The Good Business
Riche d’un parcours très complet dans l’univers de l’outdoor qui l’a conduit à diriger Hunter Boots, la Rolls des bottes en caoutchouc, ou encore Arcteryx, la marque canadienne de textile hyper technique, le Belge Vincent Wauters est depuis deux ans à la tête du groupe Rossignol. Une courte période, dans un moment pour le moins instable, qui lui a pourtant permis d’engager des chantiers de fond, à la fois sur l’identité de cette noble maison française - 115 ans d’histoire -, et dans le domaine du développement durable. Rencontre.
The Good Life. Déjà bientôt deux ans chez Rossignol, avec une prise de fonction dans un moment pas facile pour l’industrie du ski…
Vincent Wauters. J’ai officiellement pris mes fonctions en février 2021, alors que l’activité du ski était à l’arrêt en raison de la pandémie de Covid. Mais je dois admettre que cela a été un moment très intéressant pour réfléchir à comment faire face à la situation, plus encore faire certains choix et agir. D’une certaine manière, ça a été un accélérateur pour le changement.
TGL. Qu’est-ce qui vous a séduit chez Rossignol, à fortiori dans ce contexte ?
V.W. Le groupe Rossignol avec ses cinqu marques dans l’univers su ski (Rossignol, Dynastar, Lange, Kerma et Look) cristallise toutes mes expériences passées : la dimension industrielle, l’aspect logistique, le développement international… Avec son histoire plus que centenaire, la société possède un capital à la fois technique et émotionnel très fort qui m’a vraiment plu. Pouvoir disposer de ces caractéristiques est aujourd’hui fondamental pour développer de nouveaux projets. Si le groupe Rossignol fait aujourd’hui partie du conglomérat norvégien Altor, il n’en revendique pas moins son statut d’industriel français. Il profite notamment de synergies industrielles très fortes avec deux usines en France, Salanches et Nevers (Look), un atelier course et prototypes implanté au sein du siège à Saint-Jean-de-Moirans, près de Grenoble, sans oublier un important centre logistique (36000 m2) à Saint-Étienne-de-Saint-Geoirs.
« La montagne est un territoire fabuleux, riche en inspiration et en ressourcement spirituel, qui plus est dans un monde en proie à des malaises. » – Vincent Wauters
TGL. Quelles ont été vos premières mesures ?
V.W. Dès mon arrivée, j’ai pris la décision de focaliser les actions du groupe sur l’espace montagne. C’est un territoire fabuleux, riche en inspiration et en ressourcement spirituel, qui plus est dans un monde en proie à des malaises. Pouvoir afficher un univers de valeurs, un référent commun, permet de rayonner avec des messages très compréhensibles par le plus grand nombre. Nous nous sommes donc séparés des activités qui n’avaient pas cet ADN montagne et dès mars 2022, avons par exemple lancé une gamme de VTT électrique sous la marque Rossignol. Mon ambition est d’être le groupe mondial de référence des sports de montagne toute l’année. Et cela, en s’appuyant sur toute une culture de la vie alpine portée par l’expression de soi, la transmission, l’entraide et que l’on retrouve aussi à l’après-ski, moment où l’on apprécie le bien-être de vêtements de qualité, un environnement chaleureux, une convivialité sociale…
TGL. Le groupe Rossignol, comme vous l’avez précisé, englobe plusieurs marques. Comment se positionne chacune d’entre elles ?
V.W. Si l’on veut prendre la parole de manière émotionnelle et sémantique, Il faut être précis. Il est nécessaire de positionner chaque marque avec un rôle bien à elle : Rossignol, c’est le généraliste pertinent dans toutes les dimensions ; Dynastar, c’est l’univers du freeride, de la randonnée ; Lange, c’est une marque technique qui propose un chaussant très précis pour la compétition, Kerma c’est une référence dans le bâton de ski et Look, c’est le spécialiste incontesté de la fixation de ski. Et puis le groupe possède également la marque de patin à glace Risport. Une fois ces ancrages bien établis, la puissance créative n’en devient que plus forte. Aujourd’hui, le groupe représente quelques 6000 références de produits d’équipement que l’on peut retrouver au sein d’un tout nouveau concept de magasin baptisé Start Gate que l’on a récemment déployé à Bex (Suisse) au sortir du Lac Léman. Le public peut y retrouver tous les univers du groupe.
TGL. La question du réchauffement climatique est omniprésente. Comment abordez-vous ce qui semble être un péril direct pour l’industrie du ski ?
V.W. Je vais vous surprendre, mais c’est un vrai moteur. Ce bouleversement est un fait avéré qui va toucher toute la société et qui nous oblige à repenser nos modèles. Plus concrètement, il nous faut chercher à diversifier nos activités, en hiver comme en été. Nous avons de la chance car nous sommes le seul groupe multi-marques à couvrir tout le spectre des pratiques de montagne. On est engagé dans cette reconversion en travaillant par exemple avec des stations de basse altitude pour les aider à transformer leur offre. Et bien sûr nous menons une réflexion profonde sur la conception de nos produits.
« Mon ambition est d’être le groupe mondial de référence des sports de montagne toute l’année. » – Vincent Wauters
Rossignol en quelques chiffres :
- Créé en 1907 par Abel Rossignol
- Propriété du groupe norvégien Altor depuis 2013
- Chiffre d’affaires (exercice 2021/22) : 313 M€
- 4 sites de production en Europe : Sallanches, Nevers, Montebelluna (It) et Artès (Esp)
- N°1 du marché du ski avec la marque Rossignol
- N°2 du marché des chaussures de ski avec les marques Rossignol et Lange
- 1230 employés dans le monde
- Distribution dans 51 pays
- 80% de l’activité réalisée hors de France
- Plus de 100 champions Olympiques au cours de son histoire
- 2022 : lancement du ski Essential (73% de matières recyclées – et biosourcées – et à 77% recyclable)
Objectifs :
- Chiffre d’affaires (2025) : 500 M€
- D’ici 2025 : Réduction des déchets du groupe de 40%
- D’ici 2030 : Réduction de l’empreinte carbone de 30%
TGL. Comment se traduit chez Rossignol cette production plus vertueuse ?
V.W. Tout d’abord, je me suis engagé personnellement en rejoignant la convention des entreprises pour le climat. C’est un parcours de 10 mois à raison de 3 jours toutes les 6 semaines, qui a été une vraie prise de conscience à propos des enjeux à relever. Aussi, cela m’a permis de documenter une feuille de route pour la décennie à venir, tout en menant une réflexion sur la raison d’être du groupe. Nous avons réalisé que notre rôle de leader sur le marché nous imposait d’être un moteur dans la transformation écologique de la production d’équipements. On s’est donc lancé dans la conception du premier ski recyclé-recyclable au monde, sans perdre de vue le niveau de performance qui nous caractérise. Pour vous en donner une idée, un ski traditionnel en fin de vie, c’est 6% de matières récupérées et 94% enfouies ou brûlées. En nous associant avec la société MTB – un industriel qui fabrique des machines de broyage de câble électrique -, nous avons croisé nos expertises et nos envies de faire bouger les lignes et sommes parvenus à augmenter de plus de 10 fois la recyclabilité, soit un taux de recyclabilité de 77%.
« Pour développer un ski, on réalise d’ordinaire entre 10 à 15 prototypes. Là, nous sommes allés jusqu’à 87 prototypes pour obtenir un ski qui intègre 73% de matières recyclées et biosourcées ! » – Vincent Wauters
TGL. Plus concrètement…
V.W. L’enjeu a consisté à enlever 100 % des fibres de verre, à retirer les résines epoxy… qui ne sont pas recyclables. Généralement, on utilise une vingtaine de matières que l’on a ici réduit de moitié en misant majoritairement sur l’acier, le bois et l’aluminium. On a aussi travaillé en sobriété en utilisant par exemple des principes de filtration sans eau mais avec de l’air pulsé ou des systèmes de vibration. Encore à titre d’exemple : Pour développer un ski, on réalise d’ordinaire entre 10 à 15 prototypes. Là, nous sommes allés jusqu’à 87 prototypes pour obtenir un ski qui intègre 73% de matières recyclées et biosourcées. On a aussi déployé des synergies au sein du groupe : Dynastar a par exemple travaillé sur une construction hybride pour réduire l’impact Co2 pendant que Rossignol travaillait sur le recyclé/recyclable. Donc, à court terme nous allons croiser ces recherches pour que chaque marque en profite. Pour l’heure, le ski Essential est badgé Rossignol et démarre cet hiver sa commercialisation. Mais d’ici 2028, nous allons faire évoluer un tiers des modèles du groupe.
TGL. Vous êtes les premiers, mais observez-vous un mouvement à la concurrence ?
V.W. Comme nous ne voulons pas être les seuls à nous engager, nous avons décidé de mettre en ligne, en libre accès, le fruit de ces recherches pour qu’il profite à d’autres qui n’ont pas nos moyens de R&D. Nous avons vraiment cette volonté de générer un mouvement basé sur le partage des ressources. Pour réussir, il est important de s’unir afin de créer des filières de collecte, de traitement, mais aussi de réfléchir tous ensemble différemment.
TGL. Cela signifie changer nos habitudes et nos comportements ?
V.W. Ca peut paraître contre-intuitif mais nous allons augmenter la longévité d’un ski et accroître les solutions de réparation. De même, nous allons favoriser la vente de seconde main. Nous allons également commercialiser des skis à défaut d’aspect qui auparavant, auraient été détruits. Désormais ils seront vendus moins chers. Et puis, des éléments non-conformes à un certain usage vont servir à produire d’autres objets où la contrainte est moindre, comme des garde-boues de vélo réalisés à partir des bandes permettant la fabrication d’un ski. Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur une formidable communauté de talents présents chez Rossignol. A la fois parmi les équipes techniques, dont certains employés présents depuis plusieurs décennies sont de véritables mémoires du groupe et bien sûr parmi tous les athlètes, plus d’une centaine, que nous accompagnons en compétition depuis de nombreuses années.
Propos recueillis par O.R
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