The Good Business
Tombé très jeune dans le business de la musique et du divertissement, le fondateur du club Koko et de la chaîne de télévision Cinémoi a misé sur l’école buissonnière pour monter un empire ou deux. Retour sur le parcours d’un autodidacte aux doigts d’or.
Lorsqu’il achète son premier bar, avec des amis, au cœur de Londres, Olly Bengough a 23 ans. Il rentre alors d’un séjour de six mois à Dublin, où il s’est formé au business de la restauration dans un pub.
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« J’ai dû apprendre très vite, les Irlandais ne plaisantent pas avec la bière ! » s’amuse-t-il. Il quitte l’université avant d’obtenir un diplôme, persuadé que la vie professionnelle a plus à offrir que des cours théoriques.
Son parcours
- 1975 : naissance à Londres.
- 1998-2000 : achat, rénovation et ouverture du pub Lunasa, dans le quartier de King’s Road, à Londres.
- 2001 : fondation de la société Mint Entertainment.
- 2003-2005 : création du festival de musique Lovebox, à Clapham et rachat du Camden Palace, rebaptisé Koko.
- 2009 : Cinémoi, première chaîne de télévision consacrée au cinéma indépendant, est diffusée sur Sky, en Angleterre.
- 2012 : Cinémoi est diffusée sur DirecTV, aux États‑Unis, et touche 20 millions de foyers.
- 2014 : vente de Cinémoi au groupe américain Multi Vision Media (MVM).
- 2019-2022 : rénovation du Camden Theatre et ouverture de Koko.
« Le succès est un mélange d’intuition, de chance, d’improvisation et de beaucoup d’erreurs à corriger… On avançait à tâtons », explique Olly Bengough. La même méthode est appliquée en 2003, lorsqu’il décide de se lancer dans l’aventure du festival de musique Lovebox avec le groupe de musique électro Groove Armada.
En moins de trois jours, 10.000 billets sont vendus, la réputation du festival dépassant rapidement les limites du quartier de Clapham, au sud de la Tamise. L’équipe doit apprendre à tout faire, de la programmation musicale à l’obtention des permis de construire, en passant par le parrainage des événements. Le festival décolle, mais l’agitateur-né est insatiable.
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La musique dans la peau
Lorsqu’il apprend que le Camden Palace est à vendre, Olly Bengough rachète le club et se lance dans une rénovation massive du théâtre décrépit.
La BBC y avait eu, un temps, ses studios, Charlie Chaplin était passé par là, et Madonna avait enflammé les lieux avec son nouveau single, Holiday, en 1983… Alors qu’importe l’état pitoyable des murs, le nouveau propriétaire mise tout sur la renaissance de ce lieu mythique.
La magie opère dès l’ouverture, en 2005, mais Olly Bengough travaille déjà dans l’ombre pour équiper la salle de concert de technologies sonores dernier cri.
Il veut aussi ouvrir des espaces supplémentaires pour y programmer des groupes de jazz et soutenir la jeune création, et projette de créer un club de membres comprenant un restaurant et un lieu pour accueillir une programmation culturelle.
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Sur les plans du dernier étage, il croque un studio d’enregistrement, duquel il pourrait diffuser des émissions de radio en direct dans le monde entier. Le travail est de longue haleine et demande plusieurs années de préparation.
La boutique de pianos et le pub accolés au théâtre seront d’ailleurs engloutis pour étendre le site sur 4 650 m2 . Un terrible incendie dans le dôme menace un temps e projet, qui aboutit finalement en 2022 et aura coûté la bagatelle de 70 millions de livres sterling.
Olly Bengough est un rêveur fou, mais pragmatique. S’il supervise d’un œil expert le moindre détail de son business, il admet s’entourer des meilleurs directeurs artistiques, et faire de ses rêves une réalité.
À Koko, le studio d’architectes Archer Humphryes et les architectes d’intérieur Pirajean Lees sont enrôlés pour venir à bout du projet titanesque.
KOKO
- 1900 : inauguration du Camden Palace par l’architecte William George Robert (W.G.R.) Sprague.
- 1945-1972 : la BBC utilise les lieux comme studio radio, d’où elle diffuse The Goon Show ou le Monty Python’s Flying Circus.
- 1977-1982 : le club punk The Music Machine programme, notamment, Iron Maiden et The Clash. Bon Scott (AC/DC) y donne son dernier concert, avant de mourir, prétendument d’un coma éthylique.
- 1982-2004 : concerts de Prince et des Rolling Stones à Camden Palace.
- 2004-2005 : Olly Bengough achète et rénove le club, qui rouvre sous le nom Koko.
- 2005 : Coldplay y présente l’album X&Y, tandis que Madonna y lance Confessions on a Dance Floor, diffusé en direct sur le site d’AOL.
- 2006-2019 : concerts d’Amy Winehouse, Kanye West, Bruno Mars, Ed Sheeran…
- 2019 : fermeture de Koko pour travaux. Un immense incendie dans le dôme menace le projet.
- 2022 : réouverture du club avec le concert d’Arcade Fire, diffusé en direct sur Amazon. Inauguration du club de membres House of Koko.
- Coût : 70 M £ pour une surface totale de 4 650 m2 .
> Koko, 1A Camden High Street, Londres. Koko.co.uk
Dans les salons et les sublimes pods privés boisés, les tissus de luxe Dedar et Lelièvre tapissent des banquettes fabriquées sur mesure, au-dessus desquelles trônent des œuvres d’art signées Mat Collishaw, Rachel Whiteread et Conrad Shawcross.
Dans les couloirs, les murs sont couverts des affiches des films de Truffaut et de différentes références cinématographiques… l’autre passion d’Olly Bengough. Tout un film Pour comprendre son succès dans la musique, il faut se tourner vers le cinéma.
Olly Bengough grandit nourri de films classiques et indépendants dénichés chez le loueur du quartier. Jambon, jambon (Jamón, jamón), de Bigas Luna, Voyage au bout de l’enfer (The Deer Hunter), de Michael Cimino, Oldboy, de Park Chan-wook, la filmographie de Scorsese et les palmés du Festival de Cannes forment l’œil et l’esprit du jeune adulte curieux, que le cinéma transforme en entrepreneur créatif.
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Et puis, un jour, il constate avec effroi que si Hollywood a su créer une profusion de chaînes à son image (HBO, Showtime, AMC), le cinéma indépendant ne possède pas de porte-voix cathodique grand public. Il y avait bien Canal + en France, mais rien pour cet anglophone en mal de sous-titres.
Fidèle à son business-modèle, l’autodidacte décide de remédier lui-même au problème avec une passion aussi forte que son ignorance du marché de l’audiovisuel.
En 2008, Olly Bengough enrole l’ancien responsable de la programmation du Ciné Lumière de l’Institut français de Londres, Julien Planté, avec qui il débarque à Paris pour démarcher les groupes Pathé, Gaumont et MK2 avec une idée brillante.
Il propose d’acheter des licences de films à bas prix, sans clause de non-concurrence (à part peut-être la BBC4, personne en Angleterre ne voulait de ces titres de toute façon !), en vue de diffuser un catalogue qu’il aura pris soin de faire sous-titrer par ses équipes.
Le duo repart avec les copies de Jules et Jim, La Haine, Irréversible et de nombreux opus de François Truffaut et de Bertrand Tavernier. Direction le groupe Sky, à Londres, qui a le monopole de diffusion et se doit, à l’époque, de libérer gratuitement des canaux aux chaînes indépendantes.
Cinémoi démarre sur le canal 839, en bout de mosaïque, puis bascule rapidement aux côtés de grandes chaînes de cinéma, offrant, notamment, des interviews de personnalités comme Catherine Deneuve ou Michael Caine.
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Gesamtkunstwerk, l’œuvre complète
Le mot allemand Gesamtkunstwerk signifie « œuvre totale ». Une approche artistique prônée par le compositeur Richard Wagner, qui encourage la perméabilité entre les disciplines pour offrir une expérience immersive… et qui résume peut-être le mieux le sens des affaires d’Olly Bengough : créer un melting-pot où tout se mélange, donc, et s’enrichit.
Les bandes-annonces de Cinémoi étaient montées par l’entrepreneur et ses équipes sur des musiques des collaborateurs de Koko. La saison de thrillers consacrée à Belmondo a, par exemple, été montée sur le titre Paper Plane, de M.I.A., une rappeuse aux origines sri-lankaises.
Koko collabore depuis peu avec Daata, un incubateur d’art numérique et de jetons non fongibles (NFT), et travaille sur une programmation d’événements consacrés à l’art, au design et au cinéma.
Au départ, l’argent de Koko a servi à financer Cinémoi, dont la vente, en 2014, a servi à subventionner la rénovation de Koko. Gesamtkunstwerk… et la boucle est bouclée.
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