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Vins et spiritueux

Pourquoi ce n’est plus la honte de boire du vin d’Alsace

Vins et spiritueux

Avant, le vin d'Alsace avait mauvaise presse. Mais ça, c'était avant - bien avant - quand les viticulteurs préféraient la quantité à la qualité. Heureusement, une nouvelle génération d'artisans du vin émerge, et oeuvre à rendre les cépages alsaciens enfin cool.

Petit blanc de copains – que l’on appelle par son cépage tant l’appellation barbare fait fourcher la langue -, le vin d’Alsace souffre incontestablement d’un déficit d’image. Malgré un vignoble de 15,000 hectares s’étirant sur près de 170 kilomètres, accoté au Massif des Vosges et parcourant les départements du Haut-Rhin et Bas-Rhin, ses vallons verdoyants et ses délicieux villages bigarrés, la région voit pourtant sa production viticole sous-cotée par les amateurs, considérée comme une terre de couperosés, de nectars rince-gencives ou trop sucrés – héritage des vins germaniques où la qualité se mesurait proportionnellement à la sucrosité.

L’Alsace compte 51 grands crus, mais le public a une mauvaise image de ses nectars… Crédit photo : Wikimedia Commons
L’Alsace compte 51 grands crus, mais le public a une mauvaise image de ses nectars… Crédit photo : Wikimedia Commons

Pour toutes ces raisons, il a longtemps été très mal vu d’apporter du vin alsacien à un dîner entre gens de goût – alors même que l’Alsace est depuis longtemps le premier producteur de vins blancs en France, selon la Revue du vin de France. D’autant que certains cavistes le trouvent difficile à vendre –  des vins trop nombreux, peu connus des consommateurs (si ce n’est quelques muscats sucrailleux pour faire glisser le foie gras à Noël), et produits sur des terroirs morcelés, aux disparités géologiques marquées et aux appellations difficilement prononçables – et ont du mal à le proposer naturellement aux amateurs mal avisés, quand pour les autres, les clichés ont la vie dure.

Un lourd héritage

On aimerait pouvoir dire que la réputation des vins alsaciens était jusqu’à présent une terrible erreur de jugement collective, mais l’histoire a d’autres explications à nous donner. À l’issue de la guerre franco-prussienne de 1870, l’Alsace est cédée aux Allemands. Ces derniers, peu soucieux de la qualité des vins, encouragent les viticulteurs à augmenter les rendements et à favoriser les vins dilués, avant d’augmenter le taux de sucre résiduel à un niveau  qui ferait bondir aujourd’hui le plus désinvolte des cardiologues.

Deux guerres mondiales achèvent ensuite de laisser « libre champ aux négociants en favorisant l’éclosion de caves coopératives, au sein desquelles les vignerons s’allient pour vendre au plus vite leurs raisins », analyse Justin Schoech, chef de culture du Domaine éponyme. A la qualité, on préfère la production de masse, l’export et l’écoulement de stocks à vil prix dans ces grandes surfaces nouvelles qui changeront le commerce pour les décennies à venir.

Toutefois, il faudra attendre la classification des AOC en 1962, des appellations de cépages en 1971 et des appellations Alsace Grand Cru en 1975, saluant le travail à contre-courant de vignerons devenus mythiques  (Domaines Deiss, Weinbar, Trimbach…) pour commencer à parler de « vins d’homme et de terroir », souligne Cyril Kocher, sommelier du restaurant étoilé Thierry Schwartz et meilleur sommelier de France 2023 au guide Michelin.

Succès aléatoire

Mais malgré cette reconnaissance et ses 51 grands crus, l’Alsace peine encore à trouver sa place dans le marché du vin. Selon Angélique de Lencquesaing, co-fondatrice du site d’enchères Idealwine.net « les ventes directes de vin alsacien en 2022 sur Idealwine n’ont représenté que 2,2% du volume total et les enchères pas plus de 1,1%, et ceux, malgré le grand potentiel des vins alsaciens et les multiples trésors… Encore ignorés ». Il faut dire que la qualité des nectars serait encore assez aléatoire : « Contrairement à d’autres régions, chaque millésime donne une expression très différente du vin. On ne sait pas à quoi s’attendre. Par exemple, 2021 était un millésime magnifique. 2022 a un toucher de bouche très différent à cause de la pression hydrique. L’effet millésime est plus fort qu’ailleurs » renchérit Cyril Kocher.

Ajouté à cela, un manque de lisibilité quant au taux de sucre (y compris sur des cépages traditionnellement secs comme le Riesling), une politique de prix peu compréhensible (un Grand Cru Schoenenbourg se situe entre 9€ et à 50€) et une absence de front commun due aux fortes disparités d’opinion entre producteurs de masse, vignerons récoltants à l’approche traditionnelle et adeptes du vin naturel, quant à la politique à adopter pour promouvoir le vignoble alsacien. Autant de facteurs expliquant l’attrait encore modeste des crus alsaciens.

Des producteurs qui changent la donne

Certains domaines cités plus haut – et que l’on compte sur les doigts d’une main -, tirent pourtant leur épingle du jeu. À commencer par le mythique Domaine Trimbach dont le riesling Clos Saint-Hune 2017 dépasse les 200€ le flacon sur les sites d’enchères en ligne ; ou le Domaine Weinbach dont le Riesling Grand Cru Schlossberg Cuvée Sainte Catherine aura ourlé les verres de la haute en 2012, à l’occasion du jubilé célébrant les 60 ans de règne d’Elisabeth II. Angélique de Lencquesaing analyse cette importante disparité de prix par « un certain degré d’irrationalité, comme dans plusieurs régions, mais aussi du fait que la focale, peut-être plus qu’ailleurs, soit mise sur certaines micro-parcelles et sur une cuvée particulière, à l’image du Clos Saint-Hune du Domaine Trimbach ou du Grand Cru Rangen de Thann Clos Saint Urbain du Domaine Zind-Humbrecht ».

Trimbach Caisse Verticale Trois Millésimes Riesling Clos Sainte Hune/ Crédit : Vinum
Trimbach Caisse Verticale Trois Millésimes Riesling Clos Sainte Hune
/ Crédit : Vinum

Mais au-delà de ces ovnis en proie au gonflement des prix, l’Alsace voit aussi émerger une nouvelle génération de vignerons décidée à redonner ses lettres de noblesse à l’Alsace, fuyant les coopératives, exploitant des domaines à taille humaine, privilégiant les faibles rendements, une vinification naturelle, des élevages méticuleux et l’application des principes biodynamiques.

Julien Boxler, Patrick Meyer, Vincent Fleith, Gérard puis Bruno Schueller, Antoine Kreydenweiss, Sophie Kumpf et Julien Albertus, Sylvie Spielmann, Catherine Riss, Jean-Marc Dreyer… Autant de vignerons qui se hissent désormais jusqu’aux plus belles tables étoilées de France et d’Europe, préférant le marché français à l’export, revenant à des méthodes traditionnelles, s’alliant au sein d’associations à l’image de l’Association des Vins Libres d’Alsace (AVLA) ou des Jeunes Vignerons d’Alsace et refusant pour certains le cahier des charges des AOC.

Retour de hype

Ces derniers, aidés par un climat continental plutôt favorable – malgré la recrudescence de gels printaniers et la sécheresse dus au dérèglement climatique -, fourmillent d’idées pour valoriser leurs terroirs : complantation, plantation de nouveaux cépages, dégustations, salons, conférences… L’intérêt des experts croît à l’aune de la qualité de leurs vins, qui s’arrachent désormais sur les salons et dont les prix dépassent rarement les 25€.

En somme, un vignoble encore sous-estimé, avec une forte disparité de terroirs et de méthodes de vinification, recelant pléthore de vins d’une grande esthétique, mais demandant un certain niveau de connaissances et de curiosité. Laquelle curiosité vous permettra de vous offrir quelques caisses de Grand Cru pour le prix d’une bouteille de Château Margaux…Une dernière bonne nouvelle ? Depuis le 2 juin 2021, la teneur en sucre doit désormais être inscrite sur les bouteilles de vins blanc alsaciens… Raison de plus pour déguster les yeux fermés, sans affoler ledit cardiologue.

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