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L’hypothèse de Nanni Moretti dans son film pourrait être la meilleure des parades. Partons en scooter à Rome sur les pas du réalisateur - The Good Life
L’hypothèse de Nanni Moretti dans son film pourrait être la meilleure des parades. Partons en scooter à Rome sur les pas du réalisateur.
Marine Mimouni

Voyage

Balade en scooter à Rome : Sur les pas de Nanni Moretti

Voyage

Il ne faudrait pas le dire. Sans doute ne pas l’écrire, mais le centre historique de Rome est dépassé par son succès. Neurasthénique et trébuchante, la terre entière s’y marche sur les pieds. Il s’agit donc de réinventer le voyage. L’hypothèse de Nanni Moretti dans son film Journal intime pourrait être la meilleure des parades. Partons donc en scooter à Rome sur les pas du réalisateur Nanni Moretti.

Dans Journal intime, Nanni Moretti se met en scène dans une Rome déserte, au guidon de sa Vespa.
Dans Journal intime, Nanni Moretti se met en scène dans une Rome déserte, au guidon de sa Vespa. Gabriele Stabile

Rome vue par Nanni Moretti

Le film « Journal intime » tourné en 1993 parle d’une autre Rome. « C’était une Italie émouvante, réagit la romancière Simonetta Greggio, on chantait ensemble. On pensait alors qu’on allait y arriver. Rome était un peu “stal” [stalinien, NDLR], mais tellement vivante. On pouvait avoir la misanthropie et la tristesse de Nanni Moretti, mais, depuis, celles-ci l’ont submergé, la ville avec. Elle était drôle, désopilante, aujourd’hui la ville est statufiée sans même son joyeux désespoir. Les beaux magasins tirent la devanture et les mots nous manquent. »

École Cesare Battisti, piazza Sauli, quartier de la Garbatella.
École Cesare Battisti, piazza Sauli, quartier de la Garbatella. Gabriele Stabile

Le film de Nanni Moretti connaît un joli succès. À Cannes, il remporte le prix de la mise en scène (1994). « Nanni ­Moretti, raconte Frédéric Bonnaud, directeur de la Cinémathèque française, a pris un malin plaisir à éviter le centre historique, il part à la rencontre de ses fantômes, l’Italie fasciste, Pasolini… Il nous parle d’une autre beauté de Rome, éclatée, nullement homogène. À Cannes, Catherine Deneuve dut s’employer à convaincre Clint Eastwood, le président du jury. Celui-ci se demandait : “Mais qui est cet Italien qui se filme de dos sur son scooter. Ce n’est pas du cinéma, ça !” »

Vue depuis la colline du Janicule.
Vue depuis la colline du Janicule. Gabriele Stabile

Précisément, Nanni Moretti se filme de dos. Il est sur un scooter qu’il a fait repeindre en vert. Tout le monde le pense blanc, mais il apparaît bleu sur les images. Il part dans la ville. Et nous le suivons. Son parcours en est presque incongru, d’une liberté invraisemblable. Il glisse d’un quartier à l’autre, comme une libellule au ras du bitume.

Nanni Moretti, l’égocentré face au monde partagé

Nanni Moretti arrive à un tournant majeur du cinéma. Issu de la Nouvelle Vague, il débarque dans un monde où la télévision fait déjà rage. Il doit donc faire face à une capacité d’émerveillement moins grande d’un public qui n’aura de cesse par la suite de se disperser. D’où son cinéma souvent autobiographique, autocentré pour le plus grand plaisir d’un public se gorgeant de son regard désabusé, mélancolique, mais toujours vif, presque neuf dans un monde blasé.

Près de la piazza del Popolo.
Près de la piazza del Popolo. Gabriele Stabile

Son Journal intime nous touche parce qu’il est simple ; tellement vivant. Il nous ressemble dans nos atermoiements, nos doutes et notre candeur. Le film fut tourné dans une Rome au mois d’août. D’où ces immensités, ce vide fascinant. Nanni Moretti est de dos bien souvent, nous délivrant un travelling aspirant. Une Citroën Méhari le suivait et captait ce road-movie incisif, désarmant, mêlant l’émotion (le recueillement sur le mémorial de Pasolini, à Ostie), l’invraisemblable (la rencontre avec Jennifer Beals) et cette fantaisie romaine que nous  voulons non sans raison croire éternelle.

Un voyage romain hors du commun

Parcourir la ville de la sorte rend la visite organique, vibrante, glissant d’une fraîcheur herbacée à une chaleur d’asphalte. Rome au mois d’août devient alors féerique, offerte et inédite. Nanni Moretti s’étonne lui-même. À Spinaceto, au sud de la ville, Moretti se souvient en avoir entendu parler de façon négative. Alors, allons voir -Spinaceto. Surprise, le quartier s’est assagi dans son modernisme désuet, tout en gardant cette réputation indocile et trouble. Il entre encore dans le domaine des insultes locales et des dénigrements.

L’Hôtel de Russie, un havre de paix au cœur de Rome.
L’Hôtel de Russie, un havre de paix au cœur de Rome. DR

Mais le temps imperturbable lisse le tout, sédimente le quartier. Il nous regarde imperturbable, la paupière lourde. De fait, Nanni Moretti nous donne une grande leçon de voyage. Il le fait à la première personne. Il nous pousse à nous jeter dans cette défenestration intime, dans une apesanteur fraîche, interrogative. Faire un pied de nez au tourisme dominant, se mettre en porte-à-faux avec la vérité historique, balayer les siècles. Comme lui, du reste, au cinéma, se jouant de toutes les contraintes du scénario, se moquant du devoir de raconter une histoire. 

« Sentir, ressentir, humer, faire parler son alphabet personnel »

Dans le quartier de Casa Polecci, c’en devient surréaliste et magnifiquement drôle : « En passant devant ces maisons, commente Nanni Moretti, je sens une odeur de survêtement, de vidéocassettes, de chiens de garde dans les jardins et de pizzas déjà cuites dans leurs boîtes en carton. » Soudainement, ce quartier nous saute aux yeux, dans son individualisme forcené, jurant avec le vivre « ensemble » (façon de parler) de Spinaceto. On se prend au jeu de cet « intellectuel égaré, magnifique quadragénaire ». Le scooter aussi se met à sauter sur les racines émergentes des pins parasols. Il y a comme un dialogue entre le sol tour à tour vibrant, lisse de monotonie ou tressautant comme un beau diable, insultant nos lombaires.

La piazza del Popolo vue depuis Portadel Popolo.
La piazza del Popolo vue depuis Porta
del Popolo. Gabriele Stabile

C’est donc cela le message du film, il y avait en nous un voyage qui s’était blotti, nous le libérons. Nanni Moretti nous donne confiance, nous laisse aborder les incongruités avec bienveillance. Ce matin, son cinéma est entrouvert. Il prépare sa rentrée. Un peintre est sur une échelle instable. Il repeint les lettres de l’entrée disposées en -demi-cercle : Nuovo Sacher. À l’intérieur, un homme de ménage humidifie le sol. « Entrez, mais faites attention, là, j’ai passé la serpillière. » Un couloir en dédale nous mène à une apparition -céleste en bleu marial. Le cinéma en plein air, le ciel offert, la possibilité d’une soirée la tête dans les étoiles.

En scooter, l’autre visage de Rome

Apparaît alors une autre Rome, loin de celle que nous avions gaiement laissée aux autres. Nous les avions enfermés, égarés, le cornet de glace dans une main, l’autre sur le portable, cheminant par grappes taciturnes, bus, groupes, écoles, caillots de piétons… Nous voici livrés au vagabondage du scooter, à la poétique du sens interdit. Une rue s’offre-t-elle en son ombre arborée que nous l’empruntons le sourire aux lèvres. Plus personne. Parfois une terrasse au frais, un glacier -creusant ses quenelles parfumées. Jamais Rome n’avait paru autant disponible.

Cinéma en plein air Nuovo Sacher.
Cinéma en plein air Nuovo Sacher. Gabriele Stabile

Comme Moretti, nous interrogeons le fronton des maisons, les nouveaux personnages de la ville. Serions prêts à questionner leurs habitants. Nous quêtons l’apparition d’une Jennifer Beals sur la Viale di Porta Ardeatina. Hélas, il n’y a, abandonnée, qu’une bicyclette en libre-service, la hantise des loueurs de scooters. Pas loin de là, dans le quartier de Testaccio, l’incontournable Café du Parc est fermé. Dans son Journal intime (en fait Caro Diaro, « cher journal », nuance…), Nanni Moretti y boit son café. « En bon intellectuel anorexique qu’il se doit d’être, constate Nicoletta Pacetti, traductrice et observatrice, la nourriture n’a guère de place dans ses films, tout juste un morceau de parmesan râpé qu’il dépose sur la pasta lors de la visite à sa maman à l’hôpital. » (Mia Madre, 2015). Le Café du Parc est en vacances, ce n’est pas grave.

« Le cinéma nous a au moins appris à faire revivre des lieux désertés »

Le Café Tram Depot.
Le Café Tram Depot. Gabriele Stabile

Tout à côté, Via Marmorata, d’un coup de scooter, un autre kiosque (Tram Depot), le patron se tord le cou à chérir le cappuccino. Tout au loin se découpe dans le ciel l’auguste fronton de la stazione elettrica Roma-Ostia Lido. Toute la poésie ferroviaire peut alors se déclencher sans même que vous ne fassiez frémir le disque de crème de votre café. La torpeur de la chaleur aidant, notre seuil de vigilance s’émousse. Entrent alors dans le champ visuel des images incongrues. Elles fonctionnent un peu comme nos lèvres qui chantonnent sur un air familier.

 

Dans les rues de Rome.
Dans les rues de Rome. Gabriele Stabile

Se superposent alors des images d’antan, celle d’un Fellini Roma (1972) : le tramway circule dans les rues étroites du quartier de San -Lorenzo et frôle des grandes tablées familiales. On mangeait ensemble alors, on chantait. Le silence ne demande qu’à se laisser habiller de musiques lointaines : Bach et Pasolini (Accattone, 1961), ou encore Vivaldi dans Mamma Roma (1962) et son bouleversant Concerto en ré mineur pour basson. Vibrent toujours The Beatitudes, de Vladimir Martynov, interprété par le Kronos Quartet dans La Grande Bellezza, de Paolo Sorrentino (2013), les harpes de Nino Rota à la fontaine de Trevi (La Dolce Vita, ­Federico Fellini, 1960). Monte encore et encore dans votre gorge le poignant et terrassant thème de Camille, de Georges Delerue, dans Le Mépris, de Jean-Luc Godard (1963). Il fut certes tourné sur l’éperon cubiste de la villa Malaparte à Capri, mais surtout à Cinecittà, et aussi le long de la Via Appia -Antica et dans le quartier de Tiburtino.

Les détails de l’architecture romaine.
Les détails de l’architecture romaine. Carlos Ibanez

Hôtel de la Ville, discret et hautement civilisé

Certes, il n’y pas ici le panache irrésistible de l’Hôtel de Russie, sa clientèle ostentatoire, sa classe épatante, mais dans ce palais du XVIIIe siècle, appartenant du reste au même groupe Rocco Forte, il y a précisément ce que recherche une belle clientèle préférant cet entre-soi discret et raffiné. De surcroît, après une rénovation spectaculaire des 104 chambres et suites en 2020, l’Hôtel de la Ville, au sommet de l’escalier d’Espagne, surplombe la Ville éternelle, délivre des vues imprenables tout en pianotant une partition faite de la romance italienne et de la fraîcheur contemporaine. Inutile donc de se languir dans le lobby, mais gagner sa chambre au confort profond et se préparer à musarder entre les étages.

Vespa Elettrica, la révolution silencieuse

Difficile de ne pas rester insensible devant cette nouvelle bombinette glissant comme un souffle sur l’asphalte. La Vespa Elettrica appartient délibérément à son temps puisque, grâce à son interface Bluetooth, votre smartphone devient une véritable source de paramètres en temps réel et d’informations sur l’utilisation du véhicule : durée et distance du voyage, pourcentage de charge de la batterie, statistiques sur les 30 derniers parcours. Le reste pourrait presque être secondaire, comme la vitesse passée maintenant à 70 km/h, des finitions personnalisées (jantes, liseré des plaques…), des couleurs dolce vita : jaune éclair, bleu électrique… Zéro émission et l’élégance naturelle de la Vespa comprise (dès 6 999 €).

> Vespa.com

Les sculptures de la fontaine de Trevi.
Les sculptures de la fontaine de Trevi. Christopher Czermak

S’y trouvent un vaste spa (550 m2) d’inspiration sicilienne rappelant la belle implantation du groupe en Sicile (le Verdura Resort et, depuis peu, la Villa Igiea, à Palerme), et, au deuxième niveau, une cour ravissante rappelant le dispositif de l’Hôtel de Russie avec ses parasols et ses balcons. Les aficionados du chef Fulvio Pierangelini y retrouveront les accents d’une cuisine sublimement simple et accomplie, délivrée au restaurant Da Sistina ou au Cafe Mosaico. Pour finir la soirée, ou la commencer, le sixième étage et son toit aménagé sont sans doute la meilleure façon d’ancrer quelques souvenirs, de picorer quelques assiettes troussées comme il se doit et d’y ouvrir quelques flacons adéquats. Service souriant sachant garder une aimable distance, ambiance calme et divinement civilisée.

Le Colisée, monument emblématique de Rome.
Le Colisée, monument emblématique de Rome. Clay Banks

Des instants mémorables en scooter

La route est sinistre comme par inclinaison : des matelas abandonnés, une casse automobile… Les moustiques y tiennent congrès, mais nous voici immobiles devant la stèle. Lors du montage de cette séquence, Nanni Moretti avait branché un électrophone et jouait ce disque. Il s’est glissé dans la bande originale comme vous dans la doublure de ce film. Au retour, les terrasses sont déjà à l’heure de l’apéritif. Le quartier de Garbatella n’y échappe pas. Surjoue presque cette heure tant la pandémie a privé les Romains d’eux-mêmes.

« Il est une autre mélodie forte, improvisée au piano par Keith Jarrett lors de son concert à Cologne, le 24 janvier 1975. Elle viendra se plaquer lors de votre arrivée vers le mémorial Pasolini »

Vacances romaines en Vespa électrique.
Vacances romaines en Vespa électrique. Gabriele Stabile

Dans ces quartiers naguère îlotés par Mussolini, la population que l’on pensait mélangée s’est gentrifiée. À la trattoria Tanto Pè Magnà : que du beau monde, l’épiderme crémée, la chevelure enrichie, des fronts hauts et de l’éducation, mais la carbonara est poussive, la cacio e pepe laborieuse, comme si la cuisine était gagnée par le cynisme politique ambiant. Après tout, pourquoi s’en faire comme semble le dire le nom du restaurant : on mange et basta. Il semble alors que Rome soit devenue binaire, reprenant les dualismes de Romulus et Rémus. Elle semble capable du pire, mais sans arrêt du meilleur.

Viale di Porta Ardeatina.
Viale di Porta Ardeatina. Gabriele Stabile

Lorsque le jour se met à tomber, Rome place ses pions, déploie ses sortilèges. On voudrait retrouver Vacances romaines (1953), se glisser à l’arrière de Gregory Peck et, dans le noir et blanc, retrouver l’insouciance d’Audrey Hepburn, son petit foulard de soie imprimé noué autour du cou, la jupe beige évasée, la ceinture assortie, ces sandales nouées autour de la cheville. Le cinéma est bon garçon, il embarque tout le monde. Précisément, sur la Vespa de Nanni Moretti, le siège arrière était libre. 

Nos bonnes adresses à Rome

L’hypothèse de Nanni Moretti dans son film pourrait être la meilleure des parades. Partons en scooter à Rome sur les pas du réalisateur - The Good Life

 

 

 

 

  • Tram Depot. Non loin du Café du Parc, au bord de la verdure, réputé à juste titre pour son cappuccino.

> Via Marmorata, 13. 

  • Pesceria Re di Roma. Table toute simple de quartier avec son étal de poissons du jour et une spécialité fringante, les raviolis fourrés à la burrata accompagnés de scampi : che bomba ! Terrasse sur la rue, service décomplexé.

> Via Appia Nuova, 234. 

  • Tanto pè Magnà. Solide adresse romaine délivrant ses spécialités à une clientèle ravie d’être là, mais guère éprise de qualité. Accueil ferme, prix paisibles.

> Via Giustino de Jacobis, 9.

  • Armando al Pantheon. On pourrait croire à un repaire à touristes. Que nenni : la cuisine romaine telle qu’on l’attend avec des poulpes, des légumes, des spaghetti alle vongole et un accueil délicieux.

> Via Salita de’ Crescenzi, 31.

  • Roscioli, l’épicerie-restaurant. L’une de nos adresses préférées de Rome, pétillante, sensuelle, gorgée de saveurs.

> Via dei Giubbonari, 21-22.

  • Dar Filettaro. Monument de cette adresse populaire bondée : la morue frite !

> Via Largo dei Librari, 88.

  • Da Cesare. Prendre le tramway jusqu’à son terminus pour découvrir la table de Leonardo (il parle un français parfait). Tout y est bien, simple, généreux, coloré : le ragoût incroyablement « pur » et digeste, la queue de bœuf fondante, les pizzas de première… Sans oublier une carte des vins magnifique orientée vers les vins nature.

> Via del Casaletto, 45.

  • Glacier Otaleg. Parfois, on peut y voir Nanni Moretti se délecter de ces glaces inscrites dans tous les répertoires des foodies.

> Via di San Cosimato, 14A.

  • Un verre à l’Hôtel de Russie. Pour le formidable casting cossu, bienheureux et régulièrement spectaculaire dans l’une des plus belles cours-jardins de la ville. Épatant. Table bienheureuse supervisée par Fulvio Pierangelini lui-même.

> Via del Babuino, 9. Roccofortehotels.com

  • Un deuxième verre à l’Hôtel Locarno. Ouvert en 1925, cet hôtel fut et reste l’hôtel des célébrités, des paparazzis, des cinéastes et des voyageurs.

> Via della Penna, 22. Hotellocarno.com

  • Rental Bike and Vespa and Classic Fiat 500. Adresse très efficace en matière de location de Vespa. Demander l’affable Francesco.

> Via di San Calisto, 9. Romeforyou.net. Encore plus de renseignements : Enit.it 

> Pour vous accompagner dans cette balade, retrouvez la playlist « The Good Life #55 – Good Journal » de François Simon sur Spotify.


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