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Vins glouglous : la vérité derrière la nouvelle lubie des cavistes

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On connaissait les grands crus, les Bordeaux, les Bourgogne, les Côtes du Rhône... Mais depuis quelques temps, les cavistes tentent de nous vendre des vins glouglous, garantis sans prise de tête. Et si c'était un moyen de nous refourguer de la piquette ?

Le vins de « glouglou » dépassent rarement les 12 degrés d’alcool, délicieux sur des grillades, un plateau de fromages ou charcuteries.
Le vins de « glouglou » dépassent rarement les 12 degrés d’alcool, délicieux sur des grillades, un plateau de fromages ou charcuteries. Christian Bowen

Vin de de soif, d’apéro, pt’it canon, vin glouglou… Votre meilleur caviste bellevillois, casquette Patagonia vissée sur la tête, moustache polie, doudoune sans manche et Birkenstock ourlant ses chaussettes bariolées, vous aura sans doute vanté les mérites de ses dernières trouvailles en matière de vins « faciles à boire », qui vous permettront de traverser les prémices printanières sans trop tituber. A mesure que les jours s’allongent, les amateurs de pifs voudraient des liquides plus digestes, croquants, juteux, à faible degré alcoolique et haut potentiel de buvabilité. Et les cavistes de nous faire l’apologie de vins souples, légers, moins extraits, pour rosir de plaisir en terrasse sans éprouver la moindre culpabilité à se poivrer le moulin.

Que valent-ils ? Suffit-il d’abréger les macérations pour obtenir un bon vin de printemps ? Sont-ils adaptés à tous les terroirs, toutes les saisons ? Ont-ils un potentiel de garde ? Peut-on les proposer à beau-papa sans risquer de devoir rembourser sa dot ? Tentative de décryptage.

Les vins de « glouglou » sont des vins extraits, jeunes, de rouge en presse directe, de rosée de saignée, parfois issus de macération carbonique.
Les vins de « glouglou » sont des vins extraits, jeunes, de rouge en presse directe, de rosée de saignée, parfois issus de macération carbonique. Justin Aikin

« Des vins de copains à boire à toute heure », dixit votre pote du Canal Saint-Martin

 « Glouglou », peut-être tiré de « glouton » ou « glougloutement »… Qui sait ? Si le terme en fera glou(glou)sser certains, force est de constater qu’aux premières insolations, il revient en fanfare, aussi bien en France qu’au-delà des frontières chez une poignée d’aficionados du vin naturel, et sous des formes multiples – « goulglou, glougoul, gougoul »… Sa diction n’étant pas aisée pour les allochtones.

Et s’il n y’a pas de définition exacte en français vernaculaire, on parlera de vins peu extraits, jeunes, de rouges en presse directe, de rosée de saignée, parfois issus de macération carbonique – technique consistant à mettre en cuve des raisins entiers, non foulés et non égrappés et à les saturer de CO2, afin d’obtenir des vins légers mais à grande palette aromatique. Des vins aux élevages courts, rarement en barriques, plutôt en cuve inox, fibre ou béton.

Ces jus dépassent rarement les 12 degrés d’alcool, délicieux sur des grillades, un plateau de fromages ou charcuteries, quelques huîtres pas trop iodées ou à l’apéro dans leur plus sain appareil – on assimile souvent ce type de vins aux vins naturels, à tort ou à raison. Bref, un sacré fourre-tout, plutôt adapté à certains cépages rouges (gamay, cinsault, parfois grenache) qu’à un chenin, chardonnay ou un viognier, et des nectars qui s’exprimeront mieux sur des terroirs sudistes que sur les vignobles froids.

Mieux vaut s’abstenir de rapporter un « blouge » à un dîner de famille, ces vins issus d’un mélange de blanc et de rouge.
Mieux vaut s’abstenir de rapporter un « blouge » à un dîner de famille, ces vins issus d’un mélange de blanc et de rouge. Anna Bratiychuk

On retiendra notamment les cuvées Minimums de Nicolas Carmarans, Une île de Nicolas Renaud, Fai Virar de Laurent Fell, Les Traverses d’Éric Pfifferling ou, la plus confidentielle Damas de Maud Adnot, voire quelques cuvées de Daniel Sage. Des nectars gourmands à la précision d’orfèvre, d’une grande finesse, ciselés mais à l’aromatique affirmée, que l’on dégustera tant sur une viande blanche que sur un poisson en sauce, sur une bourride d’anguille que sur un bo bun, et qui s’arrachent désormais sur les plus belles tables étoilées de France et de Navarre.

« De vulgaires jus de raisin », dixit beau-papa

 « Y’a pas de vin là-dedans, c’est du jus de chaussette ! ». Rares sont ceux n’ayant pas entendu cette phrase prononcée par leurs aïeux, habitués des primeurs bordelais tanniques, souvent travestis par le bois neuf et tutoyant parfois les 14,5° (selon les vignerons, plutôt 15,5° selon la Police !).

De la même manière qu’il ne faut pas brusquer son oncle lozérien buveur d’étiquettes – et plus fidèle aux idéaux chiraquiens qu’aux dadas d’Europe Écologie Les Verts –, avec des vins naturels dits « funky », il est recommandé de bien choisir sa bouteille pour faire adopter son vin de copains, ou glouglou. Mieux vaut bien choisir sa sémantique aussi, et éviter certains termes connotés à l’image de « vins sans chichi » ou « pt’it jus » – ledit oncle comprendra « vin sans entrain ni tannin, trop proche du jus de raisin pour être vrai. »

Il ne faut pas se risquer de faire goûter des vins « glouglous » qui brouillent trop les pistes, et pour lesquels on perd la notion de cépage ou même de terroir à mesure que la bouteille se vide.
Il ne faut pas se risquer de faire goûter des vins « glouglous » qui brouillent trop les pistes, et pour lesquels on perd la notion de cépage ou même de terroir à mesure que la bouteille se vide. Zan / Unsplash

Par ailleurs, mieux vaut s’abstenir de rapporter un « blouge » à un dîner de famille, ces vins issus d’un mélange de blanc et de rouge, que certains vignerons assez aventureux pour vous faire affronter la barre au crâne du lendemain, se risquent à produire, afin de détendre des jus trop serrés, trop alcooleux, ou manquant d’acidité. Des vins estampillés « Vin de France » (seule l’appellation Champagne permet aujourd’hui de mêler cépage blanc et rouge), souvent pertinents sur un accord avec un plat, mais aussi vite saturants, surtout si les cépages blancs utilisés démontrent une aromatique trop prononcée.

Enfin, ne pas se risquer à faire goûter des vins « glouglous » qui brouillent trop les pistes, et pour lesquels on perd la notion de cépage ou même de terroir à mesure que la bouteille se vide. À ce titre, les vins apuliens de Valentina Passalacqua issus des cépages primitivo ou negroamaro – des ovnis ni bons ni mauvais qui prolifèrent sur les tables bobos pas très averties –, en sont un bon exemple. À l’aveugle, on en faisait goûter récemment quelques gouttes au chef sommelier d’un triplement étoilé parisien qui a pour toute réponse, refusé d’être cité dans l’article.

Des vins servis en litron, que l’éminence, le sourire en coin, localisera dans le sud de Perpignan, dans la Nappa Valley, le Chili ou la Catalogne ! En substance, des vins tout-terroir et finalement, sans véritable identité. Donc, il sera plus expédient d’arriver à pas feutrés et de faire découvrir des valeurs sûres, naturellement bonnes et vinifiées par des vignerons précis. Afin de ne pas brusquer l’oncle, et de le conforter dans l’idée que son Bordeaux extrait et trafiqué est le seul vin qui vaille.

Nombreux sont les domaines à arracher leurs pieds de vignes produisant des vins généreux et alcooleux, pour replanter des cépages plus adaptés aux nouvelles conditions météo.
Nombreux sont les domaines à arracher leurs pieds de vignes produisant des vins généreux et alcooleux, pour replanter des cépages plus adaptés aux nouvelles conditions météo. Remo Vilkko

En somme, des vins qui valent le glou ?

Oui ! Mais quand, où, comment, et surtout par qui. Certains vignerons, à l’image d’Éric Pfifferling cité plus haut, produisent des vins plus souples depuis des décennies, qui plus est sur des terroirs cultivant l’art du vin charpenté. Des vins qui ne s’ancrent aucunement dans un effet de mode et qui développeront des notes de pinot noir après quelques années de garde, à l’instar du Tavel Vintage. Là, vins digestes ne riment pas avec piquette.

D’autres surfent sur l’évolution des générations, voire profitent des excès du Bordeaux-bashing – en gros, la détestation a priori des vins bordelais pour leur excès de bois et d’alcool –, en prenant le contre-pied des vins opulents pour élaborer des vins « buvables à toute heure ». Pas forcément une mauvaise idée eu égard au réchauffement climatique. D’ailleurs, nombreux sont les domaines à arracher leurs pieds de vignes produisant des vins généreux et alcooleux, pour replanter des cépages plus adaptés aux nouvelles conditions météo, à commencer par le mythique Domaine Trevallon, qui troque actuellement ses syrahs pour planter du cinsault – et produire des vins plus aériens, sans renier son identité.

Enfin, les palais eux aussi évoluent. La gastronomie s’allège, les sauces de maître coq deviennent accessoires, les viandes laissent place aux poissons quand on ne les utilise pas comme condiments au profit des légumes. Ainsi, une cassolette de praires ou un gargouillou de légumes supportera mieux un rouge élancé et souple qu’un malbec trop extrait ou une syrah rhodanienne.

Et tant mieux si ces vins moins extrais draguent de nouveaux consommateurs, en quête de fraîcheur et de lendemains qui chantent. Et tant pis pour beau-papa s’il ne franchit pas le pas.

L.P.


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