Horlogerie
À la tête de son propre restaurant étoilé Baieta (« bisou » en nissart) depuis mars 2018, la jeune cheffe Julia Sedefdjian séduit la capitale avec sa cuisine très identitaire, qui fleure bon le Sud. Retour sur un parcours atypique qui l’a menée à décrocher sa première étoile à l’âge record de 21 ans.
Souvenirs d’enfance aux influences diverses
Chez les Sedefdjian, la nourriture a toujours été une religion. La mère, très bonne cuisinière, assurait la popote à la maison en s’inspirant de ses origines siciliennes et de celles de son mari iranien. On retrouvait sur la table des antipasti mêlés de mezze, avec toujours en trame de fond la cuisine niçoise. C’est que, élevée à Nice, Julia Sedefdjian conserve de son enfance de puissants souvenirs de spécialités locales allaient conditionner déjà, à l’époque, son palais curieux.
Quelques velléités de carrière vétérinaire contrariée par l’attirance de la cuisine, dont elle prend le chemin à 14 ans, et un passage express dans un bistrot niçois plus tard, Julia Sedefdjian est intégrée à la brigade de l’Aphrodite, aux côtés du chef David Faure. L’attirance pour la rigueur des étoilés ne date pas d’hier. « Être dans une grande brigade m’a aidée à me mettre en confiance, j’ai eu le temps d’assimiler les choses à mon rythme et de gravir peu à peu les échelons ». D’abord alternante, elle y fait ses classes pendant trois ans. Trois ans à expérimenter tous les postes, y compris la pâtisserie. « Rester longtemps m’a permis d’évoluer et de prendre de plus en plus de responsabilités ».
La plus jeune cheffe étoilée de France à 21 ans
À 18 ans, là voilà en partance pour Paris, où elle décroche son premier poste en tant que commis aux Fables de la Fontaine, établissement spécialisé dans le poisson. Élevée au bord de l’eau, la sensibilité de la jeune cuisinière pour les produits de la mer lui permet de progresser rapidement au sein de la brigade. Au moment où le chef Anthony David décide de partir, elle est sa seconde. Naturellement, les gérants lui offrent sa place.
À l’époque étoilé, le restaurant décide de changer complètement son offre. De gros travaux sont entrepris en salle, multipliant par trois le nombre de places assises (de 20 à 60), les prix sont divisés par deux, sous garantie d’une cuisine de produits simples pour rendre le restaurant accessible et ouvert à tous les budgets. Un pari risqué pour la jeune cheffe, mais payant : Les Fables ne désemplissent pas et voient leur étoile renouvelée l’année suivante (2016). À seulement 21 ans, Julia Sedefdjian devient la plus jeune cheffe étoilée de France.
Kakugama, kézako ?
En cuisine, on retrouvait ce jour-là Julia aux fourneaux, équipée de drôles d’ustensiles près du passe. À côté du « vitaliseur de Marion », dont elle se sert beaucoup pour ses cuissons vapeur, on aperçoit une sorte de chaudron au design japonais qui fume allègrement, la promesse d’une jolie tambouille.
Cet objet, c’est le Kakugama, dont Julia ne peut plus se passer depuis qu’elle l’a découvert il y a quelques semaines. Savant mélange de matières entre le graphite de carbone et le couvercle en bois de cyprès, qui dégage au contact de la vapeur une mystérieuse odeur de résine, cet ustensile permet à la cheffe d’y réaliser ses jus et sa mise en place en amont, mais aussi ses cuissons de dernière minute avant l’envoi.
Le carbone permet une répartition circulaire de la chaleur sans agresser le produit et les cuissons sont toujours parfaites et uniformes, ce dont témoigne la belle coloration qui se forme à l’issue de la préparation. Résultat : des poissons et des viandes qui gardent toute leur jutosité en ayant développé une caramélisation maîtrisée sur la couche externe. Un jeu de textures et de goûts, donc, obtenu grâce à cet outil surprenant… Avis aux amateurs.
Baieta, gastronomie identitaire
Cette démarche fructueuse, Julia Sedefdjian a voulu la reproduire dans son propre restaurant, qu’elle inaugure avec deux collègues des Fables en mars 2018 : son second de cuisine Sébastien Jean-Joseph et son directeur de salle Gregory Anelka. Objectif : proposer un voyage dans le pays nissard, ponctué d’influences italiennes et levantines. Les rôles se définissent tout naturellement : Gregory se charge de la salle, Julia est en cuisine et se fait seconder ou remplacer par Sébastien quand nécessaire. Grâce à sa formation en pâtisserie – et parce qu’elle aime garder la main sur le fil conducteur du menu -, la cheffe se charge elle-même de la création des desserts, « pas très techniques mais cuisinés ». Plusieurs menus sont proposés, allant d’un trois temps à 55€ le midi à un sept temps à 115€.
Et dans l’assiette ? Dès les amuses bouches, on est plongé dans le vieux Nice avec les « cagades » : on reconnaît entres autres la fameuse pissaladière et l’incontournable socca. Inévitablement, le poisson domine largement le menu ; on retient particulièrement la « Bouillabaïeta », une interprétation très personnelle de la bouillabaisse. La cheffe n’en oublie pas pour autant la cuisine végétale, « parce qu’elle est actuelle et intéressante ». Elle est d’ailleurs mise à l’honneur par le voisin du restaurant, une épicerie fine et traiteur spécialisé dans le pois-chiche où Julia Sedefdjian puis allègrement pour constituer son offre, histoire de « s’inscrire dans l’air du temps » et de rendre hommage à ses origines arméniennes.
Rigueur et ambition
Sous ses airs détendus, avec la bonne entente qui règne au sein de l’équipe et l’ambiance décontractée qui se dégage en salle, Julia est en réalité une cheffe rigoureuse et ambitieuse. Si sa cuisine est d’apparence simple et lisible, elle est aussi technique et précise, héritage de sa formation affûtée dans de belles maisons. L’objectif ? Viser, un de ces jours, la deuxième étoile. « Je ne sais pas si ce restaurant me le permettra, à moins qu’on y injecte un gros investissement financier. Pour l’instant, la priorité est de stabiliser les équipes et de continuer à faire tourner le restaurant qui a souffert de la pandémie ». Avant de, peut-être, prétendre au titre de la plus jeune cheffe doublement étoilée de France.
V.S
Baieta
5 rue de Pontoise, 75005 PARIS
Ouvert du mardi au samedi midi et soir
Menu Pitchoun – 3 temps – 55€ hors boissons (du mardi au vendredi midi)
Menu Maïoun – 4 temps – 85€ hors boissons
Menu Signature – 4 temps – 100€ hors boissons
Menu Bella Nissa – 7 temps – 115€ hors boissons
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