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The Good City
Pour sortir de sa grise image portuaire et de ses records de chômage, la ville-frontière mise sur la décarbonation, avec une usine de batteries française, deux gigafactories et des dizaines d’autres entreprises en cours d’installation. Rançon du succès : 20 000 emplois attendus, qui obligent la ville à se redessiner, désormais citée en exemple pour sa modernité. Dunkerque se revampe et attire. Poétique d’un port.
D’ordinaire, lorsque l’on voit une courbe s’incliner vers le bas, CAC 40, PIB ou prix de l’immobilier, c’est rarement bon signe. À Dunkerque, on brandit des graphiques en vertigineuse dégringolade avec un sourire jusqu’aux oreilles.
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Place à la décarbonisation
Cette courbe, par exemple, glisse comme un toboggan de 16 Mt d’émission de CO2 aujourd’hui à… zéro en 2050. Gigafactories, usines de batteries, friches industrielles réhabilitées, bus gratuits, zéro parking… Le monde louche vers cette ville ingrate qui est en train de devenir glamour.
La ville-frontière des Hauts-de-France a toujours cultivé une identité un peu à part. Édifiée sur un polder dans le delta du fleuve Aa, elle tend plutôt à ressembler à ses cousines de la mer du Nord, comme Ostende, Anvers ou Rotterdam, qu’à la Gaule.
Elle appartient, en revanche, au club des ports blessés, tels Le Havre, Lorient ou Toulon. Ceux auxquels les guerres ont laissé de sales cicatrices. Dévorée par les deux guerres mondiales, Dunkerque a, comme ses sœurs, reconstruit à la hâte et gardé de cuisants complexes.
Ajoutez à cela un déclin économique brutal, la fin des Chantiers de France, la fermeture de la raffinerie Total, les ravages de l’amiante, un taux de chômage proche des 12 % et une démographie en chute libre… On peut dire que les années 2000 avaient mal commencé. Sans compter un désamour pour la cité balnéaire à la réputation climatique peu flatteuse : l’idée d’aller à Dunkerque n’effleurait pas l’esprit de grand monde.
Dunkerque : un coup d’avance
Le secret de la renaissance ? Lorsqu’on est dos au mur, il ne reste plus qu’à faire des paris osés. Plus tôt que les autres, la Communauté urbaine a décidé de faire de la transition écologique et de la décarbonation industrielle des leviers de développement. À l’origine de ce retournement : Patrice Vergriete.
Ce polytechnicien, fils d’ouvrier et pur produit de l’école républicaine, débarquait sur la scène dunkerquoise en 2014 en enlevant la mairie du haut de ses 2,02mètres. Les yeux rieurs, le parler franc, l’optimisme chevillé au corps, ce géant des Flandres est surnommé « Monsieur zéro parking » pour avoir décidé qu’on ne prendrait plus sa voiture pour se rendre au travail. Parkings-relais à l’extérieur de la ville, navettes, bus gratuits, vélos et trottinettes à disposition… dans la mobilité, on décarbone également.
« Dès 2014, nous avons arrêté de draguer les industriels du XXe siècle et mis en place les conditions pour attirer ceux du xxie . Pour cela, nous avons développé un réseau de chaleur décarboné – l’un des moins chers du monde – et travaillé sur la consommation d’eau, l’hydrogène ou encore la captation de CO2 », raconte-t-il.
Un choix politique local consolidé par la volonté de réindustrialisation de l’État, avec un financement arrivé après la crise du Covid, quand le président de la République a débloqué plus de un milliard et demi pour l’installation de la gigafactory de ProLogium. Sans cette aide, l’entreprise serait partie aux États-Unis.
La ville, intimement liée à son port, a donc misé sur les énergies décarbonées dans un mix de nucléaire et de renouvelable, s’est portée volontaire pour accueillir un parc éolien offshore, s’est penchée sur la problématique de l’eau industrielle, tout comme sur la question du transport de l’électricité, et devient le premier hub CO2 et hydrogène de France.
Un collectif territorial composé de la Communauté urbaine, du grand port maritime et de la chambre de commerce et d’industrie Littoral Hauts-de-France s’est fédéré autour des grands industriels émetteurs, dont Arcelor Mittal, Aluminium Dunkerque, Eqiom, Eramet Comilog, Ferroglobe…
« La neutralité carbone est un travail d’équipe », confirme Maurice Georges, président du directoire du grand port maritime, 7 000 hectares qui reçoivent à longueur de semaine des délégations étrangères curieuses de cette expertise.
Tandis que le pollueur mutation. Les quartiers pauvres de la basse-ville, le lien entre la plage et le port, les quartiers de l’arrière-plage, le centre-ville devenu piétonnier… tout se transforme, donnant à la ville une unité nouvelle. Les 9 000 logements en devenir s’érigent sans artificialisation, sous forme de petites unités basses, adoptant parfois un look néoflamand plutôt plaisant.
L’avantage d’avoir des parkings, des friches et des dents creuses à réinvestir ! Les friches industrielles sont d’ailleurs aujourd’hui pain bénit pour la culture. L’entrepôt des sucres, géant de brique qui exportait le produit de la betterave sucrière dans le monde entier au XIXe siècle, a, par exemple, fait l’objet d’une très belle réhabilitation signée Pierre-Louis Faloci. Quant au romanesque musée portuaire, il s’est installé dans l’ancien entrepôt à sel.
Énergie communicative
Au-delà du périmètre de la ville, c’est toute la Communauté urbaine qui est concernée. Courant de Gravelines et sa centrale nucléaire, à la limite du Pas-de-Calais, jusqu’à Zuydcoote, à la frontière belge, 17 communes étalées sur 30 kilomètres de littoral sont concernées par le réveil de Dunkerque. Bourbourg, Loon-Plage, Grande-Synthe, Fort-Mardyck… sont autant de puces sur la carte, mais, collées aux terrains du port, elles vont voir leur population doubler et leurs finances s’envoler dans les années qui viennent.
Pour alimenter sa fringale d’emploi – 20 000 créations de postes attendues –, la ville prend le problème à la source et met en place universités et formations. On propose même, dans la foulée, des bourses aux aspirants médecins pour financer intégralement leurs études, à condition qu’ils viennent exercer ici. Une solution à la désertification médicale.
Seule ville en France à être distinguée par le Forum économique mondial parmi les 20 territoires du monde engagés pour « sauver la planète », Dunkerque est désormais repérée à l’échelle mondiale. Cet été, elle hébergera la 25e édition des Assises européennes de la transition énergétique.
Aujourd’hui, la ville accueille, entre autres, un fonds régional d’art contemporain (FRAC), un Lieu d’art et action contemporaine, un Musée maritime et portuaire, des lotissements à l’architecture excentrique, à l’image du bien nommé « quartier Excentric »… Sur la plage de Malo-Bray-Dunes, chantée par Alain Souchon, les villas Belle Époque ont retrouvé leur lustre et les cabines de bain polychromes, leur place.
Le dimanche on se « fait une digue » et on se rejoint aux terrasses pieds dans le sable. À la tombée de la nuit, l’horizon est émaillé de lucioles scintillantes : les monstres des mers se hâtant vers le port deviennent eux aussi des œuvres d’art.
À Dunkerque, il y a dorénavant du boulot à ne plus savoir qu’en faire et des équipements sportifs dignes des grandes métropoles, sans parler du carnaval qui réchauffe les mains et les cœurs. Aucun doute, c’est toute la génération Z qui aura bientôt le regard tourné vers le Nord.
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