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Aux États-Unis, le marché du cinéma indépendant arrive à tirer son épingle du jeu à l’aide de stratégies marketing audacieuses - The Good Life
Ⓒ Vanilla Bear Films-Unsplash.
Marine Mimouni

Culture

Le cinéma indépendant américain a-t-il trouvé la recette du succès ?

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Alors qu’on pensait les géants du streaming en passe de tout écraser et que les salles agonisaient, des indépendants parviennent à tirer leur épingle du jeu sur le marché du cinéma à l’aide de stratégies marketing audacieuses. Avec des succès parfois si impressionnants que les plates-formes – un peu en perte de vitesse – finissent par lorgner leurs approches. Décryptage.

Ⓒ SDP.
Ⓒ SDP. SDP

Il existe deux types de bons élèves. Les frimeurs et les discrets. Daniel Katz et David Fenkel appartiennent plutôt à la seconde catégorie. Ils auraient pourtant de bonnes raisons de parader. Dix ans après sa création, A24, la société de distribution et de production des deux New-Yorkais, est devenue incontournable. Zoom sur le marché du cinéma indépendant aux États-Unis. 


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Noah Baumbach, Sofia Coppola, Claire Denis, Greta Gerwig, Gus Van Sant… A24 collabore avec les grands noms du cinéma indépendant et multiplie les succès : 7 Oscar (et 32 nominations), 3 Emmy Awards et, récemment, 2 Golden Globes.

Ⓒ Lê Minh.
Ⓒ Lê Minh.

Dans une industrie chamboulée par l’essor des plates-formes, la production foisonnante de blockbusters et une pandémie qui a fragilisé l’économie des salles obscures, A24 se déploie avec une agilité que ses concurrents lui envient. Dernièrement, la société a été évaluée à 2,5 milliards de dollars.

Success story

De Neon à IFC en passant par Bleecker Street, il existe une myriade de producteurs et de distributeurs sur le marché du cinéma indépendant aux États-Unis. A24 en est le leader incontesté. La firme a accompli un tour de force : devenir une marque. Elle s’est d’abord affirmée comme une entreprise cinéphile qui défend avant tout les auteurs.

L’affiche du film « Everything ­Everywhere All at Once ».
L’affiche du film « Everything ­Everywhere All at Once ». Allo ciné

À ce succès d’estime s’ajoute un sens aigu du marketing. Exit la promotion traditionnelle coûteuse à base de publicités imprimées et de spots télé, vive l’art du buzz digital : créer des profils Twitter aux personnages de The Witch, des « mèmes », publier des fanzines en éditions limitées ou imprimer la tête de Robert Pattinson sur des boîtes de pizza le temps d’un week-end à New York

Ultraprésente et suivie sur les réseaux sociaux, A24 multiplie les campagnes brillantes pour populariser des films d’auteur comme des histoires décalées, à l’instar de l’épatant Everything ­Everywhere All at Once, propulsé dans les box-offices du monde entier, engrangeant plus de 103 millions de dollars de recettes, pour un budget de 25 millions, au point d’être le triomphe du cinéma indépendant de 2022.


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Ⓒ Cottonbro Studio / Pexels.
Ⓒ Cottonbro Studio / Pexels.

« On ne connaissait pas vraiment les réalisateurs, la bande-­annonce était incompréhensible, mais hyperséduisante. On est allé voir le film parce qu’il était estampillé A24 et qu’ils l’avaient génialement marketé », explique le journaliste et réalisateur Jacky Goldberg. L’engouement général pour A24 n’est pas sans rappeler le succès de Miramax dans les années 90.

À l’époque, la société de distribution des frères Wein-stein est le repaire des cinéastes cool, comme Tarantino et Soderbergh. « Mais aucune boîte, pas même Miramax, n’a réussi à créer une identité aussi forte qu’A24 », constate le critique français expatrié à Los Angeles depuis dix ans. Il n’y a qu’à voir la vitesse à laquelle les casquettes, figurines et autres goodies aussi désirables qu’inutiles s’arrachent sur le site Internet, puis se retrouvent à prix d’or sur eBay.

La firme A24, touche-à-tout, produit des clips pour le chanteur pop Troye Sivan.
La firme A24, touche-à-tout, produit des clips pour le chanteur pop Troye Sivan. SDP

Autre tour de maître : Daniel Katz et David Fenkel savent faire parler d’eux tout en restant silencieux. Jacky Goldberg, l’un des rares journalistes parvenus à les rencontrer, au terme de mois de négociations, confirme : « Le culte du secret participe de leur stratégie ­marketing. »

Un secteur très concurrentiel

Régie par le sacro-saint libéralisme, l’industrie du cinéma aux États-Unis est hypercompétitive. Contrairement à la France, qui bénéficie d’un système de financements publics et où les chaînes de télévision doivent investir dans les films, les Américains ont souvent recours à de l’argent privé.

Ⓒ Rendy Novantino / Unsplash.
Ⓒ Rendy Novantino / Unsplash.

Autre différence : là-bas, les distributeurs ont les pleins pouvoirs. Ce sont eux qui financent en grande partie les films, ce qui leur octroie un droit de regard. Ils peuvent refuser un montage, sans que ni le producteur ni le réalisateur aient leur mot à dire.

Il fut un temps, les six majors, Warner, Universal, Fox, Paramount, Sony et MGM, se partageaient plutôt équitablement le gâteau, laissant les miettes aux indépendants. Puis Disney a pris une place prépondérante. Et l’explosion des plates-formes, il y a une dizaine d’années, a achevé de rebattre les cartes. Le marché s’est métamorphosé, obligeant les protagonistes du cinéma indépendant à se montrer imaginatifs. 


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Robert Pattinson et Benny Safdie, sur une boîte à pizza pour promouvoir Good Time.
Robert Pattinson et Benny Safdie, sur une boîte à pizza pour promouvoir Good Time. DR

Certains remplissent leur programme de distribution en produisant ou coproduisant des films. D’autres misent aussi sur les séries. Tous rivalisent d’ingéniosité pour créer du désir autour des films, à l’instar de Neon, qui, au lieu d’une sortie confidentielle à New York et Los Angeles, avait programmé Memoria, d’Apichatpong Weerasethakul, dans une nouvelle ville chaque semaine, comme un concert.

Patrick Wachsberger, grande figure de la production à Hollywood (La La Land, Hunger Games, Twilight), actuellement P-DG de Picture Perfect Federation – une société de développement de séries rattachée au studio français Federation –, a été aux premières loges de ces changements. « Aujourd’hui, nous éclaire-t-il, il y a un nombre très restreint de films d’auteur qui fonctionnent. Trouver des acheteurs sur le marché des États-Unis est extrêmement compliqué. Les studios se concentrent sur les grosses machines. Alors, où aller ? Sur les plates-formes. »

Ⓒ Ricky Esquivel / Pexels.
Ⓒ Ricky Esquivel / Pexels.

Ce Franco–Américain, qui a débuté en assistant Jerry Lewis, se réjouit de cette nouvelle donne. De fait, de plus en plus d’indépendants nouent des partenariats avec les géants du streaming, comme A24, qui a notamment signé un contrat avec Apple TV pour coproduire et distribuer une série de films, dont le dernier Sofia Coppola.

Plate-forme : aubaine ou menace ?

Les plates-formes ont d’abord acheté des films à tour de bras. Elles avaient besoin de tout l’éventail du cinéma pour asseoir leur légitimité. Netflix a fait le buzz en déboursant une somme astronomique pour la distribution mondiale de The Irishman de Martin Scorsese.

Ⓒ Jakob Owens / Unsplash.
Ⓒ Jakob Owens / Unsplash.

Un exemple qui illustre toute l’ambivalence des éléphants du streaming. Leur épais portefeuille leur permet de s’offrir n’importe quel film, fragilisant ainsi la distribution en salle et, par ricochet, les auteurs, qui ne touchent plus de droits à chaque diffusion, puisque, par définition, la rediffusion n’existe pas dans le monde du streaming.

Mais ces moyens leur permettent aussi d’acheter des petits films sans prendre trop de risques pour leur offrir, techniquement, une visibilité inespérée, comme ce fut le cas pour Uncut Gems, des frères Safdie, ou Roma, d’Alfonso Cuarón. « Ce n’est pas parce que le monde entier peut voir un film que le monde entier le voit », objecte Jacky Goldberg, rappelant que les films indépendants ont souvent besoin d’être accompagnés.


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La firme A24, touche-à-tout, produit la série à succès Euphoria.
La firme A24, touche-à-tout, produit la série à succès Euphoria. SDP

Sans sortie en salle ni sélection en festival, comme Sundance, Cannes ou Toronto, un long métrage a moins de reconnaissance. « Et si le désir ne se crée pas autour d’un film, il sera enterré en ligne », explique le journaliste.

Si la productrice Sumaiya Kaveh est très encline à collaborer avec les plates-formes, elle croit fort à l’importance des festivals : « Ils sont vraiment nécessaires pour que les films indépendants soient vus, célébrés et achetés. » La trentenaire, qui a fait ses armes chez Annapurna avec des cinéastes indépendants bien établis, comme Kathryn Bigelow, a récemment monté sa propre boîte.

L’affiche de la série « Euphoria ».
L’affiche de la série « Euphoria ». Allo ciné

« Depuis la pandémie, les salles ne sont plus ce à quoi je pense en premier lorsque ­j’imagine la distribution, continue-t-elle. Je me suis faite à l’idée que, si ce n’est pas un film particulièrement spectaculaire ou un film d’horreur, le public américain ne se déplacera pas pour le voir en salle. » Elle s’apprête à présenter sur le marché un long métrage à 5 millions de dollars, avec une bonne histoire et un bon casting, qui, elle l’espère, fera sensation en festivals avant de vivre sa vie sur Internet.

L’importance des salles

En dépit de leur présence tentaculaire, les géants du streaming ne sont pas insubmersibles. En 2022, Netflix a perdu quelque 200 000 abonnés par rapport à fin 2021, une première en dix ans. Pour faire face à ces difficultés, la plate-forme semble tentée d’opter pour les solutions… des diffuseurs classiques.

Ⓒ Cottonbro Studio / Pexels.
Ⓒ Cottonbro Studio / Pexels.

En ayant recours à la publicité et en offrant trois semaines de vie en salle à certains de ses films (ce qu’elle fait déjà, mais peu), dans l’espoir de créer l’engouement et, in fine, d’attirer les spectateurs sur le site. Un déroulé qui, dans un sens, reflète le modèle traditionnel du cinéma indépendant et qui s’avère plus démocratique pour ces films.

Si, aux États-Unis comme ailleurs, les salles obscures sont affaiblies, elles sont loin d’être mortes. Et sont certainement reconnaissantes aux bons élèves cinéphiles, qui s’évertuent à faire connaître les cinéastes et cultivent la tradition de la bonne vieille séance de cinéma.


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