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Deux célèbres châteaux ont choisi la terre crue, un matériau ancestral et écologique, pour leurs chais hypertechnologiques, 2024 - TGL
Deux célèbres châteaux ont choisi la terre crue, un matériau ancestral et écologique, pour leurs chais hypertechnologiques, 2024 - TGL
Marine Mimouni

Vins et spiritueux // The Good Culture

Les chais en terre crue investissent les domaines viticoles

The Good Culture

Vins et spiritueux

Deux célèbres châteaux ont choisi la terre crue, un matériau ancestral et écologique, pour leurs chais hypertechnologiques. Deux premières, l’une en Provence et l’autre à Bordeaux, ouvrent la voie vers un monde de simplicité, qui mérite d’être présenté au grand jour.


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Chais en terre crue : une nouvelle tendance

Il a été nageur professionnel avant de devenir architecte, une façon de s’immerger pleinement dans la matière. Il cite Leonard Cohen : « Il y a une fissure en toute chose / C’est ainsi qu’entre la lumière. » L’eau, la lumière et la terre crue sont ses fondamentaux : « Ils sont la base de la fabrication de tout, de ce dont le corps humain a besoin. Pour moi, il s’agit de savoir à quel point nous pouvons faire en sorte que les objets que nous habitons imitent le moi humain. »

Il s’appelle Bijoy Jain, il est indien, vit et travaille à Mumbai, enseigne à Milan, et c’est à lui que la famille Perrin, propriétaire depuis cinq générations du château de Beaucastel, 100 hectares emblématiques de l’appellation châteauneuf-du-pape, a confié la conception de ses nouveaux chais et de son cuvier bioclimatiques en terre crue. C’est une première en Provence.

La façade ocre du Château Cantenac Brown recèle Le chai bioclimatique en briques de terre crue compressée et pisé.
La façade ocre du Château Cantenac Brown recèle Le chai bioclimatique en briques de terre crue compressée et pisé. DR

Ce projet, monté en association avec Studio Méditerranée, un partenaire français spécialisé dans la construction écoresponsable, a été choisi sur concours parmi 500 dossiers présentés par des architectes internationaux, dont trois Prix Pritzker. «

 Bijoy Jain nous a dit : “Je ne veux impressionner ni vous ni vos clients, mais vos petits-enfants le seront encore dans cinquante ans”, explique César Perrin. Nous sommes une famille, nous avons été les précurseurs du bio dans la région dès 1950 et de la biodynamie dès 1974 ; innover est dans notre tradition. Nous voulions une réalisation écologique majeure en accord avec nos principes, qui soit le témoin de notre engagement pour la préservation de notre environnement, menacé par les effets du changement climatique. De l’extérieur, rien ne change, ou presque ; il faut descendre sous terre pour comprendre la magie de la terre. » 

Un collage ocre sur vert

Pour la première partie de la proposition, tout est dans le « ou presque ». De loin, avec en arrière-plan le mont Ventoux, c’est une forteresse d’argile avec son mur d’enceinte qui émerge des champs de vignes. Un collage ocre sur vert, une construction qui semble avoir toujours été là. Bijoy Jain définit son architecture comme « une gestation naturelle du paysage », de la terre à la terre.

Sur le domaine provençal de Beaucastel, les nouveaux chais écologiques, réalisés avec la terre du site, révolutionnent l’architecture vitivinicole.
Sur le domaine provençal de Beaucastel, les nouveaux chais écologiques, réalisés avec la terre du site, révolutionnent l’architecture vitivinicole. DR

En détail : 6 000 m2 de bâtiments ont été conservés, 4 000m2 de nouvelles caves, creusées, les déblais réutilisés. Le chantier à quelque 18 millions d’euros s’achève : il exploite les éléments naturels biosourcés – la terre du domaine, ses galets siliceux, ses argiles rouges, ses sables et graviers pour la confection du « béton de site » à l’usage des fondations et des voûtes.

À une profondeur de 9 mètres sous terre, 3 000m3 de bassins accueillent les eaux pluviales filtrées (elles servent aussi au nettoyage des installations et à l’arrosage des jardins plantés d’essences locales). L’air soufflé par le mistral est conduit jusqu’aux bassins par des tours à vent ; au contact de l’eau, il refroidit à 12 degrés et vient ventiler deux niveaux enterrés en leur procurant l’hygrométrie et la température stables nécessaires.

L’utilisation de l’effet Venturi (naturel) remplace la climatisation (artificielle). Dans la cave, les millésimes reposent sous une voûte d’ogive, sans armature – la perfection dans la simplicité. Les toitures en tuiles accueillent des panneaux solaires. Le chai est conçu pour être autonome à 80 % en eau, électricité, chauffage et refroidissement.

Mieux avec moins

À Margaux, c’est Cantenac Brown, grand cru classé en 1855, qui innove et détonne doublement dans le paysage. D’abord par le style Tudor unique du château, une fantaisie voulue au XIXe siècle par son premier propriétaire, le peintre naturaliste écossais John Lewis Brown ; puis par ses nouvelles installations techniques adjacentes, chais et cuvier sur 5 000 m2 , dessinés par l’architecte Philippe Madec, un spécialiste de la terre crue, urbaniste, professeur à l’École nationale supérieure d’architecture de Bretagne, coauteur du Manifeste pour une frugalité heureuse et créative, et auteur de Mieux avec moins.

C’est à Bijoy Jain, que la famille Perrin, propriétaire depuis cinq générations du château de Beaucastel, a confié la conception de ses nouveaux chais et de son cuvier bioclimatiques en terre crue.
C’est à Bijoy Jain, que la famille Perrin, propriétaire depuis cinq générations du château de Beaucastel, a confié la conception de ses nouveaux chais et de son cuvier bioclimatiques en terre crue. DR

Il revendique la nécessité de développer la conception bioclimatique, la sobriété énergétique et matérielle, l’usage des ressources locales renouvelables et à faible impact. Message entendu cinq sur cinq par Tristan Le Lous, l’actuel propriétaire du château, un ingénieur formé à AgroParisTech et directeur général des activités holding du groupe Urgo, l’empire familial. Il souhaitait l’empreinte carbone la plus basse possible pour son chai.

« Je voulais que nous soyons exemplaires en matière d’écoresponsabilité, comme le lieu et le vin le méritent. » Après trois ans de travaux, les bâtiments, imposants, mais sobres, ont été dévoilés en avril dernier, lors des Primeurs, qui réunissent à Bordeaux le « mondovino » venu goûter le nouveau millésime.

Prouesse esthétique et technique

Vue de la route et des vignes, une façade ocre en briques de terre crue compressée juste barrée de deux traits rouges. Vu du parc, un côté tout en verre laissant transparaître l’alignement des quelque 70 cuves tronconiques en Inox, de volumes variés, permettant de vinifier individuellement les 75 hectares de vigne.

Ce projet, monté en association avec Studio Méditerranée, un partenaire français spécialisé dans la construction écoresponsable, a été choisi sur concours parmi 500 dossiers présentés par des architectes internationaux, dont trois Prix Pritzker.
Ce projet, monté en association avec Studio Méditerranée, un partenaire français spécialisé dans la construction écoresponsable, a été choisi sur concours parmi 500 dossiers présentés par des architectes internationaux, dont trois Prix Pritzker. DR

L’expérience de la terre crue se ressent pleinement dans le chai, d’une capacité de 2 500 barriques, coiffé par une charpente de chêne décomposée selon la suite de Fibonacci, elle-même reposant sur une charpente métallique rivée au sol. Une forêt de mâts sur des équerres d’acier, coup de crayon magistral et prouesse technique, car rien ne porte sur les murs en terre crue d’un mètre d’épaisseur.

Techniquement, les murs d’enceinte et intérieurs offrent une inertie thermique été comme hiver et la régulation hygrométrique optimale pour la stabilité et le vieillissement des vins en barriques. Des puits canadiens assurent la ventilation naturelle. La terre utilisée n’est pas médoquine (trop grise, elle aurait donné un effet béton), mais issue des environs de Toulouse, tandis que le bois provient de Nouvelle-Aquitaine.

Le chantier avoisine les 20millions d’euros. Bijoy Jain et Philippe Madec réalisent l’un comme l’autre leurs tout premiers chais. C’est donc un pari à plusieurs millions d’euros que prennent Beaucastel et Cantenac Brown sur l’adéquation à la viniculture de la terre crue.


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