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Fiscalité belge : enfer des travailleurs et paradis des rentiers
Fiscalité belge : enfer des travailleurs et paradis des rentiers
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The Good Business

Fiscalité belge : enfer des travailleurs et paradis des rentiers

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La Belgique impose lourdement les salaires et les revenus professionnels, mais applique une fiscalité douce aux entrepreneurs et aux rentiers. De riches Français qui cherchent à réduire leurs impôts la considèrent donc comme une terre d’asile.

C’est bien connu : la Belgique fait partie, avec la Suisse et le Royaume-Uni, des destinations les plus prisées des exilés fiscaux français. Les villas et appartements luxueux de la commune bruxelloise d’Uccle – l’équivalent belge de Neuilly-sur-Seine, où se situe le lycée français Jean-Monnet –, abritent ainsi 12 000 Français sur 82 000 habitants. Certains y résident, bien sûr, parce qu’ils travaillent à la Commission européenne, au siège de l’Otan ou dans des filiales belges de multinationales. Mais d’autres ont posé leurs valises à Uccle, ainsi que dans les communes voisines chic de Rhode-Saint- Genèse et d’Ixelles (avec vue sur les étangs), pour échapper à la fiscalité française.

Le Tournaisis belge, près de la frontière, ou la station balnéaire du Zoute, – surnommée le Saint-Trop du Nord et où les habitants sont exonérés d’impôts locaux – sont aussi des destinations courues. Parmi les milliers d’expatriés fiscaux en Belgique, on trouve, selon le magazine Capital, 20 des 100 premières fortunes françaises, dont des actionnaires de Carrefour, de Taittinger et de Lactalis.

La flat tax sur les revenus du capital et la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) n’ont pas convaincu les exilés de revenir en France.
La flat tax sur les revenus du capital et la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) n’ont pas convaincu les exilés de revenir en France. Greygouar

Député et spécialiste de la fiscalité au Parti du travail de Belgique (PTB), Marco Van Hees a publié en avril dernier un listing des membres du clan Mulliez (dont la holding familiale détient Auchan, Decathlon, Leroy Merlin, Kiloutou, Saint Maclou…) qui résident dans le plat pays. Il en a dénombré 29, dont il communique les adresses, les sociétés possédées et leurs bénéfices, ainsi que les montants des impôts payés.

Son but : dénoncer les cadeaux faits aux riches. De fait, ses investigations s’apparentent à une formidable publicité pour l’exil fiscal. Le cas le plus emblématique est celui du village frontalier de Néchin, à un jet de pierre de Tourcoing : ici résident Gilles Mulliez, administrateur de Mutatis SA, laquelle a payé 32 719 euros d’impôts en 2017 pour un bénéfice de plus de 1,5 million d’euros (soit un taux d’imposition de 2,2 %) ; Jean Mulliez, décédé en 2018, était administrateur de la SA Ganemede, qui s’est acquittée de 21 439 euros d’impôt en 2017 pour un bénéfice de 26,7 millions d’euros (taux de 0,08 %).

Mais il y a mieux : la SEPPCI, société de participations de Patrick Mulliez, le fondateur de Kiabi, également domiciliée à Néchin, a réglé un impôt de… 2 euros pour un bénéfice de 373 millions d’euros en 2014 ! Les trois exercices suivants ? Zéro euro d’impôt en 2015, 0 en 2016, et… 274 euros en 2017 ! Ces exemples donnent une idée des exonérations et des niches fiscales dont profitent certains citoyens très aisés en Belgique.

Une fiscalité à géométrie variable

Certains, mais pas tous. Car l’impôt belge sur les salaires et les revenus professionnels est, en revanche, punitif. A partir de 12 990 euros déclarés sur l’année, le taux d’imposition atteint 40 %. Il passe à 45 % dès 22 290 euros, et à 50 % lorsqu’on franchit le seuil de 39 660 euros par an. Si on ajoute les « additionnels communaux » (impôts locaux), le taux atteint même 53,5 %. A comparer avec le taux français maximum de 45 % à partir de 156 244 euros…

Quant aux cotisations sociales, elles sont lourdes : 47 % du salaire, dont 13 % à la charge du salarié et 34 % à celle de l’employeur. « La Belgique est un paradis fiscal pour les rentiers, un enfer fiscal pour ceux qui travaillent », résume Denis-Emmanuel Philippe, avocat fiscaliste chez Bloom Law, à Bruxelles.

Au point que, pour échapper à la taxation écrasante de leurs revenus, de nombreux travailleurs indépendants créent une société. L’impôt sur les bénéfices, hier fixé à 34 %, diminue progressivement, et ne sera plus que de 25 % en 2020 (20 % sur les premiers 100 000 euros de bénéfices des start-up ou PME). Et on peut faire payer par la société des primes d’assurance vie déductibles, qui permettront à son dirigeant de bénéficier à sa retraite d’un capital taxé à 10 % ou 16,5 %…

Côté paradis, la Belgique a une fiscalité du patrimoine très douce. C’est le seul Etat de l’Union européenne qui exonère fiscalement les plus-values sur actions. Un cadeau qui a attiré des Français ayant fondé une entreprise à succès et souhaitant la revendre : il leur suffisait de la transformer en filiale d’une holding belge.

La SEPPCI, société de participations de Patrick Mulliez, bénéficie d’une fiscalité très douce en Belgique.
La SEPPCI, société de participations de Patrick Mulliez, bénéficie d’une fiscalité très douce en Belgique. Greygouar

Mais depuis 2014, la création par le fisc français d’une « exit tax » frappant certains entrepreneurs qui s’exilent peut rendre cette opération plus onéreuse. Les dividendes et les intérêts perçus par des individus sont, pour leur part, imposés à 30 %, soit l’équivalent de la « flat tax » sur les revenus du capital instituée par Emmanuel Macron début 2018. Exception : les dividendes d’actions nominatives distribués par des start-up ou des PME, qui bénéficient d’un taux d’imposition réduit de 15 %.

Enfin, il faut savoir qu’une taxe annuelle de 0,15 % avait été introduite en février 2018 sur les portefeuilles de titres dépassant 500 000 euros, ce qui réduisait un peu les revenus boursiers des gros épargnants. Heureusement pour eux, elle a été annulée le 17 octobre dernier par la Cour constitutionnelle de Belgique.

Quant aux propriétaires bailleurs de logements, ils profitent aussi de conditions en or. « Les loyers sont imposés sur la base du revenu cadastral. Celui-ci n’ayant plus été mis à jour depuis les années 70, les bailleurs ne se voient donc imposés qu’à hauteur d’un pourcentage limité (environ 25 %) des loyers réels », détaille Denis-Emmanuel Philippe.

Les plus-values immobilières ? Elles sont taxées à 16,5 % si le délai entre l’achat et la vente du bien est inférieur à cinq ans, puis exonérées ensuite. Hormis pour leur résidence principale, les Français, eux, ne sont exonérés sur les plus-values qu’au bout de vingt-deux ans – et même trente ans pour les prélèvements sociaux.

Le fisc belge a cependant dans son viseur les multipropriétaires. S’ils ont recours à l’emprunt, réalisent des opérations successives d’achat-vente ou exercent une profession en relation avec l’immobilier (notaire, architecte, agent…), ils risquent de voir leurs plus-values immobilières taxées à 50 %, et d’être imposés sur le montant réel des loyers perçus, requalifiés en « revenus professionnels ».

Fuir le fisc belge !

Cela paraît curieux, mais il existe des Belges qui quittent leur pays pour des raisons fiscales. « Nous conseillons des gens qui souhaitent résider au Luxembourg, au Portugal, en Suisse, à Monaco… » explique un avocat fiscaliste.

Certains veulent éviter de déclarer au fisc leurs comptes bancaires au Luxembourg ou en Suisse ; d’autres désirent profiter de l’absence de droits de succession et de la non-taxation de l’assurance vie au Luxembourg ; d’autres encore sont attirés par le forfait fiscal en Suisse, la non-imposition des retraites au Portugal ou l’absence d’impôts à Monaco.

Nul ne connaît le nombre de ces départs. La plupart des exilés ont de très gros revenus, et ceux d’entre eux qui n’ont pas coupé les ponts avec la Belgique sont traqués par le fisc. « Pour prétendre résider au Luxembourg, il faut y habiter, y travailler, y scolariser ses enfants et y jouer au golf, et pas seulement mettre des plaques luxembourgeoises sur sa voiture », fait remarquer Marc Marlière, avocat fiscaliste.

Comme en France, le fisc belge a mis en place des comptoirs de régularisation pour ces « faux » exilés fiscaux détenteurs de comptes non déclarés à l’étranger en échange d’une immunité pénale et fiscale.

Il y en a eu quatre successifs, prenant chaque fois la forme d’une déclaration libératoire unique (DLU). Mais la dernière DLU, en vigueur depuis août 2016, n’a presque rien rapporté comparativement aux précédentes : à peine 123 M €.

Toutefois, les redressements prélevés sur les avoirs illégaux déclarés n’ont cessé de croître, pour atteindre 80 % des montants dissimulés !

Un régime de succession ultrafavorable

Qu’ils possèdent un portefeuille en Bourse ou des appartements, les rentiers sont donc choyés par le fisc. Quant aux entrepreneurs qui hébergent leur entreprise dans une holding belge, ils peuvent verser à la holding des dividendes qui sont exonérés d’impôt.

Mais c’est un autre calcul qui décide certains Français à s’expatrier : les successions. En théorie, les droits sont élevés : en ligne directe, 30 % au-delà de 500 000 euros en Wallonie et à Bruxelles, et 27 % au-delà de 250 000 euros en Flandre. « Mais l’héritage d’une entreprise familiale n’est pas taxé, à condition que les héritiers poursuivent l’activité. Surtout, si on effectue une donation mobilière à ses enfants plus de trois ans avant son décès (par exemple, en leur offrant les actions de sa holding), les actifs cédés sont taxés à 3 %, et ne sont pas réintégrés dans la masse successorale au décès du donateur », explique Marc Marlière, avocat fiscaliste chez Xirius, à Bruxelles.

Pour l’immobilier, on peut donner tous les trois ans à chacun de ses enfants la propriété (ou la nuepropriété) de biens, pour une valeur atteignant 150 000 euros, en ne payant que 3 % d’impôt. Il faut cependant que les enfants résident en Belgique. Au vu de tous ces avantages, la flat tax sur les revenus du capital et la transformation de l’ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) n’ont pas convaincu les exilés de revenir en France, le mouvement des « gilets jaunes » refroidissant ceux qui hésitaient encore.

« Quant aux Français se renseignant sur l’expatriation, leur nombre a diminué, mais nous continuons à recevoir des rentiers et des entrepreneurs soucieux de réduire leur charge fiscale globale », affirme Denis-Emmanuel Philippe. En ajoutant : « Nous leur précisons qu’il est nécessaire de couper les liens avec la France, ce qui n’est pas facile. Pour vivre en paix (fiscale), il ne faut surtout pas faire semblant de résider en Belgique. » Un choix radical, donc.


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