Voyage
Il y a vingt ans, ce quartier en déshérence situé dans l’Est londonien se métamorphosait en enclave artistique et alternative. Entre-temps, la gentrification lui a apposé un vernis de quartier tendance et branché. Aujourd’hui, Shoreditch s’est certes assagi, mais son énergie n’en demeure pas moins palpable.
C’est une histoire urbaine et sociale aujourd’hui devenue presque banale. Un ancien quartier industriel, éloigné du centre historique de la ville, renaît tout à coup de ses cendres lorsqu’une population d’artistes rebelles et désargentés se met à investir de vieux entrepôts abandonnés. Avant d’accéder à une stature internationale, des talents comme Tracey Emin ou Gavin Turk font partie de cette première vague d’artistes à s’installer dans le quartier de Shoreditch dans les années 90.
Loin d’être effrayés par l’âpreté du quartier et sa mauvaise réputation, ces pionniers urbains en décèlent tout le potentiel : d’immenses terrains de jeux et de liberté à des prix décents. La rumeur se propage et les premiers éclaireurs sont vite rejoints par d’autres créatifs de tout genre. Shoreditch devient le cœur battant de la scène alternative et artistique londonienne, avec toute la culture électrique et séditieuse qui va avec.
On y fait la fête, fort et tard. On improvise des vernissages et des concerts illégaux. L’art s’exhibe dans les galeries pionnières comme la Whitechapel Gallery aussi bien que sur les murs en brique du quartier. Rapidement, le mouvement enfle et c’est au tour des industries créatives d’en profiter à partir des années 2000. Les cafés, les bars à cocktails et les restaurants fleurissent à tous les coins de rue.
Les concept-stores à la sélection impeccable et de bon goût ne tardent pas à suivre. La gentrification marche à plein régime. Porté aux nues par les politiques publiques comme étant l’incarnation d’une revitalisation urbaine et sociale réussie, Shoreditch déchante quand les prix de l’immobilier explosent à peine une décennie plus tard.
Shoreditch, le quartier technologique et créatif le plus cher du monde
En effet, le quartier borde celui de la City et les entreprises technologiques prennent place à leur tour dans les entrepôts victoriens. En 2017, Shoreditch devient officiellement le quartier technologique et créatif le plus cher du monde, devant les quartiers de Mid-Market, à San Francisco, et de Brooklyn, à New York, d’après une étude de l’agence immobilière Knight Frank. Le mètre carré se loue alors, en moyenne, 764 euros. Vingt ans après les débuts de sa renaissance, Shoreditch est sans doute en train de vivre son troisième acte. Surnommé « Silicon Roundabout », il compte aujourd’hui plus de 650 entreprises et start-up œuvrant dans les nouvelles technologies.
Les projets abondent. En juillet 2018, la Red Gallery et Last Days of Shoreditch, laboratoires urbains, communautaires et artistiques annoncent leur fermeture définitive. Ils doivent être remplacés par Art’otel, un programme hôtelier haut de gamme de 300 chambres sur 18 étages, lancé par le groupe international Park Plaza, qui ouvrira en 2023. Assurément, Shoreditch s’est assagi. L’enfant autrefois turbulent de Londres a appris les bonnes manières et s’offre dorénavant comme une vitrine branchée.
Dans les rues, les barbes sont impeccablement taillées, les sneakers, immaculées et les chemises de bûcheron, monogrammées. Vitrine oblige, les lieux s’animent surtout le soir et les weekends. C’est sans doute à ce moment que le dynamisme est le plus palpable. Les optimistes retrouveront une forme de créativité dans la qualité des cocktails servis par les meilleurs bars de la ville ou dans l’audace d’une scène gastronomique diversifiée. Les cyniques, eux, sont déjà partis explorer d’autres quartiers en friche, comme Tottenham, dans la grande banlieue nord, ou Peckham, dans le sud de la capitale.