Voyage
Entre Mexique et derricks, au cœur d’un désert balayé par le vent et les trucks, la petite ville de Marfa apparaît comme une curieuse parenthèse arty chez les cow‐boys. Mythique, et presque mystique.
Hymne à l’esthétisme
La ville a été fondée en 1883. Rien de spécial à signaler, si ce n’est qu’elle sert alors de relais d’eau aux trains à vapeur et de halte aux commis voyageurs. Son destin prend un tournant en 1911. De l’autre côté de la frontière, au Mexique, Pancho Villa sème sa révolution. Washington s’en inquiète et envoie la cavalerie s’installer à Marfa. En 1924, les Mounted Watchmen, premières patrouilles des frontières, s’installent en ville, luttent contre l’immigration illégale qui traverse le Rio Grande.
L’histoire de Marfa croise celle de Donald Clarence Judd au début des années 70. Passé par la guerre de Corée, des études de philosophie et une maîtrise d’histoire de l’art, Judd devient critique d’art pour les plus grands magazines américains. Il soutient des artistes comme John Chamberlain, Lucas Samaras, Dan Flavin ou George Earl Ortman. Peintre dans la tradition américaine de l’expressionnisme abstrait que représentèrent, entre autres, Willem De Kooning et Jackson Pollock, D. C. Judd s’oriente, dès le début des années 60, vers des constructions où la matérialité devient le cœur de son vocabulaire artistique. Délaissant la peinture pour des œuvres sculpturales de métal, Plexiglas de couleur, béton et contreplaqué, son œuvre est adoubée, dès 1968, par le Whitney Museum of American Art.
Adepte d’expositions permanentes, Judd acquiert, la même année, un immeuble à New York. Tombé amoureux de la lumière du sud du Texas, il s’installe dans un ranch de 243 kilomètres carrés, puis, soutenu par la Dia Art Foundation de New York, rachète les 137 hectares qui comprennent l’ancien complexe militaire de Marfa. On y retrouve, dans ce qui est devenu la fondation Chinati, des oeuvres de Judd et celles d’autres artistes comme Dan Flavin, John Chamberlain, David Rabinowitch, Roni Horn, Ilia Kabakov, Richard Long, Carl Andre, Claes Oldenburg et Coosje Van Bruggen.
10 heures. Le soleil est déjà haut. A 10 minutes du centre‐ville, la fondation Chinati ouvre ses portes. Un immense terrain en friche, quelques antilopes qui gambadent, d’anciens dépôts d’artillerie, les casemates où dormait la troupe. Sur l’ancien terrain de polo, quinze structures de béton, des cubes éviscérés, œuvres de Judd, sont à la merci des éléments naturels. Le vent, les tornades, le soleil. Les premiers entrepôts, où les avions de reconnaissance biplans étaient stationnés, renferment les cent boîtes en aluminium de Judd. Cette série de cubes de métal, tous de même dimension et pourtant uniques, se jouent des reflets de lumière, réinterprètent l’engagement du soleil, réinventent la perception de l’objet et le rapport à l’espace. Seul le son de quelques gouttes d’eau qui tombent du toit scande le silence. J’en suis fasciné.
Informations pratiques
- Se renseigner :
Office du tourisme de Marfa
www.visitmarfa.com - Y aller :
Air France opère un vol quotidien vers Houston en Boeing 777-300 équipé des quatre nouvelles cabines de la compagnie (économique, premium, affaires et première).
A partir de 845 € en classe économique et de 4 218 € en classe affaires.
www.airfrance.fr
Puis continuer avec United Arlines, pour El Paso (2 heures de vol).
Le vol Houston–El Paso arrivant le soir, il faut dormir sur place, au Hyatt Place El Paso Airport. Convivial, pratique et à deux pas des agences de location de voitures.
www.hyatt.com
Six maisons sont dédiées à l’œuvre de Dan Flavin, ensemble de barrières de lumière, de néons fluorescents jaunes, roses, verts et bleus au fond de couloirs à double entrée. Spectaculaire. Puis c’est le Chinati Thirteener, de Carl Andre, treize bandes de métal posées sur le gravier, jardin japonais futuriste.
Les cônes de cuivre de Roni Horn, l’installation School No. 6 d’Ilia Kabakov, qui reproduit l’incurie des salles de classe russes des années 60, l’humour de la peinture rose et bleue de John Wesley. Quant à l’œuvre de John Chamberlain, elle se situe en centre‐ville, dans l’ancienne usine de laine. Compressions de voitures colorées aux noms de villes texanes. L’ensemble des œuvres de la fondation Chinati est impressionnant, relève d’un art sans concessions aucunes, le minimalisme dont Judd fut sans doute le grand maître de cérémonie, au cœur d’une nature sans fin, aride, sous ces cieux immenses, limpides.
Marfa est devenu le hub de l’art contemporain aux États‐Unis, drainant artistes en résidence, écrivains, réalisateurs, musiciens et comédiens, ainsi que les plus grands collectionneurs et galeristes du monde. Un lieu unique, possiblement magique, un hymne à l’esthétisme. Alors que je suis sur le point de partir, je me paie le luxe de m’offrir un sticker souvenir : « And now, what would Judd do ? » Les fondations, l’artiste s’en est assuré, perdureront…