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Cette maison de saké de plus de 500 ans nous livre les secrets du vin japonais

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En mars 2022, le gouvernement japonais portait sa candidature au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco, en vue du classement du « brassage traditionnel des sakés japonais ». En attendant le verdict, prévu en 2024, Masataka Shirakashi, président de la maison de saké Kenbishi, revient sur cette boisson artisanale ancestrale unique au monde.

Fondée en 1505, la maison Kenbishi, située dans la ville de Kobé, dans la préfecture de Hyōgo, dans la région du Kansai et au centre-ouest de l’île de Honshū, est historiquement l’une des plus anciennes brasseries de saké (appelé nihon-shu, littéralement nihon : Japon et shu : alcool). Le secteur auquel elle appartient, Nadagogo, est considéré comme « l’un des meilleurs centres de production de saké au Japon » car il possède les trois éléments essentiels à la production d’un saké de haute qualité, à savoir le riz, l’eau et les techniques de brassage. Son histoire se confond intimement à l’histoire du saké japonais lui-même, avec une approche plus que jamais ancrée dans la tradition. Elle possède trois chais. Pour chacun d’eux, un toji – ou maître brasseur – exécute à la lettre les préceptes transmis par son président, Masataka Shirakashi,. 

La première chose à savoir sur la boisson nationale du Japon, c’est que le nihon-shu n’est pas une boisson distillée, mais bien une boisson alcoolisée et fermentée, élaborée à base de riz, de koji (petits champignons utilisés pour transformer l’amidon en sucre) et d’eau de source. Ce qui, selon un récent sondage, est largement ignoré. Il se boit majoritairement comme un vin. Youlin-Ly, fondateur de la Maison du Saké2 et détenteur depuis 2015 du titre de « Saké Samouraï » en rappelle les trois catégories principales : « Les modernes, les traditionnels et les sakés nature. » Les premiers sont des sakés « aromatiques ». Ils obéissent aux mêmes codes que les vins. On les boit toujours frais dans de grands verres. Ceux dits traditionnels sont peu aromatisés et mettent en avant soit le riz et son côté céréalier, soit l’eau. Le must absolu est de les boire dans des verres à saké. Ici, c’est le choix de la levure qui sera déterminante dans leur fabrication. Enfin, les sakés nature qui utilisent des levures indigènes. Le riz est très peu poli. Ce sont des sakés puissants, complexes, marqués par l’amertume, aux notes de levain, de sous-bois, de cacao. Rien à voir donc avec les précédents.

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The Good Life : Pourquoi les techniques de brassage des sakés japonais sont-elles susceptibles de rejoindre le Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO ?

MASATAKA SHIRAKASHI : Parce que le nihon-shu – saké en japonais – est brassé en utilisant du ki-koji (ou koji jaune), un champignon adapté au climat mixant haute température et humidité du Japon. La plupart des boissons alcoolisées sont produites à partir d’un liquide sucré (par exemple, le jus de raisin) ou d’un liquide saccharifié de céréale avec l’aide d’enzymes – comme le liquide malté de la bière. La fermentation se produit avec des levures (fermentation simple). Dans la production du saké, la saccharification et la fermentation se produisent en même temps. Cette technique rare engendre une production d’alcool élevé qui permet la prévention de risque de contamination bactérienne. Il s’agit là d’une double fermentation simultanée. Cette technique est aussi utilisée ailleurs en Asie. Le nihon-shu est aussi fortement lié aux rituels shinto. C’est une boisson importante en termes de foi. Elle servait autrefois d’offrande sacrée aux kami, ces déités qui, selon la mythologie chinoise, peuplent la nature. De plus, comme le gouvernement n’encourageait pas les agriculteurs à faire des échanges avec d’autres régions, l’agriculture au Japon n’est pas suffisamment compétitive pour vaincre l’importation.  Les agriculteurs, passés un certain âge, prennent leur retraite sans que personne ne prenne le relais. L’autosuffisance baisse. Le gouvernement encourage l’exportation des produits agro-alimentaires. Le nihon-shu s’avère de loin comme ayant le meilleur potentiel pour accroître le marché et constitue le meilleur pourcentage en termes d’exportation.

TGL : Peut-on tout d’abord résumer le plus simplement possible les différentes étapes d’élaboration d’un saké ?

MS : Le polissage tout d’abord. Une étape qui consiste à polir des grains de riz pour enlever les lipides et les protéines présents dans la couche extérieure. La présence des lipides encourage l’oxydation et celle des protéines peut causer un goût trop « brut ». Quand le taux de polissage est élevé, le nez est fruité avec un goût léger. Quand le taux de polissage est faible, le nez est plutôt « céréalier » et il y a plus « d’umami » en bouche. L’équilibre est plus difficile à obtenir pour ce dernier. La production de koji ensuite. Dans un premier temps, on saupoudre des champignons koji-kin sur le riz cuit et refroidi. On dépose ce riz dans une pièce fermée dont on augmente la température graduellement.

Après 48 à 56 heures en moyenne, le riz, ainsi inoculé avec les champignons koji-kin se transforme en koji. Il contient beaucoup d’enzymes qui se dissolvent et saccharifient le riz avec l’ajout d’eau. Le shubo (ou pied de cuve) consiste à nourrir les levures. On mélange le riz cuit et refroidi, le koji et l’eau. On ajoute de l’acide lactique pour condamner les mauvaises bactéries, ensuite des levures. Et on attend leur croissance. Les méthodes sans ajout artificiel d’acides lactiques s’appellent Kimoto ou Yamahai. Avec ces méthodes, les bactéries lactiques se forment naturellement. Vient ensuite le shikomi (ou fermentation principale) : on ajoute le riz cuit et refroidi et le koji à la préparation du pied de cuve pour développer la saccharification et la fermentation de manière simultanée. Enfin, on sépare la partie liquide (saké nouveau) et solide (lie de saké). C’est le pressurage. Il faut compter environ 33 jours à partir de la production de koji jusqu’au pressurage. Chez Kenbishi, on en compte 75 ! Dernières étapes : la clarification et la pasteurisation.  On ajoute du charbon en poudre dans le nouveau saké. Celui-ci descend vers le fond, attrape les levures, la protéine et les bactéries qui risquent de pourrir le saké. On récupère le surnageant avec un filtre en coton. Les mauvaises bactéries sont ensuite détruites par la chaleur.

TGL : Chaque maison a son toji ou maître de chai. C’est lui qui applique les techniques de brassage qui varient d’une région à l’autre, d’un toji à l’autre, d’un type de saké à l’autre… Comment expliquer cette diversité à la fois technique et régionale ? 

MS : Chaque chai a son toji. S’il y a 3 chais chez un producteur, il y a 3 tojis. Chacun est responsable de son chai et du choix de son personnel. En général, l’entreprise décide du style de saké qu’elle veut produire, comme chez Kenbishi. Plus récemment – globalement après 1869 – les brasseries de saké ont laissé leurs tojis décider du style qu’ils voulaient donner à leur saké. Quant aux techniques de brassage, elles ont longtemps varié et pouvaient s’avérer très différentes d’une région à l’autre, car il y avait très peu d’échanges entre ces régions. Aujourd’hui, on apprend les techniques avec les mêmes supports, donc il y a moins de différence. Pourtant, il reste encore un peu de « régionalité » au niveau du goût, car chaque préfecture possède son propre laboratoire qui recherche et développe ses propres techniques. Et les brasseurs appliquent les résultats du laboratoire lié à leur préfecture. Le dépeuplement dans les campagnes a encouragé la recherche d’un marché à Tokyo. Celui-ci est facilement influencé par les résultats des concours. Beaucoup de brasseurs ont donc commencé à chercher à obtenir des médailles. Le saké au Japon perdait en effet de sa personnalité. C’est pour cela que chaque préfecture a commencé ses propres recherches pour retrouver l’originalité du saké et sa diversité. 

« L’accord est réussi quand il y a une similarité ou une complémentarité entre le saké et le met »

TGL : Quelles sont les techniques que vous appliquez chez Kenbishi et pourquoi ?

MS : Kenbishi brasse le saké selon la même méthode depuis 200 ans. On cherche à produire un saké qui accompagne des plats diversifiés et à cibler les consommateurs qui cherchent de bons accords mets et sakés. Dès le début de la fondation de Kenbishi, la cible était le marché de Edo – ancien nom pour Tokyo. Si on brasse le saké pour la nourriture locale, le style de saké est fixé en fonction du goût de la région. À l’époque, à Edo, les gens venaient partout du Japon avec la nourriture attachée à leurs régions. Il fallait produire un saké qui accompagne des plats aussi variés que chacune de ces régions pour gagner en popularité. L’accord est réussi quand il y a une similarité ou une complémentarité entre le saké et le met. Plus le saké est complexe, plus il aura de chances de s’accorder avec une infinité de plats. Kenbishi brasse son saké avec cette idée en tête depuis 500 ans. Il y a maintenant 200 ans, nous avons réussi à perfectionner nos méthodes. Par conséquent, nous n’avons aucune intention de les modifier. De nos jours, il y a une telle diversification de mets et cela convient parfaitement à la philosophie de notre maison. 

TGL : Comment définiriez-vous votre type de saké ?

MS : Un grand classique du monde du nihon-shu qui embrasse tous les types de cuisine. Il appartient à la catégorie des sakés traditionnels.

TGL : Comment déguster le saké ? Froid, chaud, etc.                       

Le saké de Kenbishi se déguste à température ambiante ou chaude. On ne conseille pas de le rafraîchir. Il date d’il y a 200 ans. À l’époque, il n’y avait pas de frigo.

 TGL : Quels sont les mets qui s’accordent le mieux avec le saké ?

MS : Il y a vraiment beaucoup de styles de saké. Chaque brasseur pratique le sien. Sa potentialité d’accords est infinie. On peut trouver un saké pour chaque plat et tous types de cuisine.  

 

 

KENBISHI SAKE BREWING CO., LTD.

3-12-5 Mikagehommachi Higashinada-ku,
Kobe-shi, Hyōgo 658-0046 JAPON

LE CHOIX DE MASATAKA SHIRAKASHi 

Mizuho Kuromatsu, un saké d’une délicate complexité aux saveurs de noix grillées, de terre humide, d’écorce de bois et de caramel. Une première impression de douceur mêlée à une acidité plutôt discrète qui facilite les accords en cuisine. 72cl, 47 €.

 

OÙ LE TROUVER ?

WORKSHOP ISSE
11, rue Saint-Augustin
75002 PARIS
Tél. : 01 42 96 26 74
www.workshop-isse.fr

 

EN SAVOIR PLUS

Nihonshu, le saké japonais, de Gautier Roussille (ingénieur agronome et œnologue), éditions Dunod. Tout ce qu’il faut savoir sur le saké, de la plantation du riz jusqu’à la température de service, en passant par l’histoire du saké, la fabrication des fûts ou la fermentation.

 

QU’EST-CE QUE LE SAKÉ NOUVEAU ?

Ce sont les premiers sakés de l’année avant qu’ils ne soient pasteurisés. Leur durée de vie est limitée dans le temps. Ils sont plus frais et plus légers. Youlin-Ly qui en a été son premier initiateur en France en 2018, s’est inspiré du concept du Beaujolais nouveau, très prisé au Japon, pour son esprit « bonne franquette » typique des bistros français. Pour cette 5e édition, 4 cuvées sont mises à l’honneur – Takeno, Masumi, Izumibashi et Hakutsuru – en partenariat avec plusieurs adresses incontournables de la gastronomie française et japonaise, dont ERH, Sola, Ze Kitchen Galerie, Kitchen galerie Bis, Les Enfants du Marché et La Dame de Pic.

Du 24 avril au 14 mai. Retrouvez toutes les infos sur www.sakenouveau.com 

 

OÙ LES TROUVER ?
11 RUE TIQUETONNE
(LA MAISON DU SAKE + LA MAISON DU WHISKY)
75002 Paris
Tél. : 01 53 40 81 77
www.lamaisondusake.com

 

 

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