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De passage à Chamonix, The Good Life en a profité pour poser quelques questions au maire de la ville, Eric Fournier. Entretien.
Chamonix est un haut lieu touristique depuis deux siècles et demi. Le mont Blanc, la mer de Glace, l’aiguille du Midi et son téléphérique, les Grandes-Jorasses, les Aiguilles-Rouges, la vallée Blanche, les Grands-Montets, les Drus…
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Ces sites mythiques ont fait la gloire et la prospérité de la vallée haut-savoyarde, totalement consacrée au ski, à l’alpinisme et à la randonnée. Éric Fournier, maire (UDI-CA) de la ville de Chamonix et président de la communauté de communes de la vallée depuis quinze ans, gère avec passion cet héritage.
À 58 ans, ce fils d’un guide, cristallier, hôtelier de Chamonix doit aussi conduire une délicate transition du modèle touristique, à l’heure du réchauffement climatique, de la diversification des pratiques sportives de pleine nature et des menaces de surfréquentation qui pèsent sur tous les grands sites touristiques et sur les espaces naturels remarquables.
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Rencontre avec Eric Fournier, maire de Chamonix
The Good Life : Chamonix-Mont-Blanc, cité historiquement touristique, reste aujourd’hui une destination phare. Comment expliquer la pérennité de cette « marque » mondiale ?
Ėric Fournier : Notre « dotation naturelle » extraordinaire se cumule effectivement avec une dimension historique. Nous sommes le premier site touristique de l’histoire des Alpes ! Chamonix a été « découvert » dès 1741 par les Anglais Windham et Pococke ; leur excursion sur ce qu’ils vont nommer la mer de Glace va donner lieu à l’invention du tourisme alpin.
Au-delà de cette dimension « grand site » et de la beauté de nos paysages, la durée dans le temps de notre attractivité doit aussi beaucoup à la communauté humaine qui vit au pied des montagnes et a marqué l’évolution de la vallée, qui est devenue, entre autres, la capitale mondiale de l’alpinisme.
Cette identité de « camp de base » perdure, et c’est profondément émouvant pour moi : Chamonix reste un creuset, un melting pot – parfois compliqué à animer ! – d’une petite dizaine de milliers d’habitants qui contribue, décennie après décennie, à tester et à inventer toutes les évolutions des sports outdoor de montagne.
Oui, nous avons les pentes parmi les meilleures pour pratiquer le ski freeride, des parois de granit géniales très facilement accessibles, une diversité phénoménale de recoins sauvages et secrets, mais notre vallée n’est pas un lieu sans âme, sans hommes : c’est un lieu fort, vivant, où le lien homme-nature est primordial.
Quels sont les points forts de votre offre touristique ?
E. F. : Chamonix, c’est la montagne toute l’année ! Notre site permet des activités de pleine nature en toutes saisons, grâce à son réseau de sentiers de randonnée, ses itinéraires d’alpinisme, ses refuges, grâce à l’accès à des sites d’altitude extraordinaires, comme l’aiguille du Midi ou la mer de Glace, et, l’hiver, à ses domaines skiables et ses itinéraires de ski sauvage, dont la vallée Blanche, qui font de la vallée l’un des hauts lieux mondiaux du hors-piste.
D’autres stations offrent plus de pistes et de remontées, mais Chamonix permet une qualité de ski incomparable pour un niveau d’équipement relativement faible ! Cela dit, la richesse de l’expérience touristique que nous offrons tient aussi à la richesse humaine, culturelle et patrimoniale de la vallée. Nous sommes, à ce sujet, en train de développer notre réseau de musées, c’est l’un des grands chantiers du mandat en cours.
Notre musée des Cristaux, l’espace Tairraz, récemment agrandi et rénové, est l’un des beaux musées de minéralogie de France ; nous avons lancé également la rénovation de notre Musée alpin, qui deviendra le musée du Mont-Blanc, un vaste projet culturel structurant qui ouvrira en 2025 ; le Glaciorium du Montenvers va faire peau neuve pour devenir le Centre d’interprétation des glaciers et du climat (CIGC) d’ici à 2025, et nous avons encore en projet la création d’un camp de base pour les scientifiques, le Cham Lab, dans une aile de la gare de Chamonix.
Nous ne sommes pas dans le gigantisme, mais dans la diversité et le maillage territorial : si on ajoute les musées de culture populaire montagnarde de Servoz, des Houches et de Vallorcine, les visiteurs qui n’aiment pas skier – cela représente une personne sur deux l’hiver ! – trouveront leur bonheur. Enfin, ne négligeons pas le tissu commercial qui est très intéressant. Tout cela mis bout à bout fait aussi de Chamonix une destination de tourisme urbain.
Le développement de cette offre culturelle et patrimoniale répond-il à une nécessité touristique ? On entend parfois parler de surfréquentation, voire de surtourisme, à Chamonix comme ailleurs : comment évolue votre fréquentation ? Doit-elle être soutenue ?
E. F. : La surfréquentation de Chamonix, c’est une petite musique médiatique qui m’agace : tout le monde en parle, chacun a sa définition et en définitive personne n’en sait rien. Nous sommes donc en train de nous doter d’un observatoire du tourisme très performant, afin d’avoir enfin des chiffres solides, précis et à jour, pour orienter nos actions.
Un constat s’impose d’ores et déjà : depuis dix ans, le nombre de séjours dans la vallée est stable. Nous avons un nombre de nuitées en légère hausse l’été, en légère baisse l’hiver, mais nous restons autour de huit millions par an.
Le nombre de lits demeure constant à Chamonix : nous n’avons lancé aucun grand programme immobilier depuis que je suis maire, nous ne voulons pas de nouveaux lits touristiques ! En revanche, nous assistons depuis l’après-Covid à une hausse, de l’ordre de 10 à 15 %, du nombre d’excursionnistes qui viennent ici à la journée, souvent depuis la région proche, Haute-Savoie essentiellement.
Avec des pointes régulières à 25 000 excursionnistes par jour durant l’été et sur certains week-ends hivernaux, nous avons certes un problème de régulation, mais il reste limité à quelques lieux phares et à des périodes courtes. On est loin d’être la place Saint-Marc !
Comment remédier à cette hausse de la fréquentation excursionniste ?
Eric Fournier : Il nous faut questionner notre modèle. Chamonix va être de plus en plus attractif avec le réchauffement climatique, une conséquence malheureuse et paradoxale, autant l’hiver, car l’altitude de nos domaines nous garantit un enneigement correct pour quelques décennies encore, que l’été, avec une fraîcheur maintenue, le tout cumulé au très fort appétit post-Covid du public pour les espaces naturels.
Ma vision, partagée par tous les élus de la vallée, est de privilégier le tourisme de séjour. Nous allons accentuer notre action dans ce sens : nous voulons nous donner la capacité de réguler le flux d’excursionnistes, de le décourager par moment, en mettant en place des mécanismes, notamment tarifaires et réglementaires, pour encourager le séjour long ou permanent.
Il y a un modèle à inventer ! Je n’ai, depuis que je suis maire, pas fait une seule nouvelle remontée mécanique qui aurait étendu les domaines skiables, nous ne voulons pas de nouvelles infrastructures, mais bien requalifier celles qui existent déjà, pour offrir une meilleure qualité d’accueil, pour moins de monde, mais sur une durée plus longue.
Les grands rendez-vous qui rythment vos saisons – le Kandahar (Coupe du monde de ski alpin homme), l’étape chamoniarde de la Coupe du monde d’escalade, le Marathon du Mont-Blanc, le festival Cosmojazz, l’Ultratrail du Mont-Blanc (UTMB) – génèrent des afflux importants de public, parfois critiqués. Ne sont-ils pas antinomiques avec cette volonté de réguler les flux touristiques ?
E. F. : Cette politique de grands événements, bien placés sur l’année, est utile pour un site comme Chamonix sur le plan financier, et c’est le meilleur investissement en matière de notoriété, c’est pourquoi nous les soutenons. Économiquement, ils sont générateurs de séjours de longue durée : ils attirent une clientèle non excursionniste, qui est vertueuse, économiquement comme écologiquement, comme avec le trail !
L’entretien de notre image doit être marqué par des événements de qualité, qui sont bien calibrés et restent dans l’ADN de Chamonix. C’est le cas de la Coupe du monde d’escalade, pour laquelle j’ai beaucoup d’attachement. Cela étant dit, nous sommes arrivés au juste équilibre : nous ne cherchons pas la croissance, mais, encore une fois, la qualité. L’UTMB a pu générer, notamment cet été, des interrogations sur sa taille.
Nous avons une discussion très franche avec les organisateurs en ce moment, pour garantir à l’avenir son acceptabilité par les habitants, avec, par exemple, la limitation de la marchandisation autour de l’événement et peut-être le passage de cinq à trois courses seulement arrivant à Chamonix durant la semaine que dure la manifestation.
La requalification en cours du site du Montenvers ne risque-t-elle pas d’augmenter l’excursionnisme ? La création d’une remontée, en remplacement de l’ancienne, afin de se rapprocher de la mer de Glace en plein recul, vous vaut parfois un procès en expansionnisme…
Eric Fournier : Nous avons fait un énorme travail concerté avec l’État, les scientifiques, les institutions et associations environnementalistes, pour trouver une solution qui permette encore pour quelques années l’accès à la mer de Glace. C’est acté, nous n’irons pas plus haut lorsque le glacier aura encore reculé. Ce nouvel équipement, qui n’insulte pas l’avenir, car il est réversible, nous permet de maintenir ce grand site de découverte de la nature, mais aussi l’accès à la montagne pour les alpinistes et le retour des skieurs d’altitude de la vallée Blanche…
Là encore, il ne s’agit pas de doper le chiffre d’affaires ni d’augmenter la fréquentation, mais bien de la stabiliser. Le site est requalifié pour continuer à proposer cette vision exceptionnelle de la haute montagne et de son évolution, ainsi qu’une médiation sur le bouleversement climatique.
Le nouveau Glaciorium que nous construisons au Montenvers, dont les contenus sont élaborés par un comité scientifique très solide, n’est en aucun cas pensé comme une attraction en soi, un produit pour la promotion de je ne sais quel tourisme de la dernière chance. Il sera un lieu qui accompagnera la découverte du site, qui permettra de comprendre, en une heure tout au plus, ce que l’on a sous les yeux : le retrait du glacier et son lien avec le réchauffement climatique.
Le réchauffement provoque aussi une diminution régulière de l’enneigement. Vos domaines skiables sont-ils menacés ? Comptez-vous renforcer votre recours à la neige de culture ?
E. F. : Sur les trente ans à venir, nous avons la chance d’être moins soumis à l’aléa d’enneigement que d’autres stations – et je ne m’en réjouis en aucun cas –, car nos pistes sont principalement situées sur des sites d’altitude, sur des domaines qui ne misent pas à long terme sur le retour en vallée.
Nous avons déjà un recours plus faible qu’ailleurs à la neige de culture, avec un taux de couverture de 18 % du domaine, et nous n’irons pas au-delà, mis à part quelques aménagements mineurs de liaison : la politique de la collectivité n’est pas de demander à son opérateur un accroissement de son offre en neige de culture. Cela veut aussi dire que nos clients devront accepter de prendre de plus en plus fréquemment un appareil pour le retour en vallée.
Un autre effet du réchauffement est très sensible, à Chamonix : la fragilisation des terrains rocheux d’altitude avec la fonte du permafrost (pergélisol). Est-ce une inquiétude pour l’avenir ?
E. F. : La fonte du permafrost est pour nous un point de très grande vigilance. Nous monitorons attentivement l’ensemble des sites où des infrastructures existent : chaque endroit où se trouvent des pylônes, des gares, des refuges… Parmi les zones prioritaires pour cette surveillance, il y a bien entendu l’aiguille du Midi, qui se trouve juste au-dessus de Chamonix.
Elle est particulièrement exposée, car elle est constituée de monolithes entrecoupés de zones de fractures, de vide dans lequel le permafrost existe. Notre priorité, grâce à cette surveillance poussée, est bien entendu de garantir la sécurité des usagers du téléphérique. Il est impossible, aujourd’hui, de savoir si le site deviendra effectivement dangereux, et quand, si cela devait survenir…
Le même soin est apporté au suivi des glaciers, avec des glaciologues, des géomorphologues, et nous agissons en amont, dès l’apparition de risques, comme cet été sur le glacier des Bossons, où nous avons vidangé un lac apparu avec la fonte des glaces qui aurait pu représenter à court terme une menace pour la vallée.
Le changement climatique modifie le tourisme. Quelle est votre vision du futur ?
Eric Fournier : L’évolution climatique nous impose de poursuivre le travail pour modifier la façon de fréquenter la vallée. Le tourisme de demain, c’est d’aller moins chercher nos clients à l’international, sur de la longue distance, pour privilégier les bassins de clientèle proche, régionale, à qui l’on doit impérativement proposer une offre forte de transports en commun, notamment ferroviaires.
C’est d’encourager le séjour long plutôt que l’excursionnisme. C’est de diversifier notre offre, en rendant notre économie touristique moins dépendante du ski, en étalant les activités de pleine nature sur des périodes plus longues, par l’adaptation de nos dates d’ouverture – et c’est déjà en cours !
Le futur, enfin, c’est de protéger notre population permanente, qui ne travaillera plus seulement sur des activités sportives à la journée, mais se consacrera de plus en plus, grâce à une industrie de l’outdoor qui privilégie l’innovation et le test, à l’adaptation de ces pratiques. Notre futur passe par le renforcement de notre identité de laboratoire, de lieu d’évolution des sports de montagne et de diffusion de ces adaptations.
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