Food
The Good Guide
Alors que l'Europe cherche sa nouvelle capitale culinaire, Vienne s'impose discrètement sur la scène internationale. Loin des projecteurs braqués sur Paris, Londres ou Copenhague, la capitale autrichienne dévoile une scène gastronomique vibrante et avant-gardiste, entre restaurants étoilés et créativité débordante. De l'incontournable Steirereck à l'audacieux Tian, découvrez nos coups de cœur parmi les tables les plus innovantes de la ville. Vienne, one to watch pour les épicuriens en quête de découvertes.
Cela fait longtemps que le jeu des chaises musicales de la hype culinaire tourne sérieusement en rond. Qu’en est-il de la prochaine capitale de la food européenne ? Toujours les mêmes noms sont dans le viseur, créant un sentiment lassant de déjà-vu. Londres ? Trop médiatisée, avec bien plus de restaurants par habitant que ce que le marché peut absorber. Copenhague ? Décidément trop inflationniste et nordique pour trouver un successeur à la révolution Noma. Berlin ? Elle se cherche encore, entre grandeur classiciste et locavorisme de bon aloi. Barcelone, peut-être ? Si seulement elle pouvait s’affranchir de l’héritage avant-gardiste de Ferran Adrià… Et Paris, alors ? Elle s’en sort plutôt bien, championne de l’offre et de la demande, portée par la force de son histoire et de son adaptation à l’air du temps, allégée de sa grandeur passée. Et Vienne, alors ?
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Vienne, force tranquille de la gastronomie européenne
S’il y a une ville phare de la Vieille Europe dont la scène culinaire reste sous le radar et qui mérite d’être suivie de près, comme on dit « one to watch », c’est bien Vienne. Pointe de l’iceberg d’un pays dont on commence à mesurer seulement maintenant le grand potentiel d’attraction culinaire.
Capitale de l’Autriche, située à l’est du Danube et pourtant connue comme épicentre musical et scène artistique, faisant le grand écart de la Sécession viennoise du début du XXe siècle aux expérimentations sanguinolentes de l’Actionnisme des années 60, est désormais aussi une destination gastronomique incontournable. Avec ses nombreux « destination restaurants« , Vienne frappe ses trois coups sur la scène internationale. Pour une fois, Michelin ne s’est pas trompé en annonçant pour janvier 2025 la première édition de son guide à échelle nationale et sa future pluie d’étoiles.
Bien avant Michelin, en mode spoiler mais sans les récompenses, voici les adresses préférées de The Good Life. Tour de table(s) évidemment non exhaustif…
Les adresses favorites de The Good Life à Vienne
Le + « troisétoilable »
On aime depuis toujours le Steirereck de Heinz et Birgit Reitbauer. Au cœur de Vienne, dans l’enceinte d’un sublime parc patricien, c’est LE grand restaurant de la capitale autrichienne. Une table contemporaine, aussi aérienne et enlevée que son espace lumineux, où rayonne un plaisir véritable du partage. Tradition, produits d’exception, et élan créatif dont la finesse et l’élégance innée laissent chaque fois pantois. La technique est là, mais toujours au service du goût, sans céder aux produits les plus luxueux. Le style Steirereck se retrouve dans l’évidence des saveurs, dans ce dialogue heureux entre terre et rivière, végétal et animal.
L’omble chevalier cuit dans la cire d’abeille avec du pollen de carottes jaunes, les brocolis sauvages aux pleurotes royales et fleurs de calamansi ou encore le cochon de Pogusch avec pois mange-tout, salicorne des marais et ail des ours, sont autant de plats savoureux, raffinés mais toujours accessibles. Une cuisine d’auteur horizontale, nullement jupitérienne. Lassés par tant de restaurants prisonniers des tics et tocs de leur tour d’ivoire, on l’avait réclamé : Make fine dining great again! Bonne nouvelle, le Steirereck l’a fait.
Steirereck. Am Heumarkt 2A, 1030 Wien, Autriche. Site internet.
Le + coup de cœur
Attention, double, voire triple coup de cœur ! Et haut la main, s’il vous plaît ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu’on ne s’y attendait pas. Pensez donc : un restaurant gastronomique, dans le 1er arrondissement de Vienne, soit le microcosme des boutiques de luxe de la capitale, étoilé au guide Michelin, avec son menu dégustation en huit plats, tous sans protéines animales, 100 % végétariens. On craignait l’allégeance à l’air du temps, au « gastronomically correct« , une ode hygiéniste au tofu, aux graines germées et autres crudités. Il n’en est rien. Tian, de Paul Ivic, est en tout point l’un des restaurants les plus joyeux et novateurs que nous ayons testés depuis longtemps. Dans une salle toute en longueur et volumes lumineux, Paul Ivic orchestre une ode au monde végétal, brouillant avec audace les frontières entre nature et culture. Le geyser créatif de Tian se trouve au sous-sol du restaurant. Allez faire un tour dans ce laboratoire où Paul, avec son chef de la recherche Matthias, fermente, mature, distille onguents, extractions, garums et sauces balsamiques façon tamari, mais à base d’artichauts ou de topinambours.
Le poème qui ouvre le menu donne le ton : « Vive les espiègles pousses de chou, et leur cousin, l’étonnant brocoli. Vive le coing dur-à-cuire, l’insolente chanterelle et l’ombreux champignon. Vive la vie ! » Bien dit, encore mieux fait. À table, la magie opère : julienne de radis d’été et gelée de pommes Rubinette à l’huile d’estragon avec un surprenant effet lacté, fine galette de pommes de terre aux asperges vertes grillées au balsamique de peuplier, jaune d’œuf en condiment et chips d’asperges déshydratées. Champignon « crinière de lion » à la crème de noix et petits pois. Sans oublier le pleurote en huître fumé au four, avec pétales de rose et aérienne quenelle d’oignon. Ou encore, avant des desserts mirifiques, les raviolis dans un intense bouillon de champignons aux émouvantes notes de sous-bois. Un sans-faute du début à la fin. Chez Tian, la randonnée de saveurs végétales est fluide et élégante, toujours pensée et cuisinée. Le tout sublimé par un duo de sommeliers hors pair, André Drechsel et Nico Hammerl, qui sélectionnent les meilleures quilles bios et vivantes, en parfait accord avec la cuisine naturelle de Paul Ivic et son équipe. Chapeau bas !
Tian. Himmelpfortgasse 23, 1010 Wien, Autriche. Site internet.
Le + funky à Vienne
À coup sûr, une perle rare. Et pourtant, malgré ses deux étoiles bien méritées, encore absente du palmarès des World’s 50 Best. Ne cherchez plus, le restaurant pour tous (ou presque), preuve que le fine dining peut aussi être fun dining, c’est bien Mraz & Sohn. Le terrain de jeu et d’expérimentation acrobatique de Markus et Lukas, les Mraz père et fils. Qui aurait cru qu’à ses débuts, dans le faubourg de Brigittenau, c’était juste une cantine de quartier (turc) ? En parfaite synergie, les deux concoctent un menu qui change sans cesse, avec au minimum deux à trois nouveaux plats chaque semaine, histoire de tuer la routine et remettre le plaisir du jeu au centre de la scène.
Connaissez-vous une autre table de ce standing où tous les ingrédients du menu sont présentés sous vos yeux dans un caddy de supermarché ? Pour le protocole gastronomique, on repassera. D’est en ouest, épices en goguette, techniques de haute cuisine et coups de génie de la street food tourbillonnent en liberté. Laissez-vous surprendre : petits pains indiens farcis de viande et mayo à l’ail, huîtres au tartare d’agneau, sauce au lait d’amande, ciboulette et câpres. Et encore : truite pochée au beurre blanc, mousse d’asperges vertes et huile au piment. Puis un Wiener Wurstel Rework totalement hérétique : des asperges enroulées dans des fines tranches de speck, pâte de piments fermentés et sauce à base d’eau d’Emmental relevée d’un soupçon de raifort. À se damner ! Plus arty, plus punky, plus irrévérencieux et funky que Mraz & Sohn, on ne connaît pas. Foncez !
Mraz & Sohn. Wallensteinstraße 59, 1200 Wien, Autriche. Site internet.
Le + niche
Konstantin Filippou est un grand gaillard, hirsute et chevelu, à mille lieues de l’image que renvoie sa cuisine ultra-précise. Le restaurant qui porte son nom cultive une épure raffinée, jouant sur les textures et les micro-variations de saveurs. De ses origines grecques, Filippou ne conserve qu’un vague souvenir gustatif, sans folklore ni nostalgie appuyée. Tout se joue dans l’intimité des rencontres entre deux ou trois ingrédients, jamais plus. Dîner chez Konstantin et Manuela Filippou est une parenthèse ouatée. Il faut être attentif pour savourer toutes les subtilités de la salade de mer aux sardines, moules et cornichons, ou des divines langoustines au chou et cochayuyo, une algue chilienne longue comme des lianes, dont la chair évoque à la fois la Saint-Jacques et l’artichaut.
Parfois, on aimerait un peu plus de punch dans l’attaque, pour rappeler sans complexes ses origines helléniques qui surgissent là où on les attend le moins. Par exemple, dans un sublime plat où le Genmai, riz brun japonais torréfié, accompagne du caviar, tandis que la cuisson du jaune d’œuf joue l’onctuosité parfaite en tandem méditerranéen avec une huile aux feuilles de figuier. Si vous voulez une immersion totale dans la « Greek attitude » de Filippou, il suffit de faire quelques pas pour rejoindre *O’ Bouffes*, son bistrot attenant, où toutes les inflexions de son ADN méditerranéen sont mises à l’honneur, avec l’une des plus belles caves de vin nature du pays.
Konstantin Filippou. Dominikanerbastei 17, 1010 Wien, Autriche. Site internet.
Le + rétro
Un bistrot plus que rétro. Dans un cadre minimaliste à la Kaurismäki, le Reznicek ne s’embarrasse pas de menus interminables. À la carte seulement, on pioche petits et grands plats de l’Autriche d’antan revisités à la mode d’aujourd’hui. Houmous de cocos de Styrie, tartare de bœuf aux champignons et œufs brouillés, aubergines grillées aux pêches et noisettes, esturgeon aux amandes et bacon. Même avec 35°C à l’ombre à Vienne, dites oui au bouillon de bœuf, d’une profondeur aromatique criminelle. Et surtout, surtout, au cordon-bleu, tout un repas à lui seul, péché mignon que l’on croyait dépassé. Qui pourrait même mettre d’accord Emmanuel Macron, grand spécialiste en la matière, au grand dam de sa Brigitte, avec François Hollande, feu Philippe Séguin et Jacques Chirac.
Reznicek. Reznicekgasse 10, 1090 Wien, Autriche. Site internet.
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