Voyage
Ravagée par la crise industrielle des années 90, la troisième ville de Suède a su rebondir. Enfourchant le cheval du développement durable, elle a fait pousser des écoquartiers, hissé les jardins sur les toits et attiré les cracks du jeu vidéo. Visite guidée avec The Good Life.
En front de mer, une barre monumentale protège des vents violents un cœur de quartier où l’on découvre des maisons organisées autour de ravissants plans d’eau, d’œuvres d’art et de lieux de vie. Une friche vient encore d’être transformée en un élégant marché couvert dédié à la street food, la Saluhall. « Notre ambition est d’arriver, en 2030, à zéro émission carbone » confie Kerstin Akerwall, directrice du département environnement pour la ville de Malmö.
« Le quartier de Västra Hamnen est déjà autonome, alimenté en électricité par une éolienne off-shore de 2 MW et par 1 400 m2 de panneaux solaires, et chauffé grâce à la géothermie. Les rues y sont principalement piétonnières, le réseau cyclable y est très développé (500 km de pistes dans toute la ville ! ) et un pool de voitures électriques a été mis à la disposition des résidents pour leurs déplacements, gratuit pendant cinq ans ! » Quant aux déchets organiques, ils sont récupérés par un système pneumatique et transformés en biogaz pour alimenter les 200 bus de la ville. « Ce quartier est notre laboratoire », conclut-elle. La seule ambition qui semble avoir échoué est celle d’en faire aussi un laboratoire social : plutôt plébiscités par de jeunes cadres travaillant dans les nouvelles technologies, des cabinets d’architectes et des créatifs, les logements, à Bo01, coûtent en moyenne deux fois plus cher qu’ailleurs en ville. La mixité sociale recherchée y est quasi inexistante.
C’est tout le contraire dans le second éco- quartier, Augustenborg, où la logique de développement a été totalement différente. Cette cité dortoir, rapidement édifiée dans les années 70 pour accueillir des travailleurs étrangers, avait été peu à peu délaissée par les Suédois lorsque les populations de réfugiés des Balkans, d’Europe de l’Est et d’Afrique commencèrent à y être majoritaires. En 1998, de violentes inondations obligeant les autorités de Malmö à repenser la structure du quartier, on osa un projet communautaire et autogéré. « Le quartier malfamé s’est transformé en cité idéale, raconte John Block, directeur de l’institut scandinave des toits végétalisés, installé en bordure de l’îlot réhabilité.
Tout le monde a pu mettre la main à la pâte, et il est devenu plus facile d’être civique qu’incivique pour les 3 000 personnes qui vivent là. On a planté des potagers sur les balcons, installé un hôtel à lapins pour occuper les enfants et même donné 13 poubelles différentes pour trier les déchets», plaisante celui qui a planté 9500 m2 de jardins sur les toits de locaux municipaux. A la fois poumon vert et centre de recherche, le plus grand « green roof » du monde, devenu célèbre pour ses expérimentations, accueille, chaque année, 2 000 chercheurs et scientifiques.
Une nouvelle bouffée d’oxygène pour une ville qui n’en manque pas : trois parcs immenses s’alignent dans un centre-ville en majorité piétonnier, où subsistent quelques beaux bâtiments anciens. Mais les 150 000 nuitées enregistrées par les hôtels de la ville concernent autant les touristes curieux de découvrir cette ville verte que les entrepreneurs attirés par l’énergie d’une cité volontariste où s’installer coûte 20% moins cher qu’à Berlin et où fourmillent start-up, business angels et incubateurs. « Il est toujours intéressant pour un architecte d’être impliqué dans une démarche politique », apprécie Alexandra Hagen, directrice de l’antenne locale de l’énorme cabinet suédois White Arkitekter, bien entendu installé à Västra Hamnen. Ses équipes travaillent en ce moment sur l’hôpital universitaire que la municipalité a choisi d’étendre tout en le maintenant en cœur de Malmö. « C’est une décision courageuse, mais aussi un moyen de cultiver la proximité, pour une ville qui essaie de changer son image et d’intégrer intelligemment l’immigration, qui ose avoir de grandes ambitions », confie-t-elle. C’est le sentiment que l’on ressent lorsqu’on se promène dans ce centre paisible, survolé par les oiseaux de mer, qui a gardé des allures de province. Partout, on sent frémir idées et initiatives. Malmö, une ville pour les ambitieux ? Ce n’est pas le footballeur Zlatan Ibrahimovic qui dira le contraire. Né à Bergmästare, l’un des pires quartiers à problèmes de la ville, il est revenu à Malmö pour s’installer dans une villa située dans l’une des résidences huppées du bord de mer : pour lui l’ascenseur social a fonctionné et il est l’un des premiers à vanter sa terre natale, en passe de réussir son défi postindustriel.