Voyage
Entre la Sunshine Coast et la Gold Coast, Brisbane émerge des sables. Désormais, on ne se contente plus de la traverser, on s’y attarde pour profiter, entre autres, de son offre culturelle. C’est la ville australienne qui monte.
La lumière, Brisbane en connaît un rayon. Baignée par le soleil de la côte Est australienne, la troisième ville du pays est réputée pour son climat subtropical. Et comme pour en rajouter une couche, le G20 la plaçait, en novembre dernier, sous les projecteurs du monde entier. Une opportunité rare pour la capitale de deux millions d’habitants de l’Etat du Queensland. « Ce n’est pas la première fois que nous bénéficions de visibilité. Nous avons accueilli les jeux du Commonwealth, en 1982, et l’Exposition universelle, en 1988. Mais le sommet du G20 nous a donné une nouvelle visibilité, c’est indéniable, reconnaît John Aitken, le CEO de Brisbane Marketing. Ce n’était pas un but, mais plutôt un tremplin. La préparation a pris deux ans. A cette occasion, nous avons construit 600 chambres d’hôtel, 1 200 autres sont encore en construction et 2 000 sont prévues à Queen’s Wharf, dans le cadre d’un projet majeur de développement. Nous souhaitons élargir notre offre touristique. Cet investissement de 3,5 milliards de dollars [2,303 milliards d’euros environ, NDLR] prend modèle sur Marina Bay Sands, à Singapour, qui a intégré ses casinos dans un resort. Nous avons développé beaucoup de synergies avec cette ville. » Et avec l’Asie-Pacifique en général, qui envoie de nombreux élèves étudier en Australie. En 2013, on comptait plus de 86 000 inscriptions d’étudiants étrangers dans l’Etat du Queensland – dont le plus grand nombre vient de Chine. « Le Queensland dépend de son agriculture et de ses ressources naturelles (charbon, plomb, zinc, cuivre, bauxite et gaz de houille) et, dans une moindre mesure, du pétrole. Quant à l’Asie, elle dépend du charbon et cherche des énergies plus propres. Nous faisons donc du commerce ensemble. » Brisbane compte près de 170 entreprises liées aux ressources naturelles. Ce secteur lui rapporterait environ 25 milliards de dollars australiens (16,45 milliards d’euros environ) par an.
Business minier et pétrolier
Un petit air de « Dallas » flotte dans les rues du Central Business District (CBD), où l’on s’attendrait presque à croiser J. R. et Sue Ellen. Ici, les ceintures en crocodile R. M. Williams, la marque de l’outback australien, ont encore la cote. Les chapeaux de Crocodile Dundee, un peu moins. En semaine, à midi, on s’étonne de voir autant de costumes-cravates que de joggeurs. C’est tout simplement l’Australian way of life : on fait du sport entre midi et deux ! Les touristes, eux, sont reconnaissables à leurs tongs. Ils sont de plus en plus nombreux, d’ailleurs, à prolonger leur séjour en ville avant de partir vers la Sunshine Coast et la Gold Coast. Et c’est assez nouveau. Il faut dire que Brisbane revient de loin… « Il y a dix-huit ans, le seul bon café de la ville était celui de McDonald’s ! » avance un chauffeur de taxi bosniaque, en riant. « Mais ça a bien changé », rétorque Joshua Wicks, qui a ouvert son café-restaurant, Northshore Harbour Café, au bord de la Brisbane River, dans le quartier Hamilton, en plein développement. « Brisbane était une ville endormie, elle s’est réveillée grâce à la caféine. Le café est devenu une véritable culture, ici. Le mode de vie a changé. Maintenant, les gens sortent. Reste à améliorer le service. Les Australiens ne sont pas forts dans les métiers de l’hospitalité. Le salaire minimum tourne autour de 16 dollars [10,50 euros, NDLR] de l’heure, ce qui n’est pas mal. Dans mon café, j’en offre 25 [16,45 euros, NDLR], pour m’assurer que mes salariés étrangers en Working Holiday Visa restent plus longtemps. Il n’y a qu’eux qui comprennent la notion de pourboire, ce sont les meilleurs serveurs ! » Il y a quelques mois, le chef surmédiatisé Jamie Oliver a posé son restaurant, Jamie’s Italian, dans le centre-ville, preuve, s’il en est, que Brisbane a le vent en poupe. Les adresses design sont d’ailleurs bien plus faciles à repérer qu’à Sydney ! Le restaurant avec terrasses Jimmy’s on The Mall, par exemple, est situé dans la rue la plus commerçante. Brisbane a aussi investi ses lanes (ruelles donnant sur les arrière-cours d’immeubles), comme à Melbourne.
L’ouverture au tourisme
Et ce n’est pas tout. De nouveaux concepts éclosent à Brisbane. Le groupe singapourien SilverNeedle Hospitality, qui possède une soixantaine d’hôtels, a posé ici les clés du tout premier hôtel de sa nouvelle enseigne, Next Hotels. Il s’agit là d’une révolution dans le monde hôtelier. « Nous nous sommes inspiré des lounges des compagnies aériennes, explique Elyse Kerr, directrice des ventes. Avant le check-in ou après le check-out, nos clients peuvent profiter d’un accès à une douche, à la piscine, à un bureau de travail, au bar, et même à nos fauteuils-cocons, dans lesquels ils peuvent dormir. » L’idée plaira aux grands voyageurs. D’autant que l’hôtel a le bon goût de prêter un téléphone portable, au cas où vous en seriez démuni. Autre idée visionnaire : la bibliothèque du xxie siècle. Daniel Flood, responsable de la création à la bibliothèque The Edge, explique : « Notre entité fait partie intégrante de la State Library of Queensland [bibliothèque publique construite par le gouvernement, NDLR], mais nous avons une approche bien plus active. On essaie d’en être la prolongation et d’apporter quelque chose que Google ne peut pas donner, à travers différents ateliers pratiques, qui vont du design en 3D à la reliure de livres. Enfin, notre but est aussi de rassembler et de préserver l’histoire et la mémoire du Queensland. » Une belle initiative, car, ici, l’histoire récente de la ville semble diluée, voire perdue dans le présent. Fondée en 1824 sur le territoire de deux tribus aborigènes, la ville fut d’abord une colonie pénitentiaire qui a accueilli les prisonniers les plus récalcitrants. Libérés dix-huit ans plus tard, en 1842, ils restèrent dans la région. « Brisbane vivait de l’élevage de moutons et de bœufs. La laine était envoyée en Angleterre », avance Mike Beston. Ce retraité à la casquette de greeter est un guide bénévole qui a bien du mal à pointer les bâtiments anciens. « Brisbane a longtemps été snobée par Sydney et Melbourne, qui la considéraient comme une ville provinciale. Pour changer d’image, Brisbane a démoli des bâtiments historiques afin d’ériger des tours. » On doit surtout cette cicatrice urbaine à l’ancien Premier ministre du Queensland, Joh Bjelke-Petersen, qui, entre 1968 et 1987, dirigea l’Etat d’une main de fer, tout en distillant une corruption à grande échelle.
La mutation culturelle
Brisbane a donc poussé sans réel plan urbanistique. Une voie express surélevée longe le fleuve, détruisant l’harmonie du centre-ville, truffé de centres commerciaux. « Les vieux bâtiments sont occupés par des fonctionnaires, reprend Mike Beston. L’Etat du Queensland est surgouverné : une ou deux personnes sur cinq travaillent au sein de l’Administration ! » s’emporte-t-il. Près du jardin botanique de la City, un bâtiment attire le regard : « C’est le Queensland Club. A l’origine, il fallait être éleveur et propriétaire d’un ranch pour en être membre. Aujourd’hui, il est fréquenté par des politiciens. C’est le dernier bastion du colonialisme. Les femmes sont acceptées au restaurant, mais pas au bar, sauf le samedi. » Brisbane a conservé son héritage de la Couronne britannique, tout en le mariant aux cultures américaine et asiatique. Un mélange surprenant, qui rend cette ville intrigante. Côté culture, la Queensland Art Gallery et la Queensland Gallery of Modern Art, rassemblées sous l’acronyme QAGoMA, sont installées sur les South Bank Parklands, le long du fleuve Brisbane. « Nous nous positionnons comme l’un des musées majeurs d’Asie-Pacifique. Ce n’est pas pour rien que nous avons lancé la Triennale d’art contemporain d’Asie-Pacifique, souligne Chris Saines, directeur du QAGoMA. Nous devons être le deuxième ou le troisième musée le plus visité d’Australie. Entre 2013 et 2014, nous avons accueilli 1 325 000 visiteurs pour les deux bâtiments confondus. » A quelques pas de là, le Performing Arts Centre est, lui aussi, un haut lieu de spectacles et de concerts, qui a accueilli en 2013 le ballet du Bolchoï – lequel n’avait pas fait un saut de chat en Australie depuis vingt ans. En longeant le fleuve, on tombera sur quelques œuvres d’art – dont une du célèbre artiste aborigène Daniel Boyd – mises en place grâce à une politique culturelle initiée en 1999, qui prévoyait le versement, pour chaque nouvelle construction immobilière, d’une somme dédiée à l’achat d’œuvres d’art. Brisbane serait-elle en passe de perdre son surnom de « Brisvegas », en référence à son passé de ville-casino et à son manque de propositions culturelles ? Sans aucun doute. On s’y balade avec plaisir, notamment dans ses différents quartiers, qui sont autant de villages collés les uns aux autres. Un point d’interrogation plane cependant sur la ville, qui vit beaucoup des ressources naturelles qui l’entourent. Le charbon a perdu de sa valeur, et le plus grand projet charbonnier du monde, Alpha Coal, situé dans le centre-ouest du Queensland, dans le bassin de Galilée, vient de perdre le financement des banques françaises. Elles se sont finalement alignées sur les environnementalistes défendant la Grande Barrière de corail, déjà en danger. Et qui n’est pas si loin. Brisbane a donc plus que jamais besoin de lumière, bien décidée à « booster » son attrait touristique.
Les fly-in fly-out (FIFO)
Capitale du Queensland, Brisbane accueille de nombreux fly-in fly-out (FIFO), des ouvriers et ingénieurs qui font des navettes entre la ville, où ils résident avec leur famille, et les sites miniers de l’Etat, où ils travaillent. Tom
(le prénom a été changé, NDLR) est employé par WorleyParsons, un bureau d’études et de conseil en ingénierie australien, spécialisé dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie. Il a longtemps enchaîné les contrats avant
de se poser. « C’est un rythme qui n’est pas pour tout le monde. On est en plein désert, sous plus de 40 °C, au milieu de serpents, d’araignées redback et de dingos. » Tom était sur un roulement de 19 jours sur place et de 9 jours de repos. « Certains FIFO enchaînent trois ou quatre semaines sur le camp et une semaine chez eux. Plus on reste longtemps sur place et plus on est payé. La fourchette de salaire varie entre 100 000 $ (69 270 € env.) et 400 000 $ (277 000 € env.) par an. Ça s’applique aussi à la standardiste. » Beaucoup de familles, à Brisbane et dans le Queensland (comme à Perth et aux alentours), vivent ainsi en part time. Sans surprise, on assiste parfois
à des débordements les samedis soir dans le quartier de Fortitude Valley, à Brisbane, où, dans certaines rues, les bars et les clubs sont à touche-touche. Les jeunes de 20 ans boivent littéralement leur paie. Là, des chaplains watch (des aumôniers) tentent de remettre les brebis égarées dans le droit chemin.
Pratique
Se renseigner
Offices du tourisme d’Australie et de Brisbane : www.australia.com et www.visitbrisbane.com.au
Y aller
Voyageurs en Australie propose un circuit « Sunshine Coast » incluant Sydney, Brisbane, Fraser Island, Byron Bay, Cairns et la Grande Barrière de corail, à partir de 5 500 € par personne.
www.voyageursdumonde.fr