The Good Business
Il provoque, invective, dérange. Spécialiste des biotechnologies, expert en technomédecine, essayiste, le président de DNAVision, société de séquençage d’ADN, exhorte l’humanité à mener une guerre urgente et sans merci à une intelligence artificielle dont elle sous-estime la superpuissance à venir.
TGL : La montée en puissance de l’IA peut donc conduire au chaos social ?
L. A. : Nous sommes dans une impasse politique, et nous allons vers un cauchemar politique si nous ne modernisons pas très vite nos institutions. Car dans une économie où l’IA est très développée, nous n’avons plus besoin de gens à capacités cognitives médiocres pour accomplir des tâches basiques. Il est donc vital de former autrement, par de nouvelles méthodes pédagogiques, les cerveaux les moins doués, afin qu’ils puissent tirer leur épingle du jeu dans le monde à venir. Il s’agit là d’un enjeu majeur qui nécessite une réflexion et une recherche internationales qui dépassent les incantations. L’école est une très belle technologie. Elle marche très bien sur les QI élevés, moyennement bien sur les QI moyens et ne fonctionne pas bien du tout sur les QI inférieurs à 90. Aucune étude au monde ne démontre que les détenteurs d’un QI médiocre puissent obtenir, par l’école, telle qu’elle existe aujourd’hui, une augmentation significative de leurs capacités cognitives.
TGL : Le QI deviendrait donc l’unique instrument de mesure de l’intelligence humaine ? Il ne permet cependant pas de mesurer la créativité et le talent, deux qualités à fort potentiel sous le règne hégémonique de l’IA…
L. A. : Imagine-t-on le suivi d’un cancer du poumon sans scanner ou celui d’un diabète sans mesure de la glycémie ? Non ! Il faut bien mesurer les capacités intellectuelles pour piloter la révolution de l’IA. Le tabou du QI ne résistera pas longtemps face au surgissement de l’IA. Un fort QI est en effet nettement corrélé à l’adaptabilité. Plus l’IA va se diffuser, plus nous aurons besoin de QI élevés. Il serait même pertinent, dans ces conditions, d’affiner le QI pour concentrer l’évaluation des capacités intellectuelles sur une complémentarité entre l’IA et le cerveau humain.
TGL : Envisagez-vous que la société aille plus loin que cette stratégie purement éducative ?
L. A. : La solution éducative risque fort de se montrer insuffisante, et certaines solutions technologiques permettraient de remédier aux écarts de capacités intellectuelles qui conduisent à une aristocratie de l’intelligence qui manipule des hordes de naufragés intellectuels.
TGL : Qu’entendez‑vous par « solutions technologiques » ?
L. A. : Il existe deux grandes technologies :
1) Les technologies génétiques de sélection embryonnaire, qui consistent en une pratique inversée de l’actuelle sélection de la trisomie 21 : au lieu de supprimer les mauvais embryons, on sélectionne les « bons ».
2) Les technologies du type Neuralink, la société d’Elon Musk, qui consistent à implanter des microprocesseurs dans le cerveau.
Pour le versant génétique, je suis personnellement troublé par l’élimination des bébés trisomiques, par exemple. La sélection en éprouvette d’un embryon me choque moins. En définitive, je préfère un scénario à la Bienvenue à Gattaca [film de science-fiction qui décrit un monde parfait où les individus ont tous un patrimoine génétique parfait, NDLR] plutôt que d’envisager le cerveau de mes futurs petits-enfants équipé de microprocesseurs ! La fusion de l’électronique et de notre corps induirait la disparition programmée de ce dernier. Si on commence à mettre des microprocesseurs dans le cerveau, on ne s’arrêtera plus ! On abandonnera alors notre corps biologique pour devenir des cyborgs. C’est pourquoi la sélection embryonnaire me semble plus humaine que cette disparition programmée de notre corps biologique, idée qui me révulse. Si on se dépêche, on peut encore échapper au scénario « cyborg ». Cependant, il est nécessaire d’y réfléchir vite, car le scénario de maintien du corps humain via la sélection et la manipulation des embryons est, de loin, le plus compliqué.
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