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The Good Business
Les pieds sur terre et le regard porté vers le large, ils ont tous la mer pour point d’ancrage de leurs projets durables.
Leurs idées, leur talent et leur créativité font bouger les lignes de l’écologie et de l’économie. Voici neuf entrepreneurs qui s’engagent pour la mer.
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1. Agnès Vince : « renaturer » le littoral
C’est une jolie scène que les menaces du réchauffement climatique ont permis de voir renaître sous les yeux admiratifs de ceux qui chérissent Hyères et ses joyaux insulaires – Giens, Port-Cros, Porquerolles… – pour la beauté de ses eaux translucides et sa biodiversité : une plage qui avait disparu, sur ce domaine des Vieux Salins et qui, en quelques mois, s’est redessinée d’elle-même, bientôt cernée d’une petite dune aujourd’hui confortée. Agnès Vince est, depuis 2019, la directrice du Conservatoire du littoral, propriétaire de ce site des Vieux Salins que l’organisme étatique a sauvé d’une vente promise à des promoteurs avides de transformer ce si précieux tampon climatique entre terre et mer en marinas et maisons sur pilotis. Lancé en 2017, le projet de « renaturation » est labellisé Life Adapto, bénéficiant du concours financier de l’Union européenne. « Il a pour objectif d’explorer des solutions pour contrer l’érosion et la submersion marine sur les territoires littoraux naturels », précise Agnès Vince. Au programme de ce chantier : faire sauter 500 m de barrières rocheuses qui n’avaient finalement pas empêché les eaux – au demeurant toujours montantes – de gagner 30 mètres en vingt ans, mais aussi, faire tomber les réticences.
2. Dominique Crenn : la cheffe rockstar conquiert Paris
Il faut parfois savoir couper le cordon hexagonal pour que le talent d’une Française puisse s’exprimer à sa vraie mesure. Celui de Dominique Crenn, première cheffe française à avoir décroché 3 étoiles au Michelin aux États-Unis, en 2018, a su prendre le vent d’une côte Ouest américaine capable d’accueillir cette fée visionnaire de la gastronomie – produits de la ferme, pêche durable, diminution de la consommation de viande –, mais avec une saveur à étonner les papilles. Une côte Ouest capable aussi d’accueillir une vie de femme, qu’elle s’est dessinée selon ses vœux, avec son look de rockeuse, son triskèle tatoué sur l’avant-bras, sa soif de casser les codes, elle dont les plats « se savourent comme un poème ». La résonance de son Atelier Crenn multiprimé est plus mondiale que française, mais Dominique Crenn prend enfin racine sur ses terres d’origine, avec son tout premier restaurant à Paris (Golden Poppy, au sein de l’hôtel La Fantaisie, Paris 9e).
Entre-temps, un Petit Crenn a vu le jour dans la baie de San Francisco, néocomptoir marin en hommage à sa grand-mère bretonne, et même un Bar Crenn. Elle n’avait que 23 ans quand elle a bouclé ses valises en même temps que des études d’économie pas vraiment raccord avec ce qu’elle avait dans la tête et dans le ventre, elle qui a découvert son premier étoilé à 9 ans, elle qui, longtemps, hésita entre cuisine et photographie, comme si sa créativité débordante se cherchait un sujet. À San Francisco, sans autre expérience que la cuisine qu’elle a toujours pratiquée chez ses parents – des parents adoptifs que celle qui a grandi à Versailles avec vacances dans le Finistère chérit et remercie –, Dominique Crenn se fait embaucher comme commis chez celui qu’elle juge être le meilleur restaurateur de San Francisco, Jeremiah Tower, pionnier du mouvement farm-to-table. Puis direction Jakarta, où elle a ouvert son premier restaurant, dirigeant une brigade 100 % féminine. Mais, clame aujourd’hui Dominique Crenn, à bas les frontières entre « chef » et « cheffe ». Pourquoi le talent aurait-il un genre ?
3. Frédérique Dugény : des entrepreneurs pour la mer… sur le sable d’Arcachon
Pour sa deuxième édition, le 14 septembre prochain, La Plage aux entrepreneurs d’Arcachon pose à nouveau le curseur sur ce qui est désormais sa marque de fabrique, un entrepreneuriat
axé sur le made in France, passé en quelques années de revendication nostalgique, voire agonisante, à cette signature anoblie qui a désormais le vent en poupe, alors que la crise économique et climatique incline les nations à raccourcir leurs circuits et à rapatrier leur industrie. C’est Frédérique Dugény, directrice d’Arcachon Expansion, qui est aux commandes de cet événement lancé par la ville du même nom. « La Plage aux entrepreneurs tisse sa toile de rendez-vous majeur de la rentrée économique française », se félicite-t-elle. Louis Gallois en sera le parrain 2023, rare pointure éclectique de l’industrie – ex-patron d’Airbus, ministre, haut fonctionnaire et aujourd’hui coprésident de La Fabrique de l’industrie – dont les observateurs saluent la double fibre sociale et libérale. Pour lui donner la réplique ? Arnaud Montebourg, ex-ministre du Redressement productif, instigateur du label Bleu Blanc Ruche, et qui incite ni plus ni moins à « recréer toutes les boîtes perdues ! » De belles joutes verbales en perspective.
4. Hugo Roellinger : serial étoilé de la gastronomie
Avec lui, les années se suivent et se ressemblent : 2 étoiles au Michelin décrochées en 2019 pour le restaurant Le Coquillage, qu’il a rejoint cinq ans plus tôt, à Saint‑Méloir‑des‑Ondes, entre Saint-Malo et Cancale, une ancienne villa des Années folles cernée de 7 ha de terre (70 variétés de plantes aromatiques y ont trouvé leur humus) avec vue sur Le Mont-Saint-Michel ; étoile verte en 2020, puis titre de cuisinier de l’année octroyé par Gault & Millau en 2021. Hugo Roellinger a pourtant tenté de s’écarter des traces prestigieuses de son père, Olivier Roellinger, qui décrocha ses 3 étoiles au Michelin en 1994. Admiratif, Hugo pensa sans doute qu’il ne pourrait jamais faire aussi bien que lui, et que le métier d’officier dans la marine marchande lui offrirait un de ces tours du monde à régaler ses pupilles. Mais à 24 ans seulement, il est de retour sur terre, passe son CAP et vérifie qu’il a vu juste en enchaînant les stages chez Troisgros, Pierre Gagnaire et Michel Guérard. À 35 ans en 2023, Hugo Roellinger explore ces saveurs marines et végétales rehaussées de piment mexicain ou d’autres épices du bout du monde, une cuisine libre et durable dont les experts affirment qu’elle casse les codes.
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5. Jacob Hatzidimitriou : une montre qui plonge
Et les dieux créèrent… Ianos. Cette évocation cinématographique ravirait sûrement son fondateur, qui n’en a pas besoin, tant ce champion du storytelling excelle à réinventer et décliner de belles histoires vraies. Jacob Hatzidimitriou est le cocréateur d’une marque horlogère inconnue du grand public. Une marque grecque créée à Neuchâtel en 2019, qui équipe ses montres de mouvements mécaniques suisses. De quoi intriguer encore un peu plus les chasseurs de pièces hors norme : mais alors, est‑elle grecque ou suisse ? Si le doute a pu un temps planer sur l’origine de sa fabrication, la nationalité hellène du fondateur, elle, ne fait aucun doute. Pas plus que l’inspiration de ses deux modèles Avyssos et Mihanikos, au bleu profond de la mer Égée. Cette dernière est brandie comme une odyssée dont Jacob Hatzidimitriou, membre du Grand Prix d’horlogerie de Genève, traque le moindre fondement historique. Ainsi du chrono Mihanikos, modèle moderne robuste et stylisé à l’élégance délibérément brute, montre de plongée qui… ne sert pas à plonger et dont chaque détail emmène celui qui la porte dans les profondeurs d’un métier qui exista et qui a disparu : celui de pêcheur d’éponges. Ainsi de l’affichage des secondes, inspiré des vieux scaphandres. « Une montre peut combiner une conception architecturale, une inspiration historique, des centaines d’années d’expérience horlogère, des techniques innovantes, le tout pour un objet presque inutile dans le monde d’aujourd’hui, énumère-t-il. N’est-ce pas fascinant ? »
6. Johana Gustawsson : romancière en mer Baltique
Cette vraie-fausse légende de sa vie, la jeune romancière ne l’a pas écrite, mais elle l’a laissée courir : une Marseillaise devenue suédoise par alliance, une fille du Sud devenue cette jeune romancière du Nord
au succès planétaire – ses thrillers, Mör, Sång, sont traduits dans le monde entier – préférant le sable terreux de la mer Baltique à celui des plages du Prado. Tout est vrai, mais tout est un peu faux aussi, puisque entre le Prado et l’île de Lidingö, au large de Stockholm, où elle vient de planter sa vie comme le décor de son dernier thriller, L’Ile de Yule, celle qui a vite enterré son profil études de sciences politiques-journalisme a vécu douze ans à Londres. C’est à cette période que surgit une nouvelle qui la fait frémir : le tandem Brexit-Covid enjoint à son mari de rejoindre la Suède. Déception de quitter Londres pour Stockholm. Résignée à endurer ces longs mois d’avant le solstice d’hiver, quand le jour ressemble à une nuit éclairée au néon, Johana Gustawsson s’installe officiellement à Lidingö « parce qu’il y a de bonnes écoles » pour ses enfants. Mais aussi… à cause de cette toute petite île piétonne, juste en face de sa maison, où viennent brouter les biches, un hameau de 210 âmes où gît un manoir délabré… que cette experte en rites vikings et en mythologie scandinave a rebâti et peuplé. « Le hasard m’a fourni un matériau incroyable », dit cette fan d’Agatha Christie. « La chance d’avoir du talent ne suffit pas, il faut avoir le talent de la chance », édictait Berlioz. Johana Gustawsson
en est bien dotée.
7. Julien Racault : maraîcher des mers
C’est un choix que Julien Racault a délibérément entériné que de mettre à profit ses compétences d’ingénieur chimiste au service d’une activité en gestation : la culture des algues, dont on n’a de cesse de découvrir, après les avoir longtemps traitées en végétaux pestiférés des plages, les incroyables vertus biochimiques qu’elles renferment. Né dans cette pointe du Finistère Nord battue par les vents, que les scientifiques qualifient
de « plus grand champ d’algues d’Europe », Julien Racault a fondé Algo’Manne, à Brest, en 2013, start-up dédiée à ces légumes de mer – wakamé, haricot de mer ou kombu royal –, dont il assure la récolte sur la plage de Portsall. Sans oublier la Palmaria palmata, l’algue la plus récoltée durant les grandes marées. Une activité encore naissante, qui réclame une manutention minutieuse de ces différentes variétés, qu’il s’agit de tailler en douceur, l’arrachage étant proscrit. Sa passion : la spiruline, reconnue aujourd’hui pour ses vertus nutritionnelles. L’or vert de la Bretagne, c’est environ 800 variétés d’algues. « Les algues sont oxygénées, brassées par cette mer qui, ici, est encore fraîche. Il faut profiter de leurs incroyables vertus, assène Julien Racault. La mer, c’est mon deuxième bureau ! »
8. Sabine Roux de Bézieux : déplastifier la mer
Elle s’insurge sans s’irriter, verbe posé et visage serein, connaissant son sujet sur le bout des ongles, que la fondatrice et présidente de la Fondation de la mer porte courts : « Nous sommes en lutte contre ce que j’appelle la “plastisphère”, cet usage du plastique multiplié par 40 en soixante ans et qui pourrait encore tripler si nous ne faisons rien. Or, certains pays ne veulent pas de ce traité. » À l’heure où nous bouclons
ces pages, Sabine Roux de Bézieux vient de s’extraire du siège de l’Unesco, à Paris, où les délégués de 175 pays planchent sur un traité international qu’il convient d’établir d’urgence pour éradiquer la pollution par
les plastiques. Le mot « découragement » n’a sans doute jamais réussi à s’infiltrer dans le mental de cette marathonienne au parcours sans faute – Essec, banques d’affaires, cabinet d’audit Arthur Andersen – que cette mère de quatre enfants aurait volontiers échangé contre un poste de pilote dans l’aéronavale… alors inaccessible aux filles.
Née à Lyon, éduquée à Paris, Sabine Roux de Bézieux a su valoriser son appétence pour le monde marin liée à ses profondes attaches familiales au Pouliguen. C’est en 2015 qu’elle a pris la barre de la Fondation de la mer, think tank qui entend aligner sur un même cap écologie et économie, elle qui exhorte les entreprises et leurs dirigeants à s’impliquer dans cette dépollution maritime aussi impérieuse que vitale. « Nous sommes la fondation des oxymores, puisque nous entendons créer des passerelles entre l’économie et l’écologie », souligne cette femme discrète et solide, « épouse de » Geoffroy Roux de Bézieux, le noble et tonitruant patron du Medef, mais rodée à tracer sa route bien à elle, à l’avant‑garde d’une société civile au pouvoir grandissant.
9. Belinda Hindmarsh : une Néo-Zélandaise pour piloter Ponant
C’est elle, Belinda Hindmarsh, que la compagnie française et numéro un mondial des croisières de luxe a choisi en lui confiant la feuille de route de ses nouvelles ambitions de compagnie aux expéditions sur les sept mers du globe : accentuer ce virage pris par Ponant en 2022 vers une offre ultrapremium tissée d’itinéraires rares, d’expéditions à thème avec experts à leur bord, dont il s’agit d’affiner encore le profil d’offre singulière, la compagnie phocéenne n’ayant pas hésité à se démarquer de la vogue des paquebots géants en misant délibérément sur des vaisseaux de petite taille. Fraîchement nommée avec le titre de directrice générale adjointe, Belinda Hindmarsh, qui a brillamment tracé sa route de spécialiste du voyage chez Expedia, Aer Lingus et dernièrement CWT (ex‑Carlson Wagonlit Travel), où elle a supervisé, entre autres, les opérations en Chine, et dont elle était membre du Comex, ne devrait pas tarder à installer son tempo pour permettre à Ponant de doubler le nombre d’agences de voyages commercialisant ses croisières, mais aussi, après la récente mise aux normes écologiques de son Paul Gauguin, de veiller à la construction d’un 14e navire zéro impact. Voilà une entrepreneure qui a la mer à cœur.
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