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En 2029, Ruinart fêtera ses 300 ans d’existence. Pour célébrer cette longévité, mais aussi regarder vers l’avenir, d’importants travaux ont été menés au 4, rue des Crayères, son adresse mythique, à Reims. En regard des bâtiments historiques, l’architecte Sou Fujimoto signe un pavillon contemporain qui dialogue avec l’héritage de la plus ancienne des maisons de Champagne sans se laisser intimider.
En France, Sou Fujimoto s’est fait connaître du grand public avec L’Arbre blanc, une folie architecturale – c’était le programme –, à Montpellier. Réalisé en 2019 (avec Laisné-Roussel et Manal Rachdi/Oxo), le bâtiment a fait parler de lui. Très médiatisé, il fut autant l’objet de critiques que de louanges. Motif de la controverse ? 113 logements avec de généreux balcons et terrasses, contenus dans une surprenante tour de 17 étages hérissés d’excroissances, célébrant le « vivre dehors ». L’architecte est aussi à l’origine du 4, rue des Crayères, l’adresse mythique de Ruinart.
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Un pavillon dans les reflets du passé
En 2016, année de naissance de l’agence parisienne de Sou Fujimoto, la polémique était venue de « Mille Arbres », proposition lauréate de l’appel à projets innovants « Réinventer Paris » remportée avec la même équipe. L’idée ? Planter 1 000 arbres au-dessus du périphérique parisien pour en faire un « laboratoire de dépollution urbaine ». Le projet est aujourd’hui aux oubliettes pour les uns, en cours pour les autres. L’avenir tranchera.

Plus récemment, il a livré sur le plateau de Saclay le Bâtiment d’Enseignement Mutualisé (BEM), partagé entre sept écoles d’ingénieurs prestigieuses parmi lesquelles Polytechnique ou Agro Paris Tech. Vitrine de l’excellence française en matière d’enseignement supérieur, cet édifice, tout en transparence et porosité, ne passe pas inaperçu avec son dédale d’escaliers.
En France, l’architecte japonais est ainsi associé aux projets un poil tape-à-l’œil, aux antipodes de l’épure nipponne, mais toujours blanc immaculé. Au Japon, on lui doit de remarquables maisons individuelles (HouseNA, HouseN, HouseO) qui ont forgé sa notoriété. Il achève actuellement le bâtiment phare de l’exposition universelle d’Osaka 2025 : le Grand Ring, une impressionnante structure en bois sans assemblage mécanique ou presque, formant un cercle de deux kilomètres de long.

À Shenzhen, c’est un musée de 110 000 m² – le Reform and Opening-up Exhibition Hall – que termine Sou Fujimoto qui, à 53 ans, fait partie de ces « starchitectes » internationales dont le seul nom suffit à susciter l’intérêt. Aussi, quand le Japonais associe le sien à celui de Ruinart, la plus ancienne des maisons de Champagne, le mariage s’avère aussi enthousiasmant que prometteur.
Un écrin pour les visiteurs
Dirigé par Frédéric Dufour et propriété de LVMH, Ruinart fêtera ses 300 ans en 2029. Dans un univers très concurrentiel, les maisons de Champagne se doivent d’innover pour se différencier. Aussi, le 4, rue des Crayères a entrepris une métamorphose ambitieuse pour ancrer la marque dans la modernité et affronter le siècle à venir.

Pièce maîtresse de la transformation, un nouveau pavillon d’accueil vient enrichir la sacro-sainte « expérience visiteur », graal de toutes les maisons de luxe. L’affaire est délicate puisqu’il s’agit d’intervenir dans un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2015, parmi les Coteaux, Maisons et Caves de Champagne, et plus précisément sur la colline Saint-Nicaise.
Sous cette butte de craie, composée d’anciennes carrières et de puits, se déploient pas moins de 57 kilomètres de galeries où sont stockées et conservées, dans des conditions idéales de vieillissement, les productions de plusieurs grandes maisons parmi lesquelles Ruinart. Une consultation est donc organisée en 2019, invitant plusieurs architectes à réfléchir à cette commande.

En guise de brief, une phrase de Léonard de Vinci : « La simplicité est la sophistication suprême. » Du nom des candidats, on ne saura rien ou presque. Du budget alloué au lifting non plus. « Confidentiel », nous dit-on. Sou Fujimoto l’emportera à la faveur d’une proposition qui, exprimant l’univers Ruinart, se tourne résolument vers l’avenir tout en célébrant l’héritage, sans nostalgie.
Au 4, rue des Crayères, c’est l’architecture, et non des dispositifs éphémères ou ludiques, qui façonne la qualité de cette fameuse expérience visiteur. La pérennité a été privilégiée, de même que tout geste emphatique a été remisé dans les caves. Pour autant, l’architecte japonais ne s’est pas effacé, parvenant à incarner Ruinart dans ce bâtiment singulier d’un peu plus de 1 000 m², construit en pierre de taille, flanqué d’une façade vitrée et d’une toiture concave asymétrique.

Le chantier ne fut pas de tout repos. Construire sur des crayères est une entreprise périlleuse, de même que mener des travaux de cette envergure sans interrompre l’activité de production ne facilite pas la tâche. Après trois années intenses, l’inauguration s’est déroulée le premier week-end d’octobre 2024, l’occasion pour Zaho de Sagazan de chanter devant un parterre d’invités prestigieux.
Mise en scène du site historique
L’expérience architecturale débute dès l’arrivée devant le 4, rue des Crayères. Énigmatique, l’entrée s’effectue par un cheminement creusé entre de hautes parois minérales qui plongent les visiteurs dans une étonnante faille spatiale entre la rue et la maison Ruinart.

Ces murs épais, réalisés en béton, rappellent les anciennes carrières de craie jusqu’à reproduire les traces des outils sculptant la pierre. Particulièrement réussie, cette séquence conduit progressivement au pavillon imaginé par Sou Fujimoto, tout en courbes, coiffé d’une toiture incurvée. À ce stade, le site historique est encore invisible.
On pénètre ensuite dans le nouvel édifice en apparence opaque, à travers un premier espace, introverti et éclairé zénithalement à la manière des crayères. Puis, sans transition cette fois-ci, s’ouvrent des portes automatiques qui dévoilent instantanément une vue majestueuse sur la cour d’honneur à travers une façade entièrement vitrée. L’effet est pour le moins saisissant.

Face au bâtiment historique organisé en U, cet écran de verre évanescent est sérigraphié, inspiré par l’effervescence des bulles de champagne qui montent lentement dans la coupe. « Nous souhaitions fermer la cour historique sans la fermer », explique Adrien de Lassence, architecte et directeur associé chez Sou Fujimoto, en charge de la conduite de ce projet. Ce dernier trouve ainsi naturellement sa place, répondant aux bâtiments historiques du XIXe siècle qui lui font face sans se laisser intimider.
D’un seul tenant, l’espace intérieur comprend une boutique, l’accueil, des salons privés pour recevoir les clients et un bar à champagne prolongé à l’extérieur par une jolie terrasse. En sous-sol se niche la cave secrète des millésimes.
Le Pavillon Nicolas – c’est son nom – constitue le point de départ avant de visiter le site de production et les fameuses crayères. La lumière, chère à Sou Fujimoto, participe grandement à la sensation de confort qui émane de ce lieu, lequel profite par ailleurs d’une généreuse hauteur sous plafond. La nuit tombée, l’édifice se fait lanterne pour le parc.

Moins convaincante, l’architecture intérieure signée Gwenaël Nicolas convoque l’idée d’un « jardin intérieur minéral » dans la continuité du parc paysager. L’ensemble du mobilier manque de légèreté et de finesse, à l’exception toutefois des arches réalisées à partir de résines organiques et de lin tissé qui partitionnent l’espace du sol au plafond sans le fermer.
Démarche environnementale
Une fois n’est pas coutume, ce pavillon d’accueil est un bâtiment post-Covid, de ceux à qui la pandémie a profité, lui donnant le temps de mûrir et d’affirmer une démarche environnementale. Il était initialement prévu en béton, mais la pierre naturelle de Soissons, provenant d’une carrière située à une soixantaine de kilomètres, lui a finalement été préférée. L’entreprise Léon Noël, un tailleur de pierre émérite rémois, est intervenue de l’extraction de la pierre à la pose.

Toiture végétalisée, géothermie et panneaux photovoltaïques prennent part à la démarche environnementale qui traverse le projet. La sérigraphie n’est pas une simple fantaisie esthétique, elle permet de filtrer les rayons du soleil et a été soigneusement étudiée en fonction de l’orientation et des hauteurs de solstices. Quant à l’asymétrie de la toiture, elle protège des vents dominants.
Dans cette métamorphose du 4, rue des Crayères, le travail du paysagiste Christophe Gautrand joue un rôle essentiel. Il se déploie dans un parc arboré de 7 000m² –dont 5 000 m² d’espace boisé classé– que vient préserver et régénérer une sélection d’essences adaptées au changement climatique. Les premiers chênes-lièges de Champagne y ont été plantés. Encourageant la biodiversité locale, il fait le lien entre l’histoire et le présent. « Ce parcours magnifie le bâtiment de Sou Fujimoto », souligne Adrien de Lassence.

En accès libre et gratuit, ce parc accueille des œuvres in situ, rappelant l’engagement culturel de Ruinart. Dans les allées du jardin, mais aussi dans la cour d’honneur ou entre les murs des espaces historiques, 110 œuvres d’art signées de 36artistes parmi lesquels Eva Jospin, Pascale Marthine Tayou ou Ugo Gattoni.
L’arrêt du chantier, en raison du Covid, aura permis au paysage de pousser généreusement, ce qui est rarement le cas lorsqu’un bâtiment est inauguré. Il n’en demeure pas moins que la véritable expérience visiteur reste la plongée dans les entrailles de cette adresse emblématique et la découverte des fameuses crayères.

À 40 mètres de profondeur, dans la moiteur de ces cathédrales monumentales, le savoir-faire de Ruinart se dévoile sans artifice. Dans ce labyrinthe de 8 kilomètres de long, la quiétude comme le poids de l’histoire vous happent au milieu des flacons soigneusement classés et entreposés.
Dans cette expérience souterraine se trouve le Retour aux Sources de Mouawad Laurier, une œuvre immersive, visuelle et sonore, qui prend la forme d’une racine réagissant en temps réel aux données du vignoble, de la production et du climat. Convoquant l’intelligence artificielle dans cette crayère millénaire, cette installation est à l’image du bâtiment de Sou Fujimoto : d’une simplicité sophistiquée.
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