Gastronomie
The Good Culture
Depuis sa découverte en Éthiopie au IXe siècle, le café a suivi les flux migratoires mondiaux et s’est imposé comme une denrée alimentaire de consommation courante. Longtemps considéré comme une simple matière première, le café tend à retrouver son caractère de produit de terroir grâce à la passion et à l’engagement d’une nouvelle vague de « caféophiles ».
Après l’eau, le café est la deuxième boisson la plus bue en France. Autant dire qu’il est devenu un produit essentiel du quotidien, mais sur lequel on ne se pose pas trop de questions. Tout juste sait-on qu’il est élaboré à partir d’une mouture dont on extrait les saveurs avec de l’eau chaude et qu’il sert de tonifiant grâce à la caféine qu’il contient. On vous dit tout sur le café de spécialité.
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Café de spécialité : une révolution en marche
Mais sa provenance (des terroirs d’altitude répartis dans 80 pays tropicaux), la manière dont il est récolté – manuellement, dans de petites fermes – ou les différentes variétés existantes (bourbon, java, moka, maragogype, etc.) restent un mystère, tant les trois géants du marché que sont Nestlé, JDE et Lavazza se gardent de communiquer dessus, considérant le café comme une matière première générique et non comme un produit de terroir.
Pourtant, depuis quelques années, on assiste à une petite révolution autour de ce végétal, qui commence à être considéré comme un produit de qualité riche de diversité, à l’image des différents cépages servant à produire un vin.
Ce mouvement de revalorisation du café a démarré dans les années 80 aux États-Unis avec la création de la Specialty Coffee Association (SCA). Celle-ci a alors pour vocation d’appliquer, avec l’aide d’experts appelés Q-Graders, un système de notation visant à distinguer les cafés de haute qualité, appelés aussi cafés de spécialité.
Sur un lot de 350grammes de café vert récolté à la main sur une même parcelle, un café de spécialité ne doit révéler aucun défaut majeur et pas plus de 5 défauts mineurs – grain immature, brisé ou flétri, par exemple. De même, il doit impérativement dépasser une notation supérieure à 80 sur 100, répartie en 10 critères. Les cafés n’y répondant pas sont appelés cafés de commodité.
Ce que l’on sait moins en faisant ses courses, c’est que dans cette vaste catégorie (95 % du marché), tout peut entrer dans la phase de torréfaction : cafés pas mûrs, piqués par des insectes, portant traces de moisissures, voire des cailloux…
Les nouveaux torréfacteurs
En France, ils sont désormais presque un millier de torréfacteurs artisanaux à se mobiliser pour donner ses lettres de noblesse au café. Les plus connus, parce que – jeunes – pionniers, se nomment Terres de café, Coutume, Lomi, L’Arbre à café, Café Caron, Kawa, Anbassa, Mokxa, Omnino… et tendent à maîtriser l’ensemble de la chaîne, depuis la sélection dans les fermes jusqu’à la vente dans leurs propres établissements, communément appelés coffee-shops (en opposition aux cafés ne servant généralement que du café de commodité).
« Il suffit de regarder dans les grandes villes, et pas qu’à Paris, pour constater le nombre de coffee-shops qui remplacent les cafés peu portés sur ce qui sort de leur machine à espresso. Une fois que le consommateur a compris ce qu’on lui donne à boire à prix quasi égal, il ne s’y trompe plus », souligne Christophe Servell, fondateur, dès 2009, de Terres de café.
Ce n’est pas une obligation de qualité, mais la plupart des torréfacteurs font souvent le déplacement pour visiter des fermes, souvent assistés par l’expertise de terrain d’un importateur comme Belco qui va faciliter le sourcing et l’approvisionnement.
« La notation SCA est une chose, mais observer comment l’agriculture est envisagée est très important pour comprendre le modèle économique du producteur et plus encore son engagement environnemental et social. Car, attention, petite ferme ne veut pas dire agriculture propre. La culture du café n’échappe pas aux intrants chimiques et encore moins à la pression financière des grands faiseurs », précise Sylvain Chauvineau, cofondateur, en 2007, d’Anbassa avec Jacques Chambrillon, aujourd’hui installé en Éthiopie pour Belco.
Aussi, ce monde du café 2.0 « de spécialité » met un point d’honneur à défendre certaines valeurs essentielles comme, par exemple, le développement de l’agroforesterie, des transports moins carbonés, tels les projets de cargo à voile, mais surtout une rémunération du travail au prix juste.
« On réalise très vite que les 3 euros d’un paquet de café moulu ne sont pas du tout en adéquation avec un projet agricole de qualité », relève Christophe Servell. Pour autant, cette quête de la qualité ne signifie pas nécessairement petit volume si l’on en juge la démarche de Café Caron.
« Nous sommes depuis longtemps spécialisés dans les machines automatiques en entreprise, mais pas un grain de nos 500 tonnes importées n’est pas de spécialité », souligne Anne Caron, Meilleur ouvrier de France en torréfaction, dirigeante de la société familiale. Un propos qui fait écho à la poussée du café en grain qui, grâce au développement des machines à moulin intégré, vient largement remettre en question l’usage des dosettes.
Un entrepreneur comme Lionel Giraud, passé par la direction de maisons comme Courrèges et Vuarnet, a bien saisi l’intérêt de traiter le café comme une denrée premium, en travaillant la qualité, mais aussi l’image, le design et, bien sûr, le service au client.
« Chez Momus, outre notre sélection très exigeante, nous proposons à chaque client de réaliser son propre blend selon ses goûts, grâce à une application qui procède au mélange selon les informations fournies. »
Une démarche que le chef Alain Ducasse propose aux professionnels de l’hôtellerie-restauration dans sa manufacture de café. « L’analogie avec la cuisine est au coeur de notre démarche, avec ce soin apporté à l’étape de la torréfaction, similaire à une cuisson, et aux mélanges que nous pouvons élaborer », souligne Veda Viraswami, le torréfacteur maison.
Et pourtant, malgré l’extraordinaire enthousiasme de ces nouveaux acteurs, le réchauffement climatique menace bien de voir un jour prochain la filière du café de spécialité s’écrouler. Aussi, l’adage du consommer moins pour consommer mieux et en conscience doit résonner plus que jamais dans l’esprit de tout un chacun dès lors que l’on porte une tasse de café à ses lèvres.
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