The Good Culture
Vins et spiritueux
Sur cette terre sauvage aux confins de l’Amérique australe, des viticulteurs patagons ont su développer, en seulement trente ans, le potentiel de ces grappes noires millénaires. Récit de la (re)découverte d’un cépage historiquement français.
Une longue route droite sectionne les plaines arides et inhospitalières de la province de Neuquén, aux portes de la Patagonie. Dans ce coin de désert, aussi étranger à la cordillère des Andes qu’à l’océan Atlantique, seuls les chevalets de pompage et la fumée qui émane des puits de pétrole indiquent la présence humaine.
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Les réserves du gisement de Vaca Muerta constituent déjà une importante manne financière pour Neuquén. Elles augurent, selon les plus optimistes, une pluie de pétrodollars pour l’Argentine. En s’éloignant de la capitale provinciale, vers l’ouest, par la route numéro 7, une végétation dense finit par apparaître, subitement.
Comme une oasis, la vie naît au contact du fleuve Neuquén, dont la vallée abrite les principales productions de pommes rouges du pays. Ces dernières années, ces terres ont aussi vu grandir l’exploitation d’un or noir d’une tout autre nature. Les très bons résultats obtenus ici avec le pinot noir ont attiré l’attention d’une partie du monde vitivinicole national.
Depuis son implantation, au début des années 90, ce prestigieux cépage a pris racine dans les environs de San Patricio del Chañar. Près de ce village de 5000 habitants, une nouvelle route du vin commence à se dessiner, autour des quatre principaux producteurs locaux: Bodega del Fin del Mundo, Malma, Familia Schroeder et Secreto Patagónico.
Le meilleur pinot du monde ?
Depuis l’intimité de leur cave, les membres de la famille Groppo célèbrent ainsi les deux décennies d’existence de leur vignoble : Secreto Patagónico. « Quand nous nous sommes installés ici, nous avons planté plusieurs cépages classiques, et c’est le pinot noir, très habitué aux climats froids, qui a donné les meilleurs résultats », se remémore Carlos Groppo, à l’origine de ce projet avec sa femme Cristina.
Cet ancien haut cadre de l’industrie pétrolière signale qu’à l’époque les crédits de la province ont accompagné la famille dans le lancement de cette affaire. Aujourd’hui tournée vers l’exportation à hauteur de 70% de sa production, l’entreprise familiale se félicite de vendre davantage de pinot noir que de malbec, le cépage roi de ce pays de l’hémisphère Sud.
« Notre domaine a depuis ses débuts visé le haut de gamme, renchérit Sofía Groppo, qui a repris le flambeau de ses parents, aux côtés de son frère Tomás. Notre objectif est de continuer à nous différencier du reste des régions argentines, en associant le pinot à la Patagonie. »
Les bienfaits de l’hiver de Patagonie
À une quinzaine de kilomètres de là, Julio Viola accueille ses visiteurs devant les imposantes cuves en Inox de Malma, le domaine familial. Les Viola sont les pionniers de San Patricio, le père de Julio ayant participé à l’élaboration du système d’irrigation aujourd’hui salué par l’ensemble des vignerons. « Cette année, notre principal adversaire a été le gel », confie Julio, satisfait d’avoir pu sauver la majorité de sa production.
Motif de préoccupation quand elle s’avère extrême, la fraîcheur des températures pourrait vite devenir un atout pour les terroirs du sud de l’Argentine dans le contexte du réchauffement climatique. Neuquén, situé dans la partie nord de la Patagonie, affiche des conditions prometteuses.
Plus au sud, notamment dans la province de Chubut, des projets avant-gardistes expérimentent d’ores et déjà la culture dans des climats plus froids. Une tendance qui s’accentuera sans doute dans les années à venir. La voie est libre pour le pinot patagon. La fraîcheur des hivers australs sied à merveille à ce noble et délicat cépage.
Du fait d’un fort ensoleillement et des vents puissants qui soufflent ici, la peau du pinot local est plus épaisse, ce qui a pour conséquence de donner un vin plus coloré. Tout sauf un handicap pour ce raisin austral qui, sans complexe, se démarque de ses lointains cousins de Bourgogne et de Champagne, d’Oregon et de Californie.
Loin derrière les mastodontes français et états-unien, l’Argentine présente une production de pinot aussi petite qu’ambitieuse. Preuve que la Patagonie est une terre de pinot, la cuvée Treinta y Dos (2018), du domaine Chacra, a été élue meilleur vin du monde en 2020 par le critique James Suckling.
Une centaine de kilomètres seulement sépare San Patricio (Neuquén) de Mainqué (Río Negro), la terre d’origine de la Rolls-Royce du pinot national, fruit de parcelles plantées en 1932.
En plus d’être un bon argument marketing, la Patagonie s’inscrit dans la dynamique de diversification qui bouleverse le pays. L’Argentine ne demande qu’à s’offrir aux changements, aux innovations et aux modes. Le malbec n’est plus tout seul dans ce pays du bout du monde.
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