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À la fois directeur artistique, curateur et directeur d'institutions Jérôme Sans est une figure impérieuse de l’art contemporain, Paris, France, 2022 - The Good Life
À la fois directeur artistique, curateur et directeur d'institutions Jérôme Sans est une figure impérieuse de l’art contemporain.
Marine Mimouni

Culture

Rencontre : 6 questions au curateur Jérôme Sans

Culture

Depuis quarante ans, Jérôme Sans insuffle une nouvelle manière d'appréhender l'art. À la fois directeur artistique, curateur, rédacteur en chef et directeur d'institutions renommées tels que la Palais de Tokyo, à Paris, et l'Ullens Center for Contempory Art, à Pékin, Jérôme Sans est une figure pionnière de l’art contemporain. The Good Life l’a rencontré.

Portrait de Jérôme Sans.
Portrait de Jérôme Sans. Valentin Le Cron

À la suite de son récent projet présenté sur la Place Vendôme, dans le 1er arrondissement de Paris, avec l’artiste plasticienne Alicja Kwade, le curateur nous a démontré que l’art pouvait être inclusif. À contrario des galeries commerciales et les galeries institutionnelles qui sont des lieux refermés sur eux mêmes, l’espace public, selon Jérôme Sans, est la meilleure des manières pour se confronter au réel. Rencontre avec un acteur majeur qui a bousculé les codes de la scène artistique contemporaine.

À Paris, de l’art et du panache

Place Vendôme, une œuvre monumentale de l’artiste germano-polonaise Alicja Kwade, Au cours des Mondes, a constitué un immense défi technique pour le commissaire d’exposition et critique d’art Jérôme Sans, co-créateur du Palais de Tokyo, à l’initiative du projet. Escaliers sans fin et sphères énormes de marbre coloré et poli, signatures de l’artiste, font entrer la place dans une autre dimension. L’oeuvre était visible jusqu’au 13 novembre 2022 sur l’iconique place parisienne. 

> Lire l’article « Marché de l’art :Paris + par Art Basel surpasse les espérances ».

The Good Life : Pouvez-vous nous en dire plus sur votre studio ?

Jérôme Sans : Mon bureau existe depuis que j’ai 22 ans. Au début de ma carrière, il ne m’était pas possible d’exposer dans des institutions françaises car je ne disposais pas du diplôme adéquat. J’ai choisi une voie parallèle qui a été celle d’utiliser les moyens de la réalité quotidienne et d’intervenir dans des lieux que nous fréquentons en permanence. Cela n’était pas du tout pratiqué par mes homologues. Selon moi, il y avait un intérêt considérable de se confronter au réel et le milieu de l’art, à l’époque, ne s’en souciait guère. C’est ce qui a été mis en lumière dans mes nombreux projets mais aussi dans les institutions que j’ai pu mettre en place comme le Palais de Tokyo ou au Lago/Algo, qui sont des lieux à fréquenter et à expérimenter.

« J’ai trouvé qu’il y avait là un rapport décomplexé et une manière de ramener l’art dans un dialogue plus simple »

Le centre culturel Lago/Algo, au Mexique.
Le centre culturel Lago/Algo, au Mexique. Alonso Araujo

Je n’ai jamais compris pourquoi il y a encore un grand écart entre l’un et l’autre. J’ai toujours considéré que l’institution n’avait pas de frontière, elle doit être un lieu d’inhibition et non un lieu de réception. C’est un lieu qui doit innerver le quartier dans lequel l’institution est impliquée et être des dimensions multiscalaires. Ma pratique curatoriale est née de manière périphérique du fait que j’ai toujours trouvé que la centralité de mon milieu était trop petite. J’ai travaillé avec des architectes, des promoteurs immobiliers, des urbanistes et des marques qui m’ont permis de produire tout ce que j’ai pu faire depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui. Ma manière d’être curateur était plurielle. Être uniquement dans l’écriture et l’exposition me semblait limité. Selon moi, l’exposition existe à travers tous les médiums que je peux utiliser. Ce qui m’intéresse c’est de mettre en lumière une pratique et une lisibilité la plus grande possible à travers le biais d’interviews que je fais depuis 30 ans dans le but de donner la parole aux artistes.

The Good LifeVous parlez d’expériences inclusives. Qu’entendez-vous par là ?

Jérôme Sans : Dans mes différents projets, j’ai eu la chance de pouvoir dialoguer avec un certain nombre d’architectes. Depuis toujours, on me fait intervenir pour lire un bâtiment, dire ce que je ressens sur une maquette mais aussi accompagner la création de complexes comme j’ai pu le faire avec l’architecte Ricardo Bofill durant les six derniers mois de sa vie. Il m’avait demandé de l’accompagner sur la création d’une structure absolument improbable et unique en son genre puisqu’il comprend à la fois un opéra, une salle de théâtre, un musée d’art contemporain, un jardin de sculptures, un lieu de résidence, tout un ensemble de choses qui fait que ce lieu correspond à un arrondissement de Paris. Une sorte de lieu utopique. Ma pratique c’est aussi ça, c’est de faire en sorte que les lieux que l’on met en place soient des lieux performants, différents, innovants et toujours inclusifs.

Lago/Algo dispose d’un restaurant et d’un espace de travail partagé.
Lago/Algo dispose d’un restaurant et d’un espace de travail partagé. DR

The Good Life : Pouvez-vous m’expliquer votre choix concernant l’exposition d’Alicja Kwade sur la place Vendôme ?

Jérôme Sans : Aujourd’hui, on se pose la question de comment faire en sorte que la ville soit revégétalisée et que l’espace puisse devenir un lieu réenchanté. La place Vendôme est un lieu de minéralisation absolue avec une absence totale de végétalisation. C’est un rectangle parfait où vous êtes sur un socle de la pré-modernité. Au centre de cette place, il y a un monument imposant que Napoléon s’est auto-construit. Il célèbre sa conquête de la ville  d’Austerlitz. C’est un endroit brutal où il n’y a aucune trace de féminité. Cette place a été construite par des hommes, pour des hommes. C’est pour cela que j’ai trouvé intéressant d’inviter une artiste, Alicja Kwade, qui travaille sur des problématiques climatiques. Ses espèces de météorites ont placé le public dans une position de domination comme celle du monument de Napoléon qui nous rappelle notre responsabilité écologique.

« Ce qui m’a toujours le plus intéressé, c’est d’être proche de la vie et la vie proche de l’art »

À l’intérieur du centre culturel Lago/Algo.
À l’intérieur du centre culturel Lago/Algo. DR

Nous sommes co-responsables de ce qui se passe dans le monde et non pas l’inverse. Elle présente le fait que le monde tourne en rond. Alicja nous remet devant notre connaissance de ce qui nous est inconnu, notre connaissance de l’autre et de notre connaissance du monde. Ces différentes sphères rappellent que nous sommes tous des points dans un univers mais que nous avons du mal à nous connecter les uns avec les autres. Je trouve que le fait de l’avoir invité dans un lieu comme celui-là était très significatif. Il y avait ici une obsession de géologie, une importance des pierres, de leur signification et leur pouvoir magnétique qui était important à cet endroit. Cette exposition était l’occasion d’amener de l’humanité dans un monde déshumanisé. On ne fait que traverser cette place, mais on s’y arrête rarement. Le travail de cette artiste est un peu un moment de pause dans un lieu minéral pensé pour être traversé le plus vite possible.

The Good Life : Comment imaginez-vous l’art de demain ?

Jérôme Sans : La future génération est en train de vivre une mutation absolue des modes de créations. L’espace digital est non pas une rupture mais une évidence du présent. Même si aujourd’hui, beaucoup de personnes y sont réticentes, la culture digitale me semble être une révolution qui va apporter énormément de choses, non seulement dans le mode de faire mais aussi dans le mode de gestion et de traçabilité. Ce que propose le NFT est une révolution considérable. Encore une fois, beaucoup sont réfractaires et n’arrivent pas à se projeter dans cet univers. Au commencement de la vidéo  dans le monde de l’art beaucoup était dubitatif quant à la possibilité d’exposer et de collectionner ce type d’oeuvre.

Aujourd’hui, c’est un peu la même question qui se pose dans cet espace numérique. Ça me paraîtrait être un paradoxe que de nouveaux espaces ne soient pas pratiqués dans le monde de l’art. Dans le NFT, ce qui est intéressant, c’est que toutes les œuvres sont traçables et non duplicables. Par ailleurs, ce qui est formidable, c’est que cela ajoute de nouveaux droits pour l’artiste qui n’existaient pas avant. Dans le monde de l’art traditionnel lorsqu’une œuvre est vendue, l’artiste ne touche rien d’autre. Dans le monde numérique, les artistes touchent des droits d’auteur sur leurs œuvres comme dans le milieu de la photographie ou de la littérature par exemple. Je trouve que c’est une révolution considérable et je ne comprends pas comment le monde l’art n’a pas encore embrassé cette possibilité.

Durant quatre mois a eu lieu l’exposition «Shake your body» au sein de la structure culturelle.
Durant quatre mois a eu lieu l’exposition «Shake your body» au sein de la structure culturelle. DR

The Good Life : Quelle sont vos actualités à venir ?

Jérôme Sans : Je travaille sur la création de deux nouveaux lieux  : l’un est aux Etats-Unis dans le Colorado, l’autre en France, en Province, dans un endroit inattendu. Parallèlement à ces projets sur le long terme, j’assure le commissariat de plusieurs expositions, qui verront le jour en 2023 et 2024. La prochaine « The Desert Flood », que j’organise avec Cristobal Riestra, aura lieu à LagoAlgo à Mexico city du 10 février au 10 juillet 2023.

The Good Life : Pouvez vous m’en dire plus sur l’exposition « The Desert Flood » à LagoAlgo ?

Jérôme Sans : Né après la crise sanitaire du Covid 19, LagoAlgo est un espace résultant d’une période de questionnement radicale sur nos modes de vie et leurs conséquences. Axé sur les enjeux socio-écologiques actuels il fait de l’art le guide vers de nouveaux modèles en harmonie avec la nature. Pour son troisième chapitre, LagoAlgo présente Desert Flood, une proposition qui nous confronte à la réalité d’un monde devenu paradoxal. Autour des enjeux écologiques contemporains et notamment de l’eau, l’exposition Desert Flood réunit les artistes Claudia Comte (1983, Suisse), Gabriel Rico (1980, Mexique) et SUPERFLEX (collectif fondé en 1993, Danemark), non pas comme un énième « wake up call », mais dans la perspective d’une pensée écologique en acte.  


> Jeromesans.com


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