren Buffett, propriétaire, depuis 2009, de BNSF, l’une des deux compagnies phares du pays. Union Pacific a vu son chiffre d’affaires grimper de 24 % au dernier trimestre de 2021, CSX de 23 % et Norfolk Southern Railroad de 13 %.

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Forte consolidation du secteur du fret ferroviaire

Le fret sur rail a pourtant connu des heures moins glorieuses. Dans les années 60 et 70, son déclin avait poussé le Congrès américain à déréguler le marché en votant le Railroad Revitalization and Regulatory Reform Act, en 1976, et le Staggers Rail Act en 1980. Le secteur s’est fortement restructuré, ses acteurs majeurs, passés de 26 à sept en quatre décennies, sont devenus si puissants qu’ils sont régulièrement accusés de monopole et d’entente sur les prix.

« On peut certainement avancer que plus le secteur est consolidé, plus le pouvoir de fixer les prix est grand », reconnaît Craig Fuller, président et fondateur de FreightWaves, un groupe d’analyse et d’information du secteur du fret. « Mais comme ces grandes entreprises doivent rendre des comptes au gouvernement fédéral – le Surface Transportation Board (STB), division du département des Transports, intervient sur la régulation des prix –, elles font davantage l’objet de surveillance et d’enquêtes », analyse-t-il, par comparaison avec le fret routier, notamment.

L’an dernier, Canadian Pacific Railway a annoncé le rachat de Kansas City Southern (KCS) pour 31 milliards de dollars. Baptisée Canadian Pacific Kansas City (CPKC), la nouvelle entité couvrira 32 000 km de voies entre le Canada et le Mexique, pour un chiffre d’affaires estimé à 9 milliards de dollars. L’administration américaine doit encore donner son feu vert. Joe Biden, fervent partisan du chemin de fer – son mégaplan de modernisation des infrastructures, adopté l’an dernier, prévoit d’injecter 165 milliards dans le ferroviaire –, reste toutefois prudent face aux questions sociales et de sécurité nationale qu’une telle fusion peut soulever.

L’avenir de l’automatisation

La très grande majorité des investissements des transporteurs ferroviaires sont consacrés à l’entretien du matériel, 19 % seulement à l’amélioration de leur capacité. Mais la concurrence accrue des autres modes de fret, combinée à l’urgence de désengorger les chaînes d’approvisionnement du pays et aux impératifs écologiques, devrait les inciter à innover davantage. « En matière de sécurité, l’automatisation des trains de marchandises présente bien des avantages, souligne Maxim Dulebenets, professeur adjoint au département d’ingénierie civile de l’université A&M de Floride. Elle permettra notamment d’éviter les erreurs humaines, à l’origine de la plupart des accidents. »

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Hausse des volumes de marchandises transportées – en réduisant les distances entre les trains –, réduction des coûts opérationnels, baisse de la consommation d’énergie : le pilotage automatique pourrait relever bien des défis à l’avenir. « Mais ça ne va pas se passer d’un coup, cela se fera par étapes, sur des années », précise encore l’enseignant.

Des obstacles restent à surmonter, telle que la cybersécurité – s’assurer que des hackers ne prennent pas le contrôle des systèmes de commande des trains. « La technologie, les États-Unis la possèdent, estime encore Maxim Dulebenets. L’obstacle majeur est davantage d’ordre juridique, avec la crainte de l’opposition des syndicats et les risques de grèves des salariés, inquiets de perdre leur emploi. »

Des alliances stratégiques

Rester compétitif, face à un transport routier dominant (un marché de 700 milliards de dollars) et lui aussi propulsé vers la conduite sans chauffeur, est une réalité. Bien que Craig Fuller préfère parler de collaboration ou, plus exactement, de « coopétion », contraction de coopération et de compétition. Il s’agit de nouer des alliances stratégiques pour permettre à chacune des parties d’étoffer sa base de clients et de conquérir de nouveaux marchés.

Union Pacific a choisi de s’allier à l’entreprise de technologie de conduite autonome TuSimple, qui fait rouler des semi-remorques sans conducteur. « Dans cette phase pilote, explique Robynn Tysver, porte-parole d’Union Pacific, notre objectif est d’apprendre comment fonctionne la technologie et d’explorer comment elle peut être exploitée par le chemin de fer. » Le fret routier devrait rester le mode de transport de marchandises prédominant aux États-Unis, 66 % du volume total en 2045, mais le fret sur rail a encore de beaux jours devant lui.

« Que le secteur s’automatise ou pas, il va grandir de façon exceptionnelle, prédit Craig Fuller. Entre la guerre en Ukraine et les tensions avec la Chine, une grande partie de la production des entreprises va revenir aux États-Unis, au Canada et au Mexique. Le fret ferroviaire en sera l’énorme bénéficiaire. » Nous n’avons pas fini de voir de longs convois de conteneurs parcourir les étendues américaines.

Le fret ferroviaire aux États-Unis en chiffres

• 225 000 km : étendue du réseau, le plus vaste du monde.

• 167 000 : nombre d’employés du secteur.

• 80 Mds : le marché en dollars.

• 613 : nombre de compagnies, dont : 7 grandes, 22 régionales et 584 locales.


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