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Fabrice Brégier, directeur exécutif d'Airbus
Fabrice Brégier, le président d'Airbus, lors du lancement du BizLab en mars 2015.
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Avec le Bizlab, Airbus fait décoller l’innovation

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Le consortium européen a bien compris que l’innovation et la haute technologie sont les clés de la réussite d’après‑demain. Son incubateur, BizLab, a une approche assez iconoclaste. Visite de l’antenne toulousaine, tout près du siège.

Quand on atterrit à l’aéroport de Toulouse Blagnac, le regard embrasse d’un coup tous les sites toulousains du groupe Airbus qui s’égrènent autour de la piste. A quelques encablures du chantier du futur siège social, un immeuble anonyme de deux étages abrite une nouvelle unité embryonnaire du leader de l’aviation civile, sans doute cruciale pour son avenir. La prise de conscience du rôle central de l’innovation dans le futur de l’entreprise s’est traduite par une initiative originale, le BizLab. Tout est parti d’un constat : l’aéronautique est un secteur définitivement à part du fait de ses contraintes industrielles, réglementaires et sécuritaires. Du coup, les financiers comme les entrepreneurs répugnent à investir dans ce business aux retours longs et toujours incertains. D’où l’idée de créer cet incubateur de projets ouvert aux employés d’Airbus comme aux entrepreneurs extérieurs désireux de se lancer sur ce marché si particulier. Les experts, fournisseurs et clients d’Airbus, quelle que soit leur spécialité, sont présents au quotidien pour accompagner les jeunes pousses qui sont ensuite encouragées à lancer leurs produits sur d’autres marchés où elles bénéficieront de l’image de marque prestigieuse de l’aéronautique. Le but n’est bien entendu pas de concevoir un nouvel A380, mais d’apporter des innovations en continu à un secteur qui en est avide.
Lancé en mars 2015, le BizLab toulousain, le premier du nom, a rapidement vu fleurir des rejetons en Allemagne, à Hambourg (en septembre 2015), et en Inde, à Bangalore (en novembre). Chaque lancement s’est accompagné d’un appel à projets extérieur. Sur les 150 dossiers reçus, quatre ont été sélectionnés pour intégrer l’accélérateur. Et pour détecter en interne les projets innovants, Airbus a décidé de s’affranchir de la hiérarchie et de nommer des relais dans chaque service. Cette centaine de « catalystes » est chargée de propager la bonne parole de l’innovation et de faire remonter au BizLab les initiatives les plus intéressantes. C’est lui qui formalise la première version du projet avec l’« intrapreneur » sur un simple recto A4 avant de le défendre devant un comité chargé de faire le tri.

Bruno Gutierres, l’âme du BizLab

S’il a fait ses études à la Toulouse Business School, Bruno Gutierres a commencé sa carrière d’entrepreneur non pas dans l’aérien, mais dans le numérique. Il part alors vivre aux Etats-Unis, et revient en France quand Air France cargo le recrute pour optimiser ses capacités de transport. C’est là qu’Airbus le débauche pour lui confier une mission délicate : gérer les surcapacités des Beluga, ces cinq gros porteurs hydrocéphales chargés d’acheminer les pièces détachées entre les différents sites du constructeur paneuropéen. Il accompagne ainsi hélicoptères et satellites de Baïkonour à Sydney et de Cayenne à Cape Canaveral. Puis il se colle à la mise en place logistique d’une chaîne de montage d’A320 en Chine. S’il évolue à la marge de l’activité principale d’Airbus, Bruno Gutierres reste un homme de nouveaux projets, un défricheur. Il rejoint donc logiquement la direction stratégique du constructeur où il donne vie au projet BizLab, tout en s’investissant dans la vie du Stade toulousain, le rugby étant son autre passion…

Bruno Gutierres, le directeur du BizLab.
Bruno Gutierres, le directeur du BizLab. Airbus sas 2015- all rights reserved - H. gousse

Le rôle des accompagnateurs
S’il est retenu, le projet est transmis à l’un des coachs du BizLab. Ces employés d’Airbus ont été formés à cette mission d’accompagnement dans un accélérateur de Lisbonne, nouvelle capitale européenne des start-up. Ce ne sont pas des chefs de projet, mais plutôt des accompagnateurs : ils bâtissent le programme d’accélération et repèrent des personnalités (chez Airbus ou dans son écosystème) susceptibles d’apporter leur aide. Ils forment ainsi la clé de voûte de l’organisation. Ce sont aussi, dans l’esprit de Bruno Guttieres qui dirige la structure (lire encadré) « des évangélisateurs qui doivent faire connaître le rôle du BizLab et propager la bonne parole de ces nouveaux modes de fonctionnement ». Si le BizLab s’engage à fournir une aide logistique ainsi que l’accompagnement de ses précieux experts – à l’exception de ce qui est produit en interne –, il ne finance pas lui-même les projets incubés, essentiellement liés au numérique. Néanmoins, des passerelles existent avec des organismes spécialisés dans cette activité comme AB Ventures. A l’issue du programme d’accélération, le BizLab se rémunère en prélevant 3 % de la première levée de fonds, un taux plutôt modique comparé à ce qui se pratique habituellement. Mais l’intérêt d’Airbus va bien entendu au-delà de l’aspect strictement pécuniaire. « Le monde de l’aviation a une vision à long terme. On a intérêt à aider ses acteurs à se développer sur d’autres marchés pour qu’ils puissent se financer avant que l’aéronautique ne leur rapporte du cash. » Sans contrat en bonne et due forme, les entreprises hébergées s’engagent simplement à ne pas vendre leurs services à des concurrents du secteur aéronautique.

Les élues

Les quatre premières start-up repérées hors Airbus préparent leur envol dans les bureaux du BizLab. Revue de détail.

Paperclip Design : née à Hong Kong, cette jeune pousse prépare les premiers prototypes de nouveaux fauteuils premium.
3d Trust : l’algorithme de cette entreprise franco-allemande permet de vérifier le nombre d’exemplaires et l’intégrité des piè ces fabriquées à partir d’un fichier d’impression 3D.
OBUU : ces entrepreneurs espagnols proposent d’optimiser l’asset management des compagnies aériennes, soit leur parc de sièges disponibles.
UWinLoc : la start-up toulousaine a créé des tags qui permettent de géolocaliser une pièce dans un entrepôt avec une précision de 15 cm et sans batterie.

D’autres projets développés par des intrapreneurs visent, par exemple, à introduire l’utilisation de tablettes dans les cockpits pour que les pilotes puissent choisir à tout moment la meilleure trajectoire.

Accélérateur hybride
Avant de se lancer dans cette aventure et de penser le lieu, Bruno Guttieres a d’abord ­visité des incubateurs renommés. Dès qu’on pénètre dans le BizLab, l’ambiance est bien différente des sages bureaux d’études du constructeur… Murs vert pomme, omniprésence du blanc et du bois brut, bar central où se retrouvent les employés, ardoise affichant les prochains workshops… Chaque projet hébergé dispose de son propre territoire dans l’open-space et d’un trolley d’avion customisé qui fait office de totem. Tout est fait pour maximiser les échanges entre les différentes équipes. L’usage du téléphone étant interdit dans l’espace commun, des cabines sont aménagées dans le fond de la pièce. Elles voisinent avec des salles borgnes où l’on peut s’isoler pour travailler, un court laps de temps, loin de la fébrilité ambiante. Enfin, l’Agora est un lieu central. Dans cette pièce lumineuse située au milieu du BizLab se déploient trois rangées de gradins habillés de coussins bleus. C’est ici, au contact immédiat d’un auditoire, que l’on apprend à « pitcher » son projet et à le présenter de façon synthétique. Pour des entrepreneurs dont le profil est souvent très technique et qui sont habitués aux présentations longues et exhaustives avec projection de dizaines de visuels, présenter leur vision en 10 minutes à la façon d’une conférence TED et sans l’appui d’un Powerpoint est souvent un défi. C’en est un aussi pour les décideurs d’Airbus, qui doivent prendre rapidement une décision sur la viabilité technique et commerciale du projet qui leur est soumis. Les BizLab d’Hambourg et de Bangalore disposent d’un lieu quasi identique.

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