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The Good Look
Profil type d’une génération de surfeurs transformés en athlètes de haut niveau, Kauli Vaast, 22 ans, a remporté l’or aux JO de Paris disputés à Teahupo’o. Né face à ce spot légendaire dont la vague échoue dans son jardin, le Tahitien, fan de Dior, s’y est préparé au rendez-vous de sa vie.
Code rouge à Tahiti, à l’aube de ce 13 août 2021. Sur le rivage sud de la presqu’île de Taiarapu, des dizaines de surfeurs scrutent l’horizon. Ils veulent savoir. Teahupo’o gronde-t-elle aussi fort que les prévisions le disent ? C’est pire. Une colère du diable, du jamais vu depuis on ne sait quand. Au large, le swell annonce un mur démentiel, huit à dix mètres, peut-être douze. Kauli Vaast (prononcez ka‑ou‑li) enfile déjà sa combinaison.
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Qui pourra, qui osera, défier cette bête ? Dans le jardin de la maison familiale, si souvent inondé par le flot de la vague la plus redoutable du monde tant la propriété borde l’océan, Kauli Vaast lustre sa meilleure planche. En plein ascenseur émotionnel.
La veille au soir, la World Surf League a annulé l’organisation du Tahiti Pro prévu quelques jours plus tard pour cause de pandémie de Covid ; la dernière étape du Championship Tour pour laquelle le surfeur de 19 ans habitué aux divisions secondaires bénéficiait d’une « wild card ». Et voilà que « son » océan lui envoie un signe, et une occasion de marquer l’histoire.
« Je ne pouvais pas rater un truc pareil ! » se souvient-il. Surtout quand on a grandi à trois minutes en Jet‑Ski de ce monument de la glisse. Il raconte : « J’étais comme un dingue. Nous avions tous compris que ça allait être gigantesque. Tout Tahiti allait se jeter à l’eau. »
Après trois heures de guet dans le roulis, placé au bon endroit, au bon moment, Kauli Vaast s’engage le long de la vague, lui tient tête une poignée de secondes avant d’être happé par le rouleau. Son énorme gadin fait très vite le tour du web. « Ça été ma plus grosse bouffe, pour l’instant. Et la première fois que j’ai eu peur dans l’eau. Mais je m’en suis bien sorti et je peux dire que j’ai surfé ce qui est sans doute la plus grosse vague jamais vue à Teahupo’o. »
L’or aux JO
Né dans ce coin du monde où les enfants vont surfer comme d’autres shootent dans un ballon en bas de leur immeuble, Kauli Vaast pose les pieds à 4 ans sur le longboard de son père, professeur de français et d’histoire, et glisse sur les beach-breaks avant de savoir nager. « J’ai appris à surfer avec des brassards de bain aux bras, rigole-t-il. Je voulais tout le temps aller dans l’eau, avant et après l’école. Je ne savais pas que je ferais du surf mon métier, mais je savais que ma vie serait connectée à l’eau, c’était une évidence. »
Hyperactif et foufou, ce fan de pêche sous-marine et au gros apprend très tôt « à lire l’océan, à le connaître ». « C’est pour cela qu’il ne me fait pas peur. Le seul trac que je connaisse, c’est celui de la compétition. »
Première compétition à 8 ans ; première victoire. Triple champion d’Europe junior – en 2017, 2019 et 2020 –, il vise deux échéances au calendrier de sa carrière naissante : intégrer le clan des 32surfeurs du World Championship Tour (WTC), la compétition de surf la plus prestigieuse du monde, et participer aux JO de Paris 2024, dont l’épreuve de surf se déroulera à Teahupo’o !
Si l’objectif du WTC lui échappe encore – il a échoué à quinze places de la qualification en 2023–, les JO sont dans la poche depuis juin. Il y visera… l’or. « Parce que c’est faisable ! Nous serons 24 à l’eau quand d’habitude nous sommes 150. Tout le monde est fort et peut l’emporter. Mon avantage, c’est que je m’entraîne ici tous les jours. » Et pas qu’un peu. Il passe jusqu’à six heures par jour dans l’eau à enchaîner « les mises en situation de compétition dans toutes les conditions possibles. Où s’asseoir, lire les vagues, savoir la‑ quelle prendre ».
« Je joue à visualiser le jour J en me disant : « Dans 200 jours, tu seras là, avec ta planche et ton Lycra, il va falloir être une bête de guerre”. » À terre, un staff parfait sa condition physique (muscu, course à pied, natation) et mentale. « Je travaille avec une coach sur des exercices de gestion des émotions, du stress et du corps ; sur mes réactions à des instants donnés. Et comment “revenir” focus quand les sensations s’emballent. C’est plus épuisant qu’une session à l’eau ! »
Kauli Vaast : surfeur-athlète
Jamais rassasié – il pratique aussi le taekwondo, le vélo en montagne « et le foot avec les copains » –, Kauli Vaast incarne cette nouvelle génération de surfeurs ascétiques. « L’époque du surf rock’n’roll où les mecs se contentaient de leur talent pur est terminée. Maintenant, ceux qui percent, ce sont des machines de guerre. Regardez Kelly Slater ! À 52 ans, il est tou‑ jours là ! Il m’inspire. J’ai la chance de le connaître et de le côtoyer un peu, et il est l’exemple parfait du surfeur qui bosse et prend soin de lui, sérieux, faisant attention à ce qu’il mange. »
Il peut aussi compter sur ses « grands frères » Jérémy Florès ou Michel Bourez, anciens baroudeurs du WCT, qui l’ont très tôt pris sous leur aile : « Ils me disent de suivre mon chemin, de faire les sacrifices nécessaires, de ne pas m’éparpiller, de ne jamais rien lâcher, d’être ouvert aux conseils extérieurs tout en conservant mon instinct. »
Et bien sûr Raimana VanBastolaer, parrain du surf mondial, gardien du temple local, l’homme qui connaît tout le monde. « C’est mon “tonton” ; il me pousse et m’a très tôt aidé à trouver des sponsors, ce qui devient de plus en plus compliqué dans le surf actuel. »
Écoparadoxe
Kauli Vaast pointe là l’autre grande différence qui existe avec ses glorieux aînés des années 90 et 2000, rondement rémunérés durant cet âge d’or de la glisse et d’une industrie alors portée par la mode du surfwear.
Une époque révolue pour les Billabong, Rip Curl, Oxbow ou Quiksilver, des marques qui sonnaient aux oreilles des ados comme Supreme ou Nike aujourd’hui.
Heureusement, le jeune Tahitien peut compter sur son charisme et sur les espoirs qu’il génère pour attirer un grand nom de la mode comme Dior, dont il est le nouvel ambassadeur depuis janvier.
« Ça me permet de vivre de ma passion. C’est assez fou, parce que c’est ma marque préférée depuis que je suis gamin, même si j’ai toujours pensé que je n’aurais jamais les moyens de m’offrir ne serait-ce qu’un de ses tee-shirts », se réjouit-il en sortant d’un shooting, mi-janvier, calé en pleine Fashion Week.
Une parenthèse de trois jours avant de retrouver son bout de Pacifique, dont la santé l’inquiète un peu plus chaque jour. Il voit le corail se détériorer, sent la température de l’eau augmenter, se demande si les vagues ne viendront pas bientôt lécher sa porte…
« Je mange le poisson que je pêche, je construis ma vie et ma carrière grâce à l’océan, j’ai grandi avec lui. Évidemment, ça me préoccupe. Mais je suis dans une situation paradoxale et délicate : je voyage en avion partout dans le monde, donc vu mon empreinte carbone, je suis mal placé pour faire la leçon. »
Alors il essaie de faire du mieux possible à son échelle, en allant, par exemple, planter des coraux avec ses amis de l’association Coral Gardeners ou en relayant leurs actions auprès de ses 187 000 abonnés Instagram. Pour plaider cette cause, la bonne idée serait donc de briller aux Jeux.
« Je vais avoir beaucoup de pression, mais il faudra que je m’amuse… Mais ça va le faire, j’aurai le “mana” avec moi. C’est une sorte d’énergie surnaturelle, très ancrée dans la culture tahitienne, qui donne une force extraordinaire. J’y crois beaucoup. » Tout comme à son île, son spot et sa vague. Ses meilleurs alliés.
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