The Good Guide
Étendu du sud de la France à l’Autriche, le massif alpin est un territoire qui inspire de plus en plus la jeune garde de la cuisine. Pour ces nouveaux talents, la gastronomie dans les Alpes et ses contraintes appellent à la créativité et à un engagement en faveur d’une démarche écoresponsable. Leurs restaurants deviennent ainsi des destinations à part entière.
Posé sur une partition vierge au cœur des Alpes suisses, le train Bernina Express slalome entre les vallées en direction d’un refuge de Poschiavo, perché à 2 189 m d’altitude. C’est là, face aux sommets enneigés, que Lea Hürlimann et Aurelia Stirnimann ont choisi d’installer le restaurant éphémère Casa Alpina Belvedere (image à la une, ndlr), l’été dernier. Leur démarche témoigne de la place grandissante de la gastronomie dans les Alpes et, en ligne general, en montagne : désormais, les restaurants d’altitude ne sont plus de simples étapes, mais des destinations à part entière. Familières du milieu de la restauration – Aurelia Stirnimann a étudié à l’École hôtelière de Lausanne et Lea Hürlimann a publié un livre sur la cuisine de sa grand-mère –, les fondatrices de Casa Alpina ont misé sur l’authenticité, en laissant le terroir s’exprimer dans les assiettes : saucisse de cerf, pizzoccheri au chou et à la sauge, soupe à l’orge des Grisons.
De leur côté, les cheffes Camille et Céline Rohn, du restaurant itinérant Aplati, ont esquissé une carte qui, bien que simple, met à l’honneur les produits bio, locaux et de saison. Une belle façon de redynamiser la région hors saison. Pour Nicolas Darnauguilhem, qui a repris la Pinte des Mossettes, à Cerniat, en 2021, l’enjeu est même d’accueillir des clients toute l’année dans cet ancien bistrot d’alpage du district de la Gruyère, en Suisse. Rendue célèbre dans les années 80 par Judith Baumann, l’adresse offre un cadre idyllique qui séduit sa clientèle fidèle. Afin d’inciter les habitués à se hisser jusqu’au restaurant l’hiver, malgré la neige, le nouveau chef défend une haute gastronomie locale que le guide Michelin a d’ailleurs récompensée d’une étoile verte.
« En montagne, la culture maraîchère
est plus complexe » – Nicolas Darnauguilhem
La nature au centre de l’assiette
À Valdeblore, dans le parc du Mercantour, le chef Alexis Bijaoui place lui aussi la nature au centre de l’assiette. Aux fourneaux de l’Auberge de la Roche, qu’il a fondée avec Louis-Philippe Riel et Mickaëlle Chabat, il se réjouit de son installation dans les Alpes du Sud : « C’est une région idéale pour la cuisine, à une heure de l’Italie et de la mer. On peut faire un menu ultralocal tout en ayant une gamme de produits variés, comme des champignons, du gibier et même du poisson. »
Même constat dans les Dolomites, où Riccardo Gaspari célèbre les parfums et les produits de sa région, comme son père, Flavio, avant lui. Ils en ont fait une affaire de famille, depuis l’ouverture de la ferme-auberge El Brite de Larieto, en 2004, à Cortina d’Ampezzo. Treize ans plus tard, Riccardo Gaspari a inauguré une table étoilée d’une grande finesse, à deux pas : le SanBrite.
Des identités singulières
Pour cette nouvelle génération de cuisiniers, travailler sur un territoire fortement influencé par les saisons et la topographie renforce la conscience environnementale. Chaque région des Alpes a une identité singulière qu’il convient de préserver. « C’est une histoire de cohérence », lâche Tess Evans-Mialet, cheffe pâtissière de la Table de l’Alpaga, quand elle évoque l’influence du terroir savoyard sur ses desserts. Arrivée à Megève au printemps dernier, elle préfère utiliser des plantes des environs, comme l’oxalis et la berce sauvage, plutôt que la vanille et le chocolat. « On ne peut pas faire de compromis là-dessus, abonde Alexis Bijaoui. En s’installant ici, c’est le jeu. »
Cet engagement passe souvent par la création d’un potager, un projet difficile à mettre en œuvre comme l’explique Nicolas Darnauguilhem : « En montagne, la culture maraîchère est complexe, parce que la saison commence un mois plus tard et finit un mois plus tôt. » Situé à 1 100 mètres d’altitude, son jardin est amené à s’agrandir dans les années à venir. Il regorge de plantes aromatiques et de fleurs vivaces. Le chef est même en train d’acclimater des plantes sauvages, ces trésors gustatifs que les bergers en transhumance et les moines chartreux célèbrent depuis longtemps en Suisse.
En plus d’avoir un potager, la ferme des chefs Gaspari produit du cochon, du poulet, du bœuf, du lait et des fromages à destination des deux restaurants et des habitants du coin. « C’est magnifique de voir nos ingrédients prendre vie et de pouvoir entretenir un dialogue avec notre équipe d’agriculteurs et de fromagers. Ma cuisine raconte leur histoire », confie Riccardo Gaspari. Aujourd’hui, 80 % des aliments préparés au SanBrite proviennent de sa ferme. Tous les chefs n’aspirent pourtant pas à devenir autosuffisants : « Il faut avoir beaucoup de terrain ! » lance le chef de l’Auberge de la Roche, qui a récemment acheté une terre agricole de 1 700 m2 pour de la production maraîchère. « Quelqu’un viendra bientôt m’aider à gérer le quotidien du jardin. À terme, j’aimerais avoir des poules, des cochons, des brebis et des abeilles, mais il faut prendre le temps d’avoir des fondations solides. »
Soutenir l’économie locale
Pour s’approvisionner, les chefs doivent donc tisser un réseau de producteurs locaux. Ainsi, Nicolas Darnauguilhem s’entoure de maraîchers, de pêcheurs, de cueilleurs et d’éleveurs installés dans un rayon de 40 kilomètres autour de Cerniat. « Pour qu’ils s’y retrouvent financièrement, on doit leur commander un certain volume. Par exemple, j’achète toujours des bêtes entières aux éleveurs, et je valorise ensuite tous les morceaux. » Grâce à la vente en direct, les coûts sont limités, et un échange s’instaure entre les chefs et les fournisseurs. Reste que l’acheminement jusqu’aux restaurants est parfois synonyme de problème.
« Ça a été la douche froide en arrivant : j’ai pris conscience de la facilité des livraisons et des prises de contact à Paris », reconnaît Tess Evans-Mialet, qui a fait ses armes auprès de Claire Damon et de Cédric Grolet au Meurice. « C’est avant tout une question de conviction et d’investissement personnel ! Travailler avec des artisans de la vallée demande beaucoup de temps, mais c’est possible.Je veux montrer qu’on peut faire de bons desserts écoresponsables. »
Pomme de terre grillée, purée et beurre blanc par Riccardo Gaspari
Ingrédients pour 4 personnes
Pour la sauce façon « beurre blanc »
100 g d’échalotes finement ciselées.
175 g de vinaigre de vin blanc.
1 l de crème.
Sel
Pour la purée
150 g de beurre.
150 g de lait.
400 g de pommes de terre.
Pour la préparation à base de pommes de terre
4 pommes de terre.
4 c.à s. d’huile d’olive extra vierge.
Sel fumé.
Pour le dressage
Quelques poignées de roquette.
Préparation
Peler les 4 pommes de terre et réserver leur peau pour plus tard. Cuire les pommes de terre avec un départ à l’eau froide. Une fois cuites, laisser refroidir et faire mariner avec le sel fumé et l’huile d’olive extra vierge dans des sacs de congélation. Une heure plus tard, faire réchauffer dans un four préchauffé à 160 °C (th. 5-6), pendant 5 min.
Pour la purée, peler le reste des pommes de terre. Faire cuire avec un départ à l’eau froide, porter à ébullition, puis laisser sur le feu jusqu’à ce que les pommes de terre puissent être écrasées. Hors du feu, ajouter le lait, le beurre et du sel. Écraser et fouetter à la fourchette.
Pendant ce temps, laver les peaux de pommes de terre, les faire sécher, puis rôtir pendant 10 s dans un four préchauffé à 180 °C (th. 6).
Pour la sauce façon beurre blanc, placer les échalotes, le vinaigre, la crème et le sel selon votre goût dans une casserole à feu moyen et laisser réduire. Passer la préparation au chinois et fouetter à la fourchette.
Dressage
Placer la purée dans chaque assiette, couvrir de sauce, ajouter la pomme de terre au four au centre et finir avec les peaux de pommes de terre.
Tout miser sur les produits locaux demande une certaine souplesse en cuisine. Alexis Bijaoui peut en témoigner : « Certaines semaines, on peut avoir du mérou et des crevettes, d’autres fois, des courgettes et du céleri. Il faut accepter de travailler des produits qui ne sont pas nécessairement nobles. La créativité s’exprime dans la restriction, et ce n’est pas péjoratif ! » Nicolas Darnauguilhem va dans le même sens : « Au printemps et en été, on fait des conserves, on sèche, on fermente, on stérilise… L’hiver, il faut surveiller les stocks. J’adore cette saison, parce qu’on est dans la mémoire, on cuisine des souvenirs de l’été, comme des tomates séchées et des carottes nouvelles fermentées. »
Prolonger l’expérience
La jeune garde de la gastronomie a de beaux jours devant elle dans les Alpes. Pour permettre aux convives de prolonger l’immersion en montagne, la plupart des restaurants, à l’instar de l’Auberge de la Roche, de Casa Alpina Belvedere et de l’Alpaga, disposent de chambres confortables. À la Pinte des Mossettes, Nicolas Darnauguilhem espère, quant à lui, bientôt proposer quelques lits. Plus d’excuses après ça, pour ne pas aller découvrir les cimes de l’art culinaire.
H.R.
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